Par Brandon Smith − Le 10 Décembre 2024 − Source Alt-Market
En octobre 2024, la Russie a accueilli le sommet annuel des BRICS dans la ville de Kazan avec l’intention de montrer l’unité entre les nations en développement et les intérêts généraux de l’Est. Le Kremlin, cible des sanctions sévères de l’OTAN depuis le début de la guerre en Ukraine, a réussi à consolider les garanties économiques des partenaires des BRICS et à contourner les contrôles économiques occidentaux.
Bien qu’elle ait été exclue du réseau bancaire SWIFT et coupée d’une grande partie du commerce mondial, la Russie a continué à engranger de solides recettes d’exportation. Nous n’assistons certainement pas à l’effondrement total de l’économie russe que tant d’« experts » médiatiques avaient prédit. La raison ? La Russie est riche en ressources et, dans un environnement inflationniste, les pays qui sont riches en matières premières vendues à des prix plus bas sont toujours recherchés. La réunion des BRICS de cette année a rappelé que l’influence financière de l’Occident est en déclin.
Lors de cette même réunion, M. Poutine a appelé à la mise en place d’un système de paiement international alternatif et a fait circuler une maquette de ce qu’il a appelé un « billet de banque » des BRICS. Ce billet était purement symbolique, mais sa présence au sommet a déclenché un tollé dans les médias de l’establishment. Les experts se sont empressés de « vérifier les faits » et de déclarer qu’il ne s’agissait pas d’une véritable annonce de monnaie unifiée. Pour autant que je sache, personne n’a dit le contraire. Ce que nous avons dit, en revanche, c’est qu’un véritable système monétaire multilatéral supprimant le dollar est BEAUCOUP plus proche que la plupart des gens ne le pensent.
Si Poutine a brandi ce billet, c’est parce que les BRICS y travaillent depuis plus d’une décennie. Les cyniques qui pensent qu’une telle chose est impossible vivent dans le déni, ou bien ils ont un agenda à colporter.
Donald Trump, en particulier, semble très bien comprendre que le concept de monnaie des BRICS n’est ni un bluff ni une plaisanterie. Dans un récent message sur les médias sociaux, Trump a menacé d’augmenter les droits de douane pour tout pays qui tenterait de diminuer ou de remplacer le statut de réserve mondiale du dollar (le dollar est la première monnaie utilisée dans la grande majorité des transactions internationales). Poutine a répondu en avertissant que les efforts de M. Trump pour renforcer le dollar se retourneraient contre lui.
Dans l’ensemble, M. Poutine a raison. Toute mesure visant à imposer le dollar aux pays en développement en tant que monnaie de réserve ne fera que les inciter à s’en débarrasser plus rapidement. Les droits de douane permettent d’ajuster à court terme les déséquilibres commerciaux, mais ils ne parviendront pas à empêcher d’autres pays d’utiliser d’autres monnaies.
Le problème du système de réserve du dollar réside dans ses fondements. Officiellement établi par les accords de Bretton Woods en 1944, alors que nous approchions de la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’accord tacite sous-jacent au dollar était que les États-Unis obtiendraient les avantages économiques du statut de réserve, mais qu’en échange, l’Amérique devrait assumer la majeure partie des obligations de défense militaire des alliés dans le monde entier.
Cinq ans plus tard, en 1949, l’OTAN était fondée, le dollar devenait la monnaie commune de tous les membres et les États-Unis finissaient par payer 60 % ou plus du financement de l’alliance pour les décennies à venir. Le compromis économique est établi : le dollar américain bénéficie du statut de réserve et le reste du monde occidental reçoit la protection militaire des États-Unis.
Toutefois, pour les pays de l’Est et les BRICS, l’OTAN n’est pas un allié. Il n’y a pas d’accord ou de doctrine tacite qui convainque les pays en développement de maintenir le statut de réserve du dollar ; seulement des arrangements précaires en matière d’importation et d’exportation qui peuvent s’effondrer rapidement en cas de conflit.
Et soyons honnêtes, les étincelles d’un conflit plus large sont partout. À l’heure actuelle, au moins trois guerres régionales par procuration se déroulent simultanément et sont susceptibles de déclencher une troisième guerre mondiale : l’Ukraine, Israël et la Syrie. Il y a aussi Taïwan, la Corée du Nord et la Géorgie (Europe de l’Est [sic, très à l’Est, NdT]), des régions qui sont constamment sur le point de s’enflammer.
À cela s’ajoute le déclin constant de l’Europe occidentale, l’Allemagne et la France étant désormais dans les limbes gouvernementales, sans parler du Royaume-Uni qui se transforme en un État policier orwellien. Les Américains sont tellement isolés de la crise mondiale en cours que je crains que des millions d’entre eux ne soient complètement pris au dépourvu lorsqu’elle arrivera enfin à notre porte.
Certes, les États-Unis ont leur part d’instabilité. La crise de la stagflation est dans sa troisième année (officiellement) et les prix ne semblent pas près de baisser pour la plupart des produits de première nécessité. La crise de l’immigration illégale est sur le point d’aller crescendo et nous attendons tous de voir si l’administration Trump tiendra sa promesse d’expulsions massives. Ensuite, il y a l’incroyable crise de la dette – Notre gouvernement a ajouté 6 000 milliards de dollars à la dette nationale rien qu’au cours des deux dernières années. Nous créons plus de 1 000 milliards de dollars de nouvelle dette tous les 3-4 mois et notre ratio dette/PIB est de 124 %. Cette situation est insoutenable.
Cela dit, nous n’avons pas encore connu de perturbations économiques catastrophiques. La perte du statut de réserve du dollar aurait des conséquences historiquement dévastatrices, du moins à court terme, et ce uniquement si notre pays élabore un plan pour résister à la tempête.
Les conflits entre l’Est et l’Ouest ne feront que s’aggraver dans les conditions actuelles, et les appels à une alternative au dollar vont se poursuivre. Trump ne peut pas y faire grand-chose. Nous devons également garder à l’esprit que des institutions globalistes comme le FMI et la BRI se préparent, à l’heure où j’écris ces lignes, à introduire des CBDC et des systèmes sans numéraire qui limiteraient par défaut l’influence mondiale du dollar.
Lorsque les globalistes ont pontifié à l’envi sur une « grande remise à zéro » à l’époque de la pandémie, ils parlaient avant tout d’une remise à zéro économique et d’une remise à zéro monétaire. Klaus Schwab, du Forum économique mondial, a déclaré : « L’heure est venue d’une grande remise à zéro du capitalisme », et cet événement était censé précéder une transition mondiale vers un système sans numéraire.
Il ne peut y avoir de remise à zéro de la monnaie mondiale sans rétrogradation du dollar. Il ne peut y avoir de réinitialisation sans un renversement de l’ancien système de Bretton Woods. Ils le savent, et ils ne vont pas avertir le reste du public des conséquences.
Tout joue contre le dollar en ce moment, et nombreux sont ceux qui se demandent s’il vaut la peine d’être sauvé. La Réserve fédérale a été la source d’une corruption considérable au sein de notre gouvernement et j’ai souvent qualifié les banquiers centraux de kamikazes économiques. Mais le dollar est tout ce que nous avons jusqu’à ce qu’un filet de sécurité tangible puisse être mis en place.
Au lieu d’essayer d’intimider les BRICS pour qu’ils conservent le dollar, M. Trump devrait élaborer un plan visant à soutenir notre système monétaire avec des matières premières dures afin d’éviter une plus grande inflation et de garantir que les États-Unis ont la capacité de fabriquer tous les produits de première nécessité sur le territoire national.
Il y a une chance que cela se fasse sous Trump ; il n’y avait aucune chance que cela se fasse sous Kamala Harris. Il y a donc au moins de l’espoir.
Au fond, il est impossible de maintenir le dollar dans une position de domination mondiale lorsque tous les éléments de la géopolitique travaillent contre lui et que les organisations globalistes qui ont contribué à créer le système de Bretton Woods tentent aujourd’hui de le démanteler. Il est temps de se localiser, de construire des redondances et de se préparer à la grande crise qui nous attend, car d’une manière ou d’une autre, des changements difficiles sont à venir.
Brandon Smith
Traduit par Hervé pour le Saker Francophone