L’essor des machines


Les dirigeants des compagnies travaillant dans la fracturation hydraulique planifient des profits en utilisant l’automatisation pour réduire la main-d’œuvre


Par Justin Mikulka – Le 29 juin 2018 – Source DeSmog

Fracking rig workers
Lors d’une récente conférence de l’industrie, Terry Spencer, directeur de l’entreprise d’infrastructure de gaz naturel ONEOK, a précisé la direction que prenait l’industrie de la fracturation : « Un de ces jours, un de ces gros site sera opérationnel sans personne. »

Traduction : Les ordinateurs et les robots vont remplacer tous les emplois humains sur les sites d’extraction de pétrole et de gaz du futur.

L’industrie de la fracturation a certainement accru l’activité économique aux États-Unis et créé des emplois au sein de l’industrie. Moins discuté, cependant, est le fait que l’industrie a constamment perdu de l’argent avec les puits qu’elle fore et qu’elle est lourdement endettée. Une façon de résoudre ce problème structurel dans les finances de l’industrie est d’éliminer les coûts élevés de main-d’œuvre en remplaçant les gens par des ordinateurs et des robots.

La fracturation deviendra-t-elle un jour rentable lorsque les entreprises réduiront l’élément humain de l’équation du travail ? Cela semble possible. Et l’industrie semble plus que disposée à le découvrir.

La production de pétrole et de gaz est à la hausse, mais les emplois sont à la baisse

Alors que le premier grand secret de l’industrie de la fracturation est qu’elle a perdu d’énormes sommes d’argent tout au long de sa « révolution » tant vantée, le deuxième grand secret est que les niveaux records de production de pétrole et de gaz en Amérique ne se sont pas traduits par des niveaux record d’emplois.

Le pétrole et le gaz sont en plein essor, mais pas les emplois. Pourquoi ? L’automatisation.

« En tant qu’industrie, nous travaillons en vue d’être en mesure d’opérer 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sans surveillance », explique Spencer, d’après les documents de la Convention GPA Midstream 2018 fournis à DeSmog.

Et bien que les entreprises impliquées dans le pétrole et le gaz de schistes en soient – de leur propre aveu – aux premières étapes de l’utilisation de l’automatisation pour remplacer le travail humain, les impacts potentiels sont susceptibles d’être importants.

Fin 2016, le Houston Chronicle documentait déjà les signes de l’effet imminent de l’automatisation.

« Ces nouvelles plates-formes, utilisant des logiciels et des robots sophistiqués, pourraient réduire le nombre de personnes travaillant dans les champs de pétrole jusqu’à 40% de leur volume actuel  au cours des prochaines années. »

Scott Santens, qui écrit dans la publication en ligne Medium, explique ces tendances dans un article de 2017 intitulé « La véritable histoire de l’automatisation commence par un simple graphique ».

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Ce graphique simple montre que si l’industrie pétrolière a connu récemment un boom du nombre d’appareils de forage, le nombre d’employés est resté stable. M. Santens continue en prédisant que « sur les 440 000 emplois perdus pendant la récession mondiale, 220 000 pourraient ne jamais revenir ». L’industrie se rapproche chaque jour du sans humain, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Cependant, même si c’est bon pour les profits, c’est mauvais pour les travailleurs et c’est donc un problème pour les efforts de relations publiques de l’industrie. Historiquement, l’industrie pétrolière et gazière a toujours été à l’origine de nouveaux projets d’exploitation de combustibles fossiles, source d’emplois manuels bien rémunérés.

Aujourd’hui, bon nombre de ces emplois disparaissent et, à une époque où le plan énergétique du président Trump proclame le nombre d’emplois que créera l’industrie du schiste, la diminution du nombre de travailleurs n’est pas un point que l’industrie cherche à faire connaître.

James West, analyste de l’énergie pour la banque d’investissement Evercore ISI, a expliqué à Bloomberg comment l’industrie était susceptible de faire passer les réductions imminentes des effectifs de l’industrie pétrolière et gazière.

« Ils se vanteront plus probablement de l’automatisation que de ces chiffres d’effectifs », a déclaré M. West.

Éliminer les emplois des travailleurs ou le « temps et les coûts » ?

Lorsque les gens de l’industrie de la fracturation parlent d’innovation technologique et d’automatisation, ils parlent essentiellement de réduire la main-d’œuvre, mais comme l’a fait remarquer West, peu de gens veulent le dire en ces termes.

En juin dernier, la conférence annuelle de l’Energy Information Administration (EIA) des États-Unis comportait une table ronde intitulée « Progrès technologiques dans la production de Tight oil aux États-Unis ». (« Tight oil » désigne le pétrole provenant de formations de schiste argileux qui nécessitent un forage et une fracturation horizontaux).

Une grande partie de la discussion technologique de ce groupe d’experts a porté sur le remplacement des humains par l’automatisation. Si vous vous attendiez à une discussion approfondie sur l’amélioration des techniques de forage et de fracturation, vous étiez au mauvais endroit. Les technologies d’intérêt pour le moment sont l’automatisation et l’intelligence artificielle, qui vont inévitablement réduire la main-d’œuvre humaine nécessaire sur les sites de forage et de fracturation.

Il s’agit d’un avenir attendu avec impatience par certains des panélistes, dont Stephen Ingram, vice-président des solutions technologiques et de l’innovation, pour la société de services pétroliers Halliburton.

Ingram a le mieux résumé l’approche de l’industrie lorsqu’il a décrit comment les travailleurs des champs pétrolifères assemblent physiquement les appareils de forage.

« Cela représente du temps et des coûts. Comment peut-on éliminer cela ? », a-t-il dit.

2018 Table ronde de la conférence de l’EIA sur le “Progrès technologique dans la production américaine de pétrole de réservoirs étanches“. Crédit : Justin Mikulka

 

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Notez le cadre ici : Ingram et d’autres membres de l’industrie ne parlent pas d’éliminer les emplois des gens, mais plutôt de réduire le temps et les coûts ou les inefficacités.

La réponse à la question d’Ingram est facile et déjà en cours. Les Iron Roughnecks sont des machines, commandées à distance, qui relient et séparent les tiges de forage sur les appareils de forage, remplaçant ainsi les travailleurs des appareils de forage, les « Roughnecks » qui faisaient auparavant ce travail [Roughneck rappelle les Rednecks, NdT].

Automatisation : « Le ciel est presque la limite ».

Mais l’assemblage des tuyaux n’est que le début de ce qui peut être automatisé dans le processus de forage et de fracturation des schistes. Une question posée lors de la séance de questions et réponses à la conférence de l’EIA a révélé dans quelle mesure l’industrie envisage l’avenir de l’automatisation.

Le modérateur a demandé au groupe d’experts : « Étant donné le coût élevé de la main-d’œuvre, quelles sont les perspectives d’automatisation d’une plus grande partie du processus de fracturation du schiste bitumineux ? ».

Ingram de Halliburton a répondu avec enthousiasme : « Le ciel est presque la limite. Ce n’est limité que par votre imagination. »

Un autre panéliste, Robert Clarke, directeur de recherche pour les analystes de l’énergie Wood Mackenzie, a raconté les conversations qu’il a eues avec des dirigeants de l’industrie au sujet de la production future et de la main-d’œuvre :

« Je m’assois avec beaucoup d’équipes de direction et je leur demande simplement : Vous parlez de doubler la production, est-ce que cela signifie doubler les effectifs ? Ils répondent poliment : Non, ça veut dire réduire les effectifs de moitié. »

L’industrie de la fracturation, malgré sa croissance et ses promesses, n’a pas atteint la rentabilité et pour ce faire, ces entreprises vont devoir commencer à éliminer ce qu’Ingram a décrit, en réponse à une question sur le remplacement de l’automatisation par la main-d’œuvre, comme des « inefficacités structurelles ».

« Il y a d’importantes inefficacités structurelles à extraire de cette industrie qui vont créer une situation avantageuse sur le plan des coûts… », a dit M. Ingram. « J’ai hâte d’y être. »

Les cadres supérieurs bien rémunérés de l’industrie et les analystes de Wall Street « attendent avec impatience » l’amélioration de l’économie de la fracturation, mais dans un mouvement qui coûtera leur emploi à de nombreux cols bleus.

L’industrie pétrolière et gazière semble prête à suivre les traces de l’industrie du charbon, où l’automatisation détruit des emplois depuis des décennies. Alors que les cadres supérieurs de ces entreprises continueront de prospérer, de nombreux travailleurs – ou « inefficacités structurelles » – deviennent rapidement les dernières victimes des progrès technologiques.

Justin Mikulka

Note du Saker Francophone

Cet article est tiré d'une série : L’industrie du schiste argileux creuse plus de dettes que de bénéfices

Cet article est intéressant à double titre. Au fur et à mesure que la pression va augmenter sur les industriels pour rester rentables, l'automatisation va faire son chemin, écartant les salariés, réduisant leur capacité à consommer et à acheter la production « robotisée ». C'est un puissant processus déflationniste.

Traduit par Hervé, relu par Cat pour le Saker Francophone

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