Par Moon of Alabama – Le 10 janvier 2021
Comme Scott Ritter, je suis profondément sceptique quant à l’issue des pourparlers d’aujourd’hui entre les États-Unis et la Russie à Genève :
Si jamais une négociation diplomatique cruciale était vouée à l’échec dès le départ, les discussions entre les États-Unis et la Russie sur l’Ukraine et les garanties de sécurité russes le sont.
Les deux parties ne parviennent même pas à se mettre d’accord sur un ordre du jour.
Du point de vue de la Russie, la situation est claire : « La partie russe est venue ici [à Genève] avec une position claire qui contient un certain nombre d’éléments qui, à mon avis, sont compréhensibles et ont été si clairement formulés – y compris à un haut niveau – qu’il est tout simplement impossible de s’écarter de nos approches », a déclaré à la presse le vice-ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Ryabkov, à l’issue d’un dîner pré-réunion organisé dimanche par la secrétaire d’État adjointe américaine Wendy Sherman, qui dirige la délégation américaine.
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Tout ce que les États-Unis ont été disposés à faire, semble-t-il, c’est de rappeler à la Russie les soi-disant « graves conséquences » d’une invasion de l’Ukraine par la Russie, ce que les États-Unis et l’OTAN craignent comme imminent, compte tenu de la portée et de l’ampleur des récents exercices militaires russes dans la région, auxquels participent des dizaines de milliers de soldats. Cette menace a été faite par Biden à Poutine à plusieurs reprises, y compris lors d’un appel téléphonique initié par Poutine la semaine dernière pour aider à encadrer les discussions à venir.
Les États-Unis continuent d’affirmer à tort que la Russie est prête à envahir l’Ukraine :
Dans un geste qui a aggravé les relations déjà tendues entre Washington et le Kremlin, la Russie a mobilisé plus de 100 000 soldats près de sa frontière avec l’Ukraine. Les États-Unis ont divulgué des renseignements montrant que la Russie dispose d’un plan de guerre prévoyant une force d’invasion de 175 000 soldats que l’armée ukrainienne, malgré l’équipement et la formation fournis par les États-Unis, aurait peu de moyens d’arrêter. Vendredi, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a averti que « le risque de conflit est réel ».
Il n’y a pas 100 000 soldats russes près de la frontière avec l’Ukraine. Début décembre, les services de renseignement américains ont affirmé qu’il n’y avait que 70 000 soldats :
Alors que les évaluations ukrainiennes estiment que la Russie dispose d’environ 94 000 soldats près de la frontière, la carte américaine avance le chiffre de 70 000 hommes – mais elle prévoit une augmentation jusqu’à 175 000 hommes et décrit d’importants mouvements tactiques de bataillons vers et depuis la frontière « pour obscurcir les intentions et créer de l’incertitude ».
Les 100 000 soldats supplémentaires mentionnés par les services de renseignement américains sont censés provenir d’une force de réserve russe (BARS) qui n’existe pas encore mais est seulement prévue. Ce chiffre est donc faux. Les chiffres des services de renseignement américains ont été publiés le 3 décembre. Trois semaines plus tard, la Russie annonçait que 10 000 de ces 70 000 soldats avaient été retirés :
Dix mille militaires russes seraient en train de regagner leurs « points de déploiement permanents » après un entraînement sur le terrain à la frontière avec l’Ukraine voisine, selon l’agence de presse Interfax, qui cite des déclarations de l’armée russe.
Cela signifie qu’il n’y a actuellement que 60 000 soldats dans l’ouest de la Russie, la plupart stationnés dans leurs quartiers habituels, certaines unités suivant une formation par rotation, comme elles le font toutes les armées.
Les médias affirment également que la Russie menace d’attaquer l’Ukraine. La Russie n’a pas l’intention de le faire, à moins que l’Ukraine ne tente d’attaquer ses provinces orientales rebelles de Luhanzk et Donetzk. Les dirigeants ukrainiens savent qu’ils ne peuvent pas le faire.
Cependant, les exigences russes en matière de sécurité sont sérieuses. Soit les États-Unis et l’OTAN reviennent sur leur position anti-russe, soit la Russie prendra des « mesures militaro-techniques » pour les contrer.
Ces mesures POURRAIENT (!) inclure une neutralisation soudaine et rapide des capacités militaires ukrainiennes :
La Russie ne s’impliquera pas dans une mésaventure militaire en Ukraine qui pourrait s’éterniser, comme l’ont fait les États-Unis en Afghanistan et en Irak. La Russie a étudié une campagne militaire américaine antérieure – l’opération Tempête du désert, de la première guerre du Golfe – et a pris à cœur les leçons de ce conflit.
Il n’est pas nécessaire d’occuper le territoire d’un ennemi pour le détruire. Une campagne aérienne stratégique conçue pour annuler des aspects spécifiques de la capacité d’un pays, qu’elle soit économique, politique, militaire ou tout cela à la fois, associée à une campagne terrestre ciblée visant à détruire l’armée de l’ennemi plutôt qu’à occuper son territoire, est la ligne de conduite probable.
Compte tenu de la suprématie écrasante de la Russie en termes de capacité à projeter une puissance aérienne soutenue par des attaques de missiles de précision, une campagne aérienne stratégique contre l’Ukraine permettrait d’accomplir en quelques jours ce que les États-Unis ont mis plus d’un mois à faire contre l’Irak en 1991.
Mon intuition est que la Russie ne fera même pas cela, mais que les « mesures militaro-techniques » qu’elle dit vouloir prendre en cas d’échec des pourparlers créeront une nouvelle menace pour les États-Unis eux-mêmes. Une répétition de la crise des missiles de Cuba par d’autres moyens.
La crise de Cuba a conduit à l’élimination des missiles nucléaires américains stationnés en Turquie et en Italie et dirigés vers Moscou. Une crise similaire aujourd’hui pourrait également conduire à un retrait des États-Unis et de l’OTAN de l’Europe de l’Est.
La Russie a gagné des guerres réelles et hybrides en Ossétie du Sud, en Crimée, en Syrie, en Arménie, en Biélorussie et maintenant dans son ventre mou, le Kazakhstan, après que ces pays ont été attaqués. Les dirigeants de ces quatre derniers pays, tous des politiciens multisectoriels qui tentaient de jouer avec l’« Ouest » et la Russie, ont découvert que la Russie est leur meilleur et unique ami et ont résolument rejoint son camp :
Rappelez-vous, le discours PSYOP était que Poutine est soit stupide, soit faible, soit vendu à l’Occident. Pourtant, lorsque nous regardons les choses « avant et après », nous constatons que si l’Occident a « presque » (ou du moins le pense-t-il) « obtenu » le Belarus, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et, maintenant, le Kazakhstan, la réalité est que, dans chaque cas, il apparaît que les mégalomanes narcissiques qui dirigent l’Occident ont valsé avec confiance dans un piège russe soigneusement tendu qui, loin de donner à l’Empire le contrôle des pays qu’il a « presque » acquis, les a fait perdre pour un avenir prévisible.
La Russie a fait cela à peu de frais et avec beaucoup d’efficacité. Pendant ce temps, les États-Unis et l’OTAN perdent leurs guerres, comme tout récemment en Afghanistan.
Il est temps pour les États-Unis et l’OTAN de le reconnaître.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone