Pourquoi Orwell est supérieur à Huxley


Par Colin Liddell − Le 14 novembre 2018 − Source UNZ Review

L’une des comparaisons qui revient fréquemment dans la Droite dissidente est celle de savoir qui, d’Orwell ou de Huxley, avait le plus raison ou faisait preuve de plus de prescience.

En fait, en tant que seul groupe intellectuel vraiment opprimé, les dissidents de droite sont les seuls en position de proposer une opinion valable à ce sujet, puisque aucun autre groupe d’intellectuels ne souffre autant que nous de manque de soutien, de dogmatisme et de licenciements. Actuellement, seule la Droite dissidente existe dans l’« espace tyrannique » exploré dans ces deux classiques de la dystopie.

Mais malgré cela, ce débat existe non seulement dans la Droite dissidente mais plus largement. Croyez-le ou non, même les gens de gauche et les progressistes débattent de cette question, comme s’ils étaient aussi sous le talon de l’oppresseur. En fait, ils se sentent si opprimés que certains d’entre eux sont même poussés à en parler dans les pages du New York Times, avec la rémunération élevée que cela implique sans doute.

Dans la Gauche comme dans la Droite dissidente, le consensus est que Huxley est de loin supérieur à Orwell, bien que, selon l’article du New York Times que nous venons d’évoquer, Orwell l’ait beaucoup rattrapé depuis l’élection de Donald Trump. Jetez un. Coup d’œil sur cette prose risible de Charles McGrath, parue dans le New York Times, « I’m literally shaking ».

Et pourtant, le roman [de Huxley] évoque de façon beaucoup plus adéquate le pays dans lequel nous vivons, en particulier dans sa description d’une culture préoccupée de sexe et de divertissement pop stupide, que le livre beaucoup plus inquiétant d’Orwell, qui semble imaginer un endroit comme la Corée du Nord. C’était du moins le cas jusqu’à l’investiture de Donald Trump.

Tout d’un coup, comme de nombreux commentateurs l’ont souligné, il a été question presque quotidiennement d’Orwell dans les informations… Le lien le plus évident avec Orwell était l’insistance répétée du nouveau président que même ses mensonges les plus futiles et les plus transparents étaient en fait vrais, et ensuite les explications de sa conseillère Kellyanne Conway que ces déclarations n’étaient pas vraiment des mensonges mais plutôt des « faits alternatifs ». Comme tout lecteur de 1984 le sait, c’est exactement la norme de vérité de Big Brother : les faits sont ce que le dirigeant dit qu’ils sont.

… ces guerres sans fin dans 1984 pendant lesquelles l’ennemi ne cesse de changer – maintenant Eurasia, maintenant Estasia – ne semblent plus aussi invraisemblables qu’elles l’étaient un jour, ni les rassemblements de haine organisés, narrées dans ce livre, dans lesquels les citoyens se mettent en colère contre des étrangers sans nom.

Le contraire, c’est que Trump est le seul candidat non issu de l’establishment a être élu président depuis Andrew Jackson et donc presque l’exact opposé de l’idée de la tyrannie imposée d’en haut.

Mais pour en revenir à l’idée que Huxley est supérieur à Orwell, tant dans la Gauche que dans la Droite dissidente, elle est basée sur le point de vue commun que Huxley présente une vision beaucoup plus subtile, nuancée et sophistiquée de la tyrannie douce plus conforme à l’apparence de notre époque. Voici comment McGrath résume ce point de vue, qui pourrait tout aussi bien sortir de la bouche d’un membre de l’Alt-Right, de l’Alt-Liter ou de l’Affirmative Right :

Orwell n’avait pas vraiment le sens du futur, qui dans son esprit n’était qu’une autre version du présent. Le Londres qu’il imagine n’est qu’une version plus morne, sans joie de la ville qui se remettait du Blitz, où il vivait au milieu des années 1940, peu avant de commencer son roman. La principale avancée technologique qu’on y trouve est le télécran double face, qui est essentiellement un judas électronique.

Huxley, d’autre part, qui écrit presque deux décennies avant Orwell (son ancien élève à Eton, en l’occurrence), prévoyait un monde qui incluait les voyages dans l’espace, les hélicoptères privés, les bébés-éprouvette génétiquement modifiés, un contrôle des naissances amélioré, une drogue extrêmement populaire qui semblent combiner les meilleures caractéristiques du Valium et de l’ecstasy, un chewing-gum aux hormones qui semble fonctionner à la manière du Viagra, un système de divertissement complet qui dépasse le IMAX et peut-être même des implants mammaires. (Le livre n’est pas très clair sur ce point, mais dans Le Meilleur des mondes, le plus grand compliment qu’on puisse faire à une femme est de la qualifier de « pneumatique ».)

Huxley n’était pas tout à fait sérieux. Il a entrepris Le Meilleur des mondes comme une parodie de H.G. Wells, dont il détestait les écrits, et il en est resté un livre aussi fantaisiste que prophétique. Et pourtant ce roman évoque beaucoup plus fidèlement le pays dans lequel nous vivons aujourd’hui, notamment dans sa description d’une culture préoccupée par le sexe et le divertissement pop abrutissant, que ne le fait le livre plus inquiétant d’Orwell, qui semble imaginer un endroit comme la Corée du Nord.

On comprend aisément pourquoi certains pourraient considérer Huxley comme plus adéquat qu’Orwell par rapport à la réalité qui nous entoure, parce que, fondamentalement, « Big Brother », sous la forme de l’Union soviétique, a perdu la guerre froide, du moins il semble.

Mais tout en étant convaincant au premier abord, le cas de la supériorité de Huxley peut être démonté.

Plus important encore, l’idée principale de Huxley, c’est-à-dire que le contrôle peut être maintenu plus efficacement par « le divertissement, la distraction et le plaisir superficiel que par des modes évidents de surveillance et un contrôle strict des approvisionnements en nourriture » n’est pas absente de 1984.

En fait, c’est exactement ce genre de méthodes qui sont utilisées pour contrôler les prolos, chez qui la pornographie est promus et la prostitution autorisée. De fait, la pornographie est un moyen de contrôle social si important que les autorités en ingénierie sociale ont même une section pornographie appelée « PornSec », qui produit en masse du porno pour les prolos. L’un des moments de franche rigolade dans l’adaptation cinématographique de 1984 qu’a réalisée Michael Radford, c’est quand M. Charrington, l’agent de la police de la pensée qui se fait passer pour un prêteur sur gage pour louer une chambre à Winston et Julia pour leurs rendez-vous sexuels, les informe lors de leur arrestation que le film de leur surveillance sera « reconverti » en film porno.

En fait, la vision d’Orwell du sexe comme moyen de contrôle est beaucoup plus dialectique et sophistiquée que celle de Huxley, puisque ce dernier, comme nous l’avons dit plus haut, écrivait essentiellement une parodie des idées naïves d’« amour libre » de H.G.Wells.

Alors que le sexe est utilisé comme moyen d’affaiblir les prolétaires, l’« anti-sexe » est utilisé pour renforcer l’esprit de ruche des membres du Parti. En effet, nous voyons aujourd’hui comment les éléments les plus hystériques de la Gauche – et jusqu’à un certain point de la Droite dissidente – sont les plus infra-sexués.

Les substances addictives ne sont pas non plus absentes de la vision dystopique d’Orwell. Alors que Le Meilleur des mondes n’a que le soma, 1984 a du Gin de la Victoire, du Vin de la Victoire, de la Bière de la Victoire, du Café de la Victoire et du Tabac de la Victoire – toutes substances hautement addictives qui influencent l’humeur des gens et les réconcilient avec des réalités déplaisantes. Winston lui-même est une sorte d’accro de la cigarette et un obsédé du gin, comme nous le voyons dans cette citation du chapitre final :

Le Châtaignier était presque vide. Un rayon de soleil passant obliquement par la fenêtre tomba sur les dessus de table poussiéreux. Il était 15h, l’heure solitaire. Une petite musique coulait des télécrans.

Winston était assis dans son coin habituel, fixant un verre vide. De temps en temps, il jetait un coup d’œil sur un large visage qui le fixait depuis la paroi d’en face. BIG BROTHER IS WATCHING YOU, disait la légende. Un serveur vint et remplit son verre de Gin de la Victoire, y versant quelques gouttes d’une autre bouteille avec une plume à travers le bouchon. C’était de la saccharine aromatisée aux clous de girofle, la spécialité du café…

À cette époque, il ne pouvait jamais fixer son esprit sur un sujet plus que quelques instants à la fois. Il prit son verre et le vida d’un coup.

Mais si 1984 inclut presque tout ce que contient Le Meilleur des mondes en termes de contrôle des gens par le sexe, les drogues et les distractions, il inclut également beaucoup, beaucoup plus, en particulier en ce qui concerne la manière dont la censure et le langage sont utilisés pour contrôler le peuple et comment la tyrannie est internalisée. Le chapitre d’où est tirée la citation ci-dessus montre comment Winston, un ancien agent autonome, en est venu à accepter le pouvoir du système au point de ne plus avoir besoin de surveillance.

Mais le plus brillant de tout est la description prémonitoire d’Orwell de la façon dont le langage est changé par l’interdiction de certains mots et l’expression de certaines idées ou observations considérées comme des « crimes de la pensée », sans parler de la réécriture constante de l’histoire. Les activités de Big Tech et sa censure de tous ceux qui utilisent des mots, des phrases et des idées qui ne figurent pas dans la dernière édition de leur dictionnaire de « novlangue » ont radicalement changé la manière de communiquer des gens et ce dont ils parlent dans un laps de temps relativement bref.

Les intuitions d’Orwell sur la façon dont le langage peut être manipulé pour en faire un instrument de contrôle montre sa compréhension beaucoup plus profonde de la psychologie humaine que celle qu’on trouve dans le roman de Huxley. On peut en dire autant du traitement par Orwell des émotions, un autre aspect de son roman qui sonne particulièrement vrai aujourd’hui.

Dans 1984, les personnages haïssables, comme Emmanuel Goldstein, et les faux ennemis, comme Estasia et Eurasia, sont utilisés pour réunir, mobiliser et contrôler certains groupes. Orwell était très conscient des dynamiques psychologiques de groupe de la tribu projetées à l’échelle plus large d’un empire totalitaire. Le concept des « trois minutes de haine » résonne tellement avec notre propre époque, où des hordes de antifas et autres guerriers sociaux se sont lancés sur Twitter comme des zombies émotionnels, contre Trump ou George Soros.

Dans le livre de Huxley, il y a différentes classes mais ce n’est pas une source de conflit. En effet, elles sont si clairement définies – en fait biologiquement – qu’il n’y a aucun conflit entre elles, puisque chaque joue son rôle comme l’orbite harmonieuse des sphères aristotéliciennes.

Bref, Le Meilleur des mondes voit l’homme comme il aime se voir – un acteur rationnel, contrôlant son monde et prenant ses plaisirs. C’est essentiellement la vision d’un membre aisé des classes supérieures britanniques.

Le livre d’Orwell, en revanche, voit l’homme comme le primitif tribal, forcé de vivre en fonction d’une échelle d’organisation sociale qui dépasse de loin sa capacité naturelle, et par conséquent déformé en créature folle et cruelle. C’est fondamentalement la vision d’un membre pas très aisé de la classe moyenne britannique, quotidiennement en contact avec la classe ouvrière. Mais elle en est d’autant plus riche et profonde pour cela.

Colin Liddell est l’un des fondateurs de l’Alt-Right, qu’il désavoue aujourd’hui, et il blogue actuellement pour Affirmative Right. Il a récemment publié un livre, Interviews and Obituaries, disponible sur Amazon.

Traduit par Diane, revu par Wayan, relu par Diane pour le Saker francophone

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