Nous devenons des débiles


Par Alexandre Douguine – Le 29 août 2016 – Source geopolitica.ru

https://youtu.be/qYsjeq1lYxs

L’oligophrénie est un diagnostic. Souvent, lorsque nous disons  « oligophrène », il s’agit d’une insulte, mais en réalité, cela signifie un « petit intellect ». Parlons-en en tant que diagnostic clinique.

La forme la plus grave de l’oligophrénie est l’idiotie. Un imbécile est une personne qui a si peu de conscience qu’il est incapable de faire face à des choses simples (ils marchent mal, mugissent, etc.).

L’étape suivante est l’imbécile. ils arrivent à comprendre la parole, et à se prendre en charge, à compter de manière élémentaire, et à une certaine adaptation.

Et il y a – les débiles (agressifs, ou de salon, etc.). Les débiles de salon, par exemple, sont en proie à des lubies, considérant qu’ils disent des choses intelligentes, que ce soit dans un salon ou sur un écran de télévision – et il s’avère que ceci est un diagnostic. Le débile diffère du sot, en ce qu’il s’agit d’un diagnostic.

Les débiles comprennent la parole, mais ne comprennent pas sa signification. Il sont même capables de répondre aux impulsions, savent lire et écrire – et ce qui est le plus intéressant, c’est que parmi eux il y a même des scientifiques. Ils ont la capacité de développer des qualités rationnelles, mais leur principal obstacle est l’incapacité de comprendre les significations. Et les significations constituent déjà un problème philosophique, étudié par Wittgenstein.

Un débile est une personne qui considère la construction formelle de la logique. Il est mu selon la logique, sans pour autant la relier à la situation de la vie. Le débile peut participer aux affaires de la société, mais peut ignorer les liens entre les phénomènes, le champ sémantique et signifiant. Le débilisme est une forme spéciale de pensée mue de l’extérieur et qui ignore l’intérieur.

Qu’est-ce qu’un jeu de langage selon Wittgenstein ? C’est l’état dans lequel les désignations naissent. Par exemple, au marché, les gens se livrent au marchandage pour des biens – et leur conversation a lieu là-bas, elle est liée à cette situation. Le débile est dans la langue, mais pas dans le sens.

Le débile méchant cherche à réaliser ses désirs du quotidien, ses impulsions directes, sans considérer les conventions. Ils sont nombreux au sein de l’élite politique, et des pilleurs qui agissent selon le principe du « vouloir et obtenir ». Le débile torpide est tellement imbu de lui-même, qu’au contraire, il peine à réaliser ses désirs.

Être en dehors du jeu linguistique, c’est se retrouver au plus profond de son individualité. Mais n’est-ce pas ce qui explique le diagnostic d’idiotie en psychiatrie ? (comme forme extrême). L’Idiotie, du grec. « Idiot », ou « privé », est une personne sans parenté, privée de liens sociaux avec la collectivité. Et plus il s’individualise, devient un individu, plus il devient idiot.

Le mouvement vers la privatisation, le libéralisme, l’individualisme est un mouvement vers l’idéal de l’idiot.

Une autre application de la philosophie du débilisme : les réseaux sociaux, qui se démarquent de la situation habituelle, dans la mesure où il ne peut y exister de jeu de langage. Il n’y a pas de situation à laquelle nous appartenions collectivement. Lorsque nous entrons dans le réseau, nous adoptons déjà la position du débile parmi des débiles, pour la bonne et simple raison que chaque commentaire y est fait en dehors d’un contexte de jeu de langage. Nous entrons immédiatement de plein pied dans l’orbite extérieure du dialogue, de la conversation, de la discussion, et restons sur cette orbite (comme quelqu’un qui a commerce avec une compagnie qui lui est totalement inconnue – il comprend la
phrase « passe la tasse », il comprend ce dont on parle, mais se trouve dès le début en dehors du jeu de langage de cette compagnie-là (et c’est pourquoi il se comporte comme un débile). Ceux qui fréquent les réseaux sont donc tous des débiles, et il n’y a pas d’unité sémantique collective, d’où la possibilité de manipulation.

Cela est déjà transféré à la culture, comme les débiles se la figurent.

Si, à l’époque de Deleuze, le « critère normatif » anthropologique était la schizophrénie, c’est maintenant le débilisme.

Notre société est sur le chemin du débilisme dogmatique. Notre société adopte peu à peu le débile comme norme, sans qu’il en ressente ni remords, ni toute l’absurdité.

La construction de l’Intelligence Artificielle est la construction du débile planétaire mondialisé qui comprend la parole, qui est capable d’une activité rationnelle, mais qui ignore la sémantique à tout jamais.

Alexandre Douguine

Note du Saker Francophone

Du même auteur, mais sans lien avec ce texte, retrouvez une analyse sur Kemi Seba, qui arrive selon Douguine à faire la synthèse pour l'Afrique de sa Quatrième Théorie Politique.

Traduit par Carpophoros pour le Saker Francophone

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