Par Omar Ashour – Le 3 mars 2015 – Source Al Araby
Soit vous retroussez vos manches et vous en prenez plein la gueule
Soit vous vous couchez et vous en prenez plein la gueule.
Dans un contexte politique où les répressions autoritaires, les coups d’État militaires, les guerres civiles et autres formes de violence politique et d’instabilité sociale se multiplient, il est presque sûr de voir apparaître une forme ou une autre d’extrémisme violent.
Quand les plateaux de la justice ne pèsent plus.
On ne peut retrouver son honneur que par le sang.
Quand jeter des pierres ne marche plus.
Les canons prennent toute leur importance.
Soit vous retroussez vos manches.
Et vous faites face.
Soit vous vous couchez et vous en prenez plein la face.
Les paroles de la nouvelle chanson du chanteur révolutionnaire égyptien, Ramy Essam – un militant qui s’est fait connaître lors du soulèvement de janvier 2011 – reflètent parfaitement le niveau de frustration des jeunes militants en Egypte, qu’ils soient religieux ou laïques.
La répression brutale de la dissidence a causé plus de 3 248 morts, 18 535 blessés et 41 163 arrestations depuis le coup d’État militaire de juillet 2013 (et jusqu’en janvier 2014). Elle a conduit à la conviction croissante chez de nombreux jeunes militants que les tactiques de résistance civile non violentes ont leurs limites et que, pour provoquer un véritable changement, il faut utiliser la force. Et du fait des dernières mauvaises nouvelles – notamment les centaines de condamnations à mort prononcées par des tribunaux fantoches et au moins 226 décès en garde à vue depuis le 30 juin 2013 – l’atmosphère est particulièrement propice à la violence.
Historiquement, la répression brutale des dissidents en Égypte et dans le monde majoritairement arabe a non seulement provoqué des vagues de violence politique et la prolifération d’entités illégalement armées, mais aussi la propagation d’idéologies qui légitiment diverses formes de violence politique, du coup d’État militaire au terrorisme urbain. Étant donné le contexte politique, cela ne surprenait personne. Dans la plus grande partie du Moyen-Orient post-colonial, les armes et la religion se sont révélés les moyens les plus efficaces pour conquérir le pouvoir politique et s’y maintenir, comme c’était le cas à l’époque pré-moderne, à peu de choses près.
Le vote, la Constitution, la bonne gouvernance et les réalisations socio-économiques sont des moyens secondaires, quand ils ne sont pas carrément relégués au rang des accessoires cosmétiques. Dans un tel environnement, une radicalisation violente et des idéologies soutenant le militantisme armé sont susceptibles de se développer, de persister et de prospérer.
De la dictature à la démocratie
Ce qui est plus problématique pour les démocraties, c’est que les cadres idéologiques nés sous les dictatures peuvent être utilisés pour légitimer la violence politique dans des contextes où le degré de violence subie n’est pas du tout le même et où, au moins, les moyens de s’en protéger sont disponibles.
Le djihadisme et le takfirisme sont tous deux nés dans les années 1960 dans les prisons politiques égyptiennes, où la torture s’exerçait tantôt quotidiennement tantôt périodiquement. C’est la même chose dans l’Égypte d’aujourd’hui. Les idéologies ultra-conservatives et extrémistes telles que le salafisme et le wahhabisme sont également nées et se sont développés sous des régimes autoritaires. Aucune des idéologies susmentionnées n’est sortie d’une démocratie solide ou mature. Mais elles y ont certainement été importées.
L’impunité dont ont bénéficié ceux qui ont porté atteinte à la sécurité des états ou des particuliers a largement contribué à allumer et alimenter le feu de la radicalisation armée. Cela remonte au théoricien islamiste Sayyid Qutb qui a considérablement modifié sa pensée après avoir été témoin d’un massacre dans les prisons de Gamal Abdel Nasser en 1957.
«John, le djihadiste»
Mais l’hypothèse répression-radicalisation, dans un contexte où armes + religion / hyper-nationalisme = pouvoir politique, ne s’applique généralement pas aux démocraties. L’affirmation récente selon laquelle le terroriste surnommé John, le djihadiste a été radicalisé dans des rencontres avec les services de sécurité britanniques est absurde. Alors que toutes les allégations de harcèlement ou d’abus doivent être prises au sérieux et faire l’objet d’une enquête approfondie, John, le djihadiste n’a certainement pas été témoin du massacre de plus de mille manifestants en moins de dix heures par les services de sécurité britanniques. Il n’a certainement pas non plus assisté à la torture de prisonniers au moyen de décharges électriques à répétition dans les organes génitaux (une pratique régulière des enquêteurs des divers régimes arabes) ni au léger délit dont se rend coupable la police en battant à mort un militant de l’Internet en public.
Cela dit, il convient également de mentionner que le but, le degré, la portée, la durée, l’intensité et les objectifs des actions armées diffèrent. Les arguments idéologiques que le djihadisme et le takfirisme donnent, pour justifier la multiplication significative des cibles civiles, sont fondés principalement sur leurs croyances religieuses, sectaires et idéologiques. Le but principal de ces deux idéologies est de créer un État qui applique certaines des interprétations les plus controversées de la loi islamique. C’est un objectif très éloigné – par exemple – de la justice sociale idéale et du système libéral pour lequel les compañeros espagnols et leurs brigades étrangères se battaient dans les années 1930, ou même des révolutionnaires armés libyens et syriens en 2011.
Le maintien d’autocrates répressifs en Afrique du Nord est une mauvaise nouvelle pour la démocratie occidentale, en particulier pour l’Europe géographiquement proche. Dans le moyen et le long terme, ces régimes sont plus susceptibles de donner lieu à des atteintes à la sécurité et des crises humanitaires qu’à de la coopération et des réformes. Et quand le contexte politique se caractérise par la répression autoritaire, les coups d’État militaires, les guerres civiles et d’autres formes de violence politique et d’instabilité sociale, il est infiniment probable que l’extrémisme violent fera son apparition. Mais il s’agit là du symptôme, pas de la maladie. Et il faudrait s’en souvenir lorsqu’on prend des décisions politiques.
Traduit par Dominique Muselet, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone