L’Ukraine ment sur le nombre de victimes pour justifier la défense de Bakhmut


Par Moon of Alabama ­ – Le 11 mars 2023

Je suis et like Adam Tooze. Ses analyses sont toujours de bons documents. Le plus récent, sur le krach de la Silicon Valley Bank, est également excellent.

Mais j’ai été un peu troublé par un de ses récents tweets :

Adam Tooze @adam_tooze – 20:11 UTC – 9 mars 2023

« Certains experts craignent que l’Ukraine ne dépense des troupes et des équipements de haute qualité afin de tuer de simples recrues sortis des prisons russes pour servir de « chair à canon ». » Ho, le langage autour de la bataille d’attrition à Bakhmut devient grotesque ! Le ratio de 7:1 ne vous suffit pas ?

Lien : ft.com Military briefing : Ukraine’s battle of diminishing returns for Bakhmut (en anglais)

Était-ce une satire ?

Moon of Alabama @MoonofA – 20:14 UTC – 9 Mars 2023

Réponse à @adam_tooze

7:1 à l’avantage de qui ?

Il n’a pas répondu. Mais non, ce n’était pas une satire. L’article du Financial Times, repris par le Irish Times, cite en fait le chef de la sécurité nationale ukrainienne, Oleksiy Danilov, qui a déclaré que le ratio de tués était de un à sept en faveur de l’Ukraine.

L’ensemble de l’article est stupéfiant :

Les responsables américains et européens estiment que 200 000 soldats russes ont été tués ou gravement blessés depuis février de l’année dernière, et l’Ukraine environ la moitié.

Un responsable occidental a déclaré que la Russie avait subi « entre 20 000 et 30 000 pertes au cours des six derniers mois« , ajoutant que la plupart d’entre eux étaient des mercenaires combattant pour la société militaire privée Wagner. Les opérations de Wagner se sont largement concentrées sur Bakhmut.

Les responsables de l’OTAN estiment qu’un Ukrainien a été tué ou blessé pour cinq Russes. La semaine dernière, le chef de la sécurité nationale ukrainienne, Oleksiy Danilov, a estimé que le rapport était de « un à sept en notre faveur« .

Cela n’a aucun sens. Si 200 000 Russes ont été tués ou gravement blessés au cours de la guerre et que 20 000 à 30 000 d’entre eux ont été tués ou blessés au cours des six derniers mois, les six premiers mois de la guerre auraient coûté 175 000 pertes à la partie russe. C’est plus que le nombre total de soldats qui, jusqu’à la récente mobilisation, ont participé à l’ensemble de la campagne. Ces chiffres ont dû être tirés d’un chapeau.

Le taux de pertes de Danilov est également un non-sens évident.

Le département médical de l’armée américaine a publié un livre sur les causes des pertes au combat pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est cité ici :

Un rapport sur les agents responsables des pertes au combat pendant la Seconde Guerre mondiale a montré l’incidence comparée des pertes dues à différents types d’armes sur plusieurs théâtres. Les auteurs du rapport estimaient que, bien que les subdivisions plus détaillées au sein de leurs trois catégories principales soient sujettes à caution, leurs conclusions sur le pourcentage des pertes totales dues aux armes légères, à l’artillerie et aux mortiers, ainsi qu’aux « divers », étaient raisonnablement exactes. Ils en ont tiré les conclusions suivantes :

  1. Les tirs d’armes légères ont représenté entre 14 et 31 % du total des pertes, selon le théâtre d’action : 14 % sur le théâtre méditerranéen, 23,4 % sur le théâtre européen et 30,7 % sur le théâtre pacifique.

  2. Les tirs d’artillerie et de mortier ont représenté ensemble 65 % du total des pertes sur les théâtres européen et méditerranéen, soit 64 % et 69,1 % respectivement. Dans le Pacifique, ils représentent 47 % des pertes.

L’encyclopédie Britannica note également pour la première guerre mondiale :

Le plus grand nombre de pertes et de blessures a été infligé par l’artillerie, suivi par les armes légères, puis par les gaz toxiques.

Lorsque j’étais à l’école d’officiers, le chiffre estimé pour une grande guerre en Europe était de 75 % de pertes dues à l’artillerie et aux bombardements aériens.

Les données de la Commission européenne, citées par El Pais, indiquent que la Russie a un avantage de 10 contre 1 en matière d’artillerie :

Selon les données de la Commission européenne auxquelles El Pais a eu accès, la Russie tire entre 40 000 et 50 000 obus d’artillerie par jour, contre 5 000 à 6 000 pour les forces ukrainiennes. Le gouvernement estonien, qui a été l’un des principaux contributeurs à l’effort de guerre de Kiev, estime que l’utilisation moyenne de l’artillerie se situe entre 20 000 et 60 000 obus russes par jour, et entre 2 000 et 7 000 obus ukrainiens, selon un document envoyé aux États membres de l’UE par Tallinn, auquel ce journal a eu accès.

Les forces russes tirent dix fois plus d’obus que les Ukrainiens. Dans une guerre moderne, les tirs d’artillerie sont à l’origine de plus de 65 % des pertes. Il est donc impossible que l’Ukraine perde moins de soldats que les Russes.

Le rapport total pourrait bien être de 7 à 1, mais il sera certainement à l’avantage des forces russes.

Minimiser les pertes de l’Ukraine à Bakhmut semble être la stratégie de propagande actuelle. Un article récent de Newsweek cite des absurdités similaires.

Cette propagande semble être conçue pour justifier la décision ukrainienne de s’accrocher à la ville aussi longtemps que possible :

Les troupes de Moscou sont sur le point de prendre la ville dans la région orientale de Donetsk, qui fait l’objet de combats depuis des mois et dont elles contrôleraient la moitié. Alors que des rumeurs font état d’une retraite ukrainienne qui, selon des responsables occidentaux, ne ferait aucun mal à Kiev, le président Volodymyr Zelensky a insisté sur le fait que ses troupes resteraient sur place pour empêcher les forces russes de se déplacer « vers d’autres villes« .

Dès janvier, les États-Unis ont pressé l’Ukraine d’oublier Bakhmout et de passer à une campagne plus mobile :

Lors d’une réunion avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky, le conseiller adjoint à la sécurité nationale, Jon Finer, la secrétaire d’État adjointe, Wendy Sherman, et le sous-secrétaire à la défense pour la politique, Colin Kahl, ont déclaré que les États-Unis souhaitaient aider l’Ukraine à s’éloigner du type de bataille d’usure qui se déroulait à Bakhmout et à se concentrer plutôt sur un style de guerre de manœuvre mécanisée qui utilise des mouvements rapides et imprévus contre la Russie, selon des sources familières de leur discussion.

Les centaines de véhicules blindés que les États-Unis et les pays européens ont fournis à l’Ukraine ces dernières semaines, dont 14 chars britanniques, ont pour but d’aider l’Ukraine à opérer ce changement, selon les responsables.

Dans son dernier résumé, Dima, de la Military Summary Channel, indique que les Ukrainiens vont bientôt tenter une contre-attaque pour couper l’anneau russe autour de Bakhmut et entraîner les Russes dans une bataille générale décisive.

À l’instar de Dima, je considère qu’il y a peu de chances qu’une telle tentative réussisse. Le rapport de forces nécessaire pour y parvenir n’existe tout simplement pas.

Mais si l’Ukraine veut faire cela, contre l’avis de l’Occident, elle a besoin de justifications. Les mensonges sur les ratios de pertes en faveur de l’Ukraine semblent avoir pour but de fournir ces justifications.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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