Par Binoy Kampmark − Le 10 août 2022 − Source Oriental Review
Les Nations-Unies se targuent de dénoncer, de surveiller et de prendre note des douleurs et des vicissitudes qui affligent notre pauvre planète. L’organisation se targue également de constituer la première institution internationale à protéger, ou à tout le moins de maintenir un œil sur les principes de la Charte qui justifie son existence. Mais comme tous les corps entretenant des aspirations de puissance et ne disposant que d’un pouvoir biaisé, la crasse de la réalité impose bien souvent une image assez différente, et peu reluisante.
Toute organisation fait perdurer les justifications de sa propre existence, y compris les mécanismes lui permettant de gérer les problèmes qu’elle produit elle-même. Ce type de problème est rarement résolu : ils sont inhérents à la nature de l’organisation-même, et essentiels à son fonctionnement. L’organisation des Nations-Unis, comme de nombreux ordres labyrinthiques, s’est avérée impénétrable, bureaucratique et décourageante. Des années durant, elle a eu à faire face à des problèmes de comportement au sujet de son personnel interne et, faute d’une meilleure expression, de son lieu de travail. Durant cette période, elle a également œuvré à maintenir ces écarts de conduite, et dans certains cas elle a dissimulé une criminalité patente et préféré orienter sa colère sur ceux qui font des révélations.
Examiner le panel des mesures qui sont supposées être instituées à cet égard n’encourage guère à l’optimisme. Au mois de février 2016, on a appris la nomination de Jane Holl Lute au poste de Coordinateur Spécial pour améliorer les réponses de l’ONU aux « exploitations et abus sexuels » qui, à première vue, ressemble à un encouragement plutôt qu’à une contre-mesure. « Son rôle est de travailler au sein des nombreux bureaux, départements et agences des Nations Unies pour renforcer la réponse de l’ONU aux exploitations et abus sexuels, où qu’ils se produisent, du quartier-général aux implantations locales les plus reculées. »
Le mandat est froid et procédurier, il s’agit de s’assurer que les étoiles de l’administration sont bien alignées avec la paperasserie nécessaire. Le travail de Lute était d’« aligner les approches, d’améliorer la coordination, la coopération et la cohérence à l’échelle de l’organisation, au travers du développement de mécanismes et de procédures alignés, ainsi que de protocoles et outils standardisés. » Ce type de verbiage est de nature à tuer la cause et à occulter les victimes, et ce type de justification a tendance à prospérer à New York et sur les « implantations reculées. »
Mais il y a plus. Jane Connors gravit en flèche les échelons en tant qu’Avocate des Droits des Victimes au siège de l’ONU au mois d’août 2017. Son rôle : « assurer que les Nations Unies accordent une assistance tangible et régulière aux victimes d’exploitations et d’abus sexuels. »
Il ne s’agit que de quelques exemples, qui n’ont rien fait pour endiguer et encore moins mettre fin à ce fléau. Le 21 juin 2022, la BBC a apporté sa contribution avec un documentaire sur les lanceurs d’alertes au sein de l’ONU et les traitements malveillants qu’ils ont reçus de la part de leurs supérieurs. Le test et le mérite de toute organisation réside dans la manière dont elle traite ceux qui exposent les défaillances et les fautes. Ceux qui sont courageux et responsables vont prendre de telles révélations à cœur, punir les responsables des écarts et appliquer les traitements appropriés. Mais la plupart des réactions observées consistent à punir le divulgateur bien intentionné en laissant tranquille les auteurs des faits.
Les révélations prodiguées par le documentaire, sur la base d’informations apportées par divers lanceurs d’alertes, sont nombreuses, au point de créer un sentiment de gène. On peut parler de James Wasserstrom, qui affirme avoir trouvé les preuves du fait que la construction d’une centrale énergétique au Kosovo s’est produite sur la base d’un appel d’offres compromis par de généreux pots de vins. On peut parler de John O’Brien, qui a attiré l’attention sur le fait qu’un programme environnemental basé en Russie a été souillé par du blanchiment d’argent.
Dans toutes ces instances, la vengeance de l’organisation s’est dûment manifestée. Wasserstrom, malgré les promesses de protection auxquelles on pourrait s’attendre pour protéger un lanceur d’alertes, a vu son nom divulgué aux personnes qu’il a dénoncées. O’Brien a été accusé de mauvais comportements consistant à regarder sur son téléphone des photos de nus sur son lieu de travail, le coup du lanceur d’alertes déviant.
Mais tout ceci ne fait que pâle figure à côté des crimes commis par les Casques Bleus, gardiens de la paix dans des pays tels que la République Centrafricaine et Haïti. Les habitants sont devenus la proie d’agressions sexuelles, des proies vulnérables que l’on pourchasse au lieu de les protéger. Tony Banbury, l’ancien assistant au secrétaire-général, était particulièrement préoccupé au sujet d’une victime de viol en République Centrafricaine. Il en est sorti dégoûté et découragé. « Il fallait que l’organisation donne la priorité à cette gamine. Ils ont donné la priorité aux auteurs. »
Ceux qui ont signalé les mauvais comportements sexuels commis par des haut-gradés au sein de l’ONU sont devenus des cibles de choix pour les vengeances. Leur carrière a été rapidement obstruée, ou terminée. Purna Sen, qui fut nommée en 2018 porte-parole sur les sujets de harcèlement, agression et discrimination, n’a pu que se plaindre, pendant l’émission Newsnight sur la BBC, sur le fait qu’il existe « une vraie tension au sein d’une organisation qui non seulement fait respecter et promeut les droits de l’homme, mais est de fait le lieu de naissance de la plupart de ces droits de l’homme — et pourtant elle n’a toujours pas appris à les appliquer en son sein aux personnes qui travaillent pour elle. »
Le Government Accountability Project, Transparency International ainsi que le Whistleblowing International Network ont répondu aux révélations apportées par le documentaire en répétant leurs propres préoccupations. « Nous exhortons de nouveau António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, à ordonner sur le champ une enquête indépendante et à utiliser son pouvoir pour remédier aux maux infligés au personnel de l’ONU qui a déjà souffert pour avoir essayé d’agir comme il se devait. Les trois groupes insistent sur le fait que « d’importantes réformes structurelles sont nécessaires pour aligner les systèmes de l’ONU avec le consensus international sur les meilleurs principes pratiques, et pour assurer que le personnel de l’ONU dispose des assurances de pouvoir parler lorsqu’il constate des conduites néfastes au travail. »
Le problème central pour un corps tel que l’ONU, comme toute organisation exerçant un pouvoir énorme et inique, est suggéré par la prolifération de règles énoncées sans action ni esprit. Elles fonctionnent comme des économistes au service d’un État en faillite, comme des gardiens et des enquêteurs qui ne tiennent guère et de conseillers qui ne règlent jamais le problème.
Un exemple en réside en la personne de Stéphane Dujarric, le porte-parole du secrétaire-général de l’ONU en personne, qui semble véritablement croire aux balivernes qu’il énonce. « Nous continuons de faire tout ce que nous pouvons pour soutenir les victimes, et nous nous concentrons pour améliorer les systèmes et assurer que les gens peuvent signaler les abus en sécurité. »
Les punitions et le bannissement attendent ceux qui essayent de changer les choses. Dans une telle situation, chacun, du dirigeant au balayeur, aura l’assurance que la situation va rester la plus sale des affaires familiales, et que les lanceurs d’alertes ne pourront jamais jouer leur rôle.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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