Nous faisons confiance aux psychopathes


Par Dmitry Orlov – Le 24 Janvier 2016 – Source Club Orlov

Une nouvelle équipe gouvernementale prend la relève à Washington. Certaines personnes voient ce développement avec un optimisme prudent, d’autres trépignent, grincent des dents, déchirent leurs vêtements et se versent des cendres sur la tête dans le style de l’Ancien Testament. Ceux qui s’attendent à ce que les choses soient un peu différentes à Washington peuvent maintenant signaler quelque chose de très spécifique : dans son discours inaugural, Trump a utilisé des mots jamais entendus dans un discours d’investiture, des mots comme saigné, carnage, épuisement, délabrement, déchiré, rouillé, triste, volé et piégé. Ces mots décrivent les États-Unis réels, et non la fausse image des États-Unis concoctée par les politiciens, les médias et les élites riches. Ces faux États-Unis sont proches du plein emploi ; les vrais États-Unis ont mis de côté près de 100 millions de chômeurs. Dans les faux États-Unis, l’économie s’est redressée et se développe bien ; les véritables États-Unis s’enfoncent de plus en plus dans des dettes irréparables, se précipitant vers une faillite nationale inévitable. Il semblerait que Trump s’intéresse à la réalité, alors que son prédécesseur excellait à se tromper lui-même ─ et d’autres. Cela indiquerait que peut-être le nouveau patron ne sera pas le même que l’ancien.

Mais dans un autre sens, le changement de commandement n’est pas un changement du tout, parce que tout ce qui s’est passé, c’est qu’un groupe de psychopathes a été échangé contre un autre groupe de psychopathes. Grâce à une expérience d’élevage sélectif multi-générationnel, les échelons supérieurs de toutes les machines sociales des États-Unis, que ce soient les sociétés, les tribunaux, les agences gouvernementales ou d’autres bureaucraties, sont remplis de psychopathes. Donc mettre sa foi dans un groupe de psychopathes semble  téméraire. Dans Réduire la Technosphere, j’ai écrit :

Les psychopathes ─ individus qui n’ont ni empathie ni sens moral et qui sont forcés de les simuler pour fonctionner en société ─ constituent normalement un petit pourcentage de la population en général. Dans une société saine, ils sont écartés vers les marges et parfois isolés ou bannis définitivement. Parfois, ils peuvent prendre un rôle marginal et intéressant pour lequel le manque total d’empathie ou de conscience est une aubaine : bourreau, assassin, espion…  Dans un environnement où les gens prennent soin l’un de l’autre ─ parce qu’ils ressentent une certaine empathie les uns envers les autres ─, les psychopathes passent rarement inaperçus. Même s’ils peuvent simuler des expressions sincères d’empathie dans une certaine mesure, ils ne peuvent généralement pas les simuler assez pour empêcher les gens autour d’eux de s’en apercevoir et il suffit d’un ou deux épisodes qui démontrent leur indifférence à la souffrance des autres ou une trace de sadisme pour les « repérer » de façon concluante.

Mais ce qui, pour une société saine, ressemble à un terrible défaut de caractère apparaît parfaitement normal, même louable, dans le contexte d’une machine sociale. Le manque d’empathie est perçu comme un détachement froid et professionnel ; un psychopathe ne laisserait jamais l’émotion nuire à son jugement. Les tendances sadiques (les psychopathes blessent les gens pour ressentir quelque chose) sont perçues comme des signes d’une nature incorruptible : les règles sont les règles ! Inversement, alors qu’une personne normale se sent aliénée lorsqu’elle est poussée dans un environnement aliénant, trouve douloureux d’agir comme un robot et souffre de troubles de la conscience lorsqu’elle est forcée d’infliger des dommages à autrui en suivant aveuglément des règles inhumaines, un psychopathe ne ressent rien du tout. Pour cette raison, les machines sociales agissent comme des incubateurs de psychopathes. Les psychopathes ne sont pas les plus sains des spécimens, mais en raison de leur plus grande capacité inclusive dans les machines sociales, ils ont tendance à persister et à prospérer en elles, tandis que les non-psychopathes ne le font pas.

À son tour, dans les sociétés dominées par les machines sociales, la capacité à prospérer au sein d’une machine sociale est un déterminant majeur de sa capacité à créer des résultats positifs pour soi et sa progéniture. Autrement dit, dans ces sociétés, les psychopathes s’en tirent mieux socialement, et sont donc plus susceptibles de se reproduire avec succès. Basée sur une recherche sur les jumeaux, la psychopathie est déterminée à peu près pour moitié par la génétique et pour l’autre par l’environnement. Les sociétés dominées par des machines sociales engendrent sélectivement des psychopathes. Ceci, à son tour, fournit plus de matière première humaine pour les machines sociales, leur permettant de croître et de proliférer. Après un certain nombre de générations d’un tel élevage sélectif, la société franchit un seuil, au-delà duquel elle devient incapable de retrouver la santé, même lorsque ses machines sociales s’effondreront (comme elles le font toutes), jusqu’à ce que suffisamment de psychopathes aient été purgés du pool génétique ─ un processus qui peut également nécessiter quelques générations.

Si avoir certaines tendances psychopathiques est utile pour s’intégrer dans une machine sociale, avoir encore plus de tendances psychopathiques est encore plus utile. Par conséquent, au sein des machines sociales, les psychopathes purs sortent des rangs et se concentrent au sommet. Il ne faut donc pas s’étonner que, lorsque nous examinons les échelons supérieurs des corporations et du gouvernement ─ les chefs et leur coterie, les conseils d’administration, les organes exécutifs, législatures et tribunaux ─, nous constatons qu’ils sont assez bien approvisionnés en psychopathes aboutis. Cela étant, il semble assez difficile pour quiconque de penser qu’une société qui a été dominée, et écœurée, par des machines sociales sur de nombreuses générations, peut en quelque sorte être soignée et guérie par ses dirigeants psychopathes élevés sélectivement. Ces leaders sont les symptômes de la maladie, et les symptômes n’ont jamais guéri personne.

J’espère que cet extrait traduit la nature du problème en termes généraux. Mais dans un travail non fictionnel, il est difficile de donner un sens plus viscéral du problème. Pour y parvenir, voici un extrait du livre Un siège pour Mars de Jason Heppenstall, disponible auprès du Club Orlov Press, dans lequel un agent psychopathe hautement placé effectue un « safari humain », tirant des photos de la souffrance humaine pour les partager avec ses collègues psychopathes.


Extrait :

Le Sikorsky S-76 avait atteint la vitesse de croisière maximale et traçait son chemin vers le nord, à travers une bande de gros nuages s’étirant sur les Pennines. Le passager unique de l’hélicoptère, un homme chauve et mince en costume gris, tenait une paire de jumelles et s’agitait.  – « Peut-on descendre un peu plus bas ? », dit-il dans un embout buccal.

« Bien, monsieur », répondit le pilote avec une réponse déformée. Il y eut une sensation de chute immédiate, alors que l’appareil descendait. Ils descendirent sous le nuage et il fallut un moment ou deux à Ignatius Pope pour balayer les horizons de la terre en dessous et localiser sa cible. Là, juste au-delà du vert sobre des Yorkshire Dales, un flou grisâtre s’étendait à travers le pays. « Quel est cet endroit en avant ? », dit-il dans l’embout.

Qu’est-ce qui est quoi, monsieur ?

Là. À onze heures. Une sorte de ville.

Par la porte du poste de pilotage, Pope pouvait voir le pilote conférer avec son copilote pendant un moment.

–  Ce devait être Leeds, Monsieur. »

L’homme mince serra ses lèvres et leva les jumelles vers son visage pour mieux voir. Des gouttes de pluie traversaient les fenêtres de la cabine alors que Pope tentait de se concentrer sur la ville distante. Après quelques instants, il demanda : « Jusqu’où pouvons-nous aller ?

Jusqu’où voulez-vous aller, Monsieur ? 

Pope réfléchit un moment. Cela faisait six semaines. Maintenant, les bouches inutiles devraient vraiment ressentir des effets. La curiosité brûlait dans sa poitrine lui faisant se sentir légèrement essoufflé. Il se sentait imprudent.

Aussi bas que vous pourrez sans être un danger.

OK, Monsieur », dit le pilote avec son accent chantant.

Pope posa les jumelles et étendit ses mains sur le siège de cuir blanc à côté de lui. Deux nuits chez Big Bear, puis il serait de retour. Une boule se forma dans sa gorge, alors qu’il examinait la nature de leur rencontre. Tous les yeux seraient sur lui. Il faudrait qu’il garde son esprit concentré sur lui. Pope n’aimait pas du tout Big Bear. Il le détestait, en fait. Pouvait-il lui faire confiance ? Non. Ne se fier à personne. Au moins, il serait en mesure d’obtenir quelques passe-droits. Mais ils seraient impressionnés, c’est sûr. Pope était le pionnier de tout cela. Il serait loué. Il avait besoin de quelque chose à leur montrer : une photo.

« Nous y allons, monsieur» L’hélicoptère se déplaçait maintenant furtivement au dessus des banlieues sous la pluie, son assiette s’inclinant vers l’avant alors que l’altitude chutait. Pope reprit les jumelles et balaya les rues pour détecter des signes de vie. Son œil fut attiré par des mouvements le long d’une route principale. Un camion de l’armée en patrouille, rien de plus que ça. L’impatience monta.

« Pouvons-nous accélérer la descente ? Nous ne devons pas être en retard à Aberdeen. »

Le pilote ne répondit pas, mais Pope sentit une accélération sensible. Il regarda par la fenêtre. Là. Cela ressemblait à un groupe de personnes ─ pas assez pour être une foule mais assez grande pour un ordre de dispersion. Ils étaient debout dans un parc, peut-être vingt d’entre eux, regardant l’hélicoptère.

« Approchez-vous de ce groupe , dit Pope.

– À quelle distance, Monsieur ?

Pope les regardait. Ils n’avaient pas l’air dangereux. Il pouvait distinguer une poussette, et était-ce un couple de personnes âgées assis sous des couvertures ?

Emmenez-nous aussi bas que possible, Jimmy. Je veux voir le blanc de leurs yeux ».

L’hélicoptère commença une descente verticale, comme s’il allait atterrir. Pope regardait ces gens à travers ses jumelles, prenant note de leur apparence. Il les étudia comme un biologiste étudie les bactéries sur une boîte de Pétri. Ils ne paraissaient pas aussi dépenaillés qu’il l’aurait imaginé, mais ils étaient clairement dans le besoin. Le groupe était un mélange d’hommes, de femmes et d’enfants. Les deux vieillards étaient en fauteuil roulant sous des couvertures, et ils ne semblaient pas bouger. Il y avait aussi un garçon, le pied posé sur une balle, et à côté de lui une jeune fille vêtue d’une robe sale, sa petite sœur, tenait un chiot et regardait l’hélicoptère.

Pope sentit l’excitation se lever en lui. Il avait été en safari de nombreuses fois chez lui, mais il n’avait jamais été très intéressé par les animaux. Maintenant, pour un safari humain, il pouvait sentir le frisson que d’autres avaient eu avant lui. Il attrapa son appareil photo, qui était assis sur le siège en face de lui, et il l’alluma. En focalisant le zoom de 700mm du Pentax, il centra l’objectif sur le groupe de personnes au-dessous. Ils commencèrent à s’agiter avec enthousiasme en lui faisant des signes comme le courant d’air des pales de l’hélicoptère officiel jouait sauvagement avec leurs cheveux et leurs vêtements. Il entendit l’obturateur de la lentille s’ouvrir.

« Faut-il les ramasser, Monsieur ? », demanda le pilote. Pope l’ignora et appuya de nouveau sur le déclencheur.

− « Tournez autour un petit peu », cria-t-il dans l’interphone. Les gens tournèrent sur eux-mêmes alors que le véhicule manœuvrait au-dessus d’eux. Tout le monde semblait excité ─ tout le monde, sauf la petite fille à la robe sale et le chiot qui regardait tristement. Pope zooma jusqu’à ce que son visage sale strié de larmes remplisse le cadre. Excellent, pensa-t-il. Big Bear va adorer cela.

De cette façon, ils planèrent pendant plusieurs minutes pendant que Pope photographiait à distance. Le groupe fut rejoint par plus de gens sortant des maisons et venant de l’autre côté du parc. Deux personnes portaient une civière avec un homme. Elles le déposèrent à côté de la populace et se joignirent à la foule qui agitait les bras. Pope zooma sur le visage de l’homme dans la civière, pâle et blanc. « Pas mal », se dit-il en passant en revue l’image sur l’écran miniature.

« OK, on peut y aller », dit-il dans l’interphone.

L’hélicoptère se redressa. Pope regarda les gens dans le parc. Ils avaient cessé de s’agiter et se tenaient débout comme avant. « Adios, la vermine ! », murmura Pope par la fenêtre. Il se rendit compte que les poils de ses bras étaient hérissés.

« Comment on se sent maintenant, sans vos Big Macs et vos Xbox ? », dit-il à voix haute. Un sourire narquois se dessinait sur ses lèvres, alors qu’il s’émerveillait de sa propre ruse. Une idée surgit de nulle part dans son esprit. Il s’agissait de Big Macs et de mort au rat. Pourriez-vous ouvrir les fenêtres sur ces choses ? Il serait hilarant de les regarder se battre les uns avec les autres : de les voir s’enfoncer la nourriture empoisonnée dans leur bouche. À quelle vitesse le poison ferait-il son effet ? Peut-être y avait-il quelque chose qui agirait plus vite. Il se demanda alors  si son personnel avait prévu d’inclure quelques restaurants McDonalds dans le plan de protection des infrastructures essentielles. Il le découvrirait dès son retour à Londres.

« Je ne dirais pas non, monsieur, dit le pilote.

Pope revint à la réalité.

− Hein ?

Vous avez dit quelque chose au sujet d’un Big Mac, je crois, Monsieur.

Pope se pinça ses lèvres et garda le silence. Putain de fou de nordiste.

Mais de toute façon, monsieur, vous avez compati aux malheurs de ces gens-là, n’est-ce pas ?, continua le pilote. Je veux dire, on dirait qu’ils sont affamés. »

De nouveau, Pope choisi de ne pas répondre. Au lieu de cela, il éteignit l’interphone et regarda les images qu’il venait de prendre sur le Pentax.

Dmitry Orlov

Traduit par Hervé, vérifié par Julie, relu par Cat pour le Saker Francophone

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