Les pires 100 premiers jours jamais vus


Les « échecs » de Trump sont-ils un brillant stratagème pour « déconstruire l’État », du théâtre politique ou une incompétence réelle ?


Par John Feffer – Le 26 avril 2017 – Source Foreign Policy in Focus

Si j’étais un partisan de Trump, je serais furieux de la façon dont ses 100 premiers jours sont présentés par la presse. Les médias traditionnels se sont engagés dans une compétition de Schadenfreude, car les écrivains et les chroniqueurs se disputent la distinction de la meilleurs moquerie à propos des défaillances de l’administration.

Les experts et les journalistes ont abondamment jasé sur les lois refusées, les postes non remplis, les nominations siège éjectable et les promesses non tenues. Dans la même veine que pour la couverture de la campagne électorale.

C’était, après tout, un non-président : un homme sans qualification pour servir, sans mandat populaire des électeurs, et, une fois élu, sans beaucoup d’intérêt pour la gouvernance quotidienne. À chaque occasion, il semble préférer décamper pour son hôtel en Floride, battre en retraite, ou entreprendre un autre « tour de la victoire » dans les États où il a remporté les élections.

Comme la date symbolique des 100 jours approche, le 29 avril, ABC et le Washington Post ont publié un sondage montrant que Trump, à ce moment-là de son mandat, est aussi le président le plus impopulaire de l’ère moderne. Même les efforts de dernière minute de l’administration pour exploiter les sentiments les plus nationalistes de l’électorat en bombardant l’armée syrienne, en bombardant les talibans en Afghanistan et en menaçant de bombarder les Nord-Coréens semblent avoir peu d’effets. Seulement 42% du pays approuve la performance du président (contre 69% pour Obama au même moment de son premier mandat).

Au bas de l’article du Washington Post sur ce sondage, cependant, s’en étale un autre, intéressant. Les enquêteurs ont demandé aux sondés quel candidat ils ont soutenu à l’élection présidentielle. Il n’est pas surprenant que les chiffres correspondent plus ou moins au vote populaire. Les répondants ont déclaré qu’ils favorisaient Clinton par rapport à Trump, par 46% et 43%, respectivement.

Mais lorsqu’on leur a demandé pour qui ils voteraient si les élections se tenaient à nouveau aujourd’hui, les sondés ont fait une réponse surprenante. Ils ont en fait choisi Trump plutôt que Clinton, à 43% et 40%, respectivement.

C’est étonnant. Le candidat qui a perdu le vote populaire, qui n’a pratiquement rien fait depuis son investiture, à part fanfaronner ou jouer au golf, qui, après 100 jours, a le score de popularité le plus faible de n’importe quel président de l’ère moderne, pourrait encore battre Hillary Clinton dans une réélection – et probablement pas seulement au niveau du collège électoral.

Il existe trois raisons pour expliquer cette dissonance cognitive. Tout d’abord, bien que son plus grand péché soit qu’elle est une politicienne conventionnelle, Hillary Clinton inspire une haine considérable, dans tous les camps politiques. Deuxièmement, de nombreux partisans de Trump resteront fidèles à leur homme, même s’il devait soulever ses mèches orange pour révéler une paire de cornes du diable. Selon le même sondage, bien que seulement 85% des électeurs de Clinton aient promis une allégeance continue à leur candidat, 96% des électeurs de Trump refusent de remettre en question le soutien à leur candidat. Vous parliez de la fidélité à la marque ?

Ce qui nous amène à la troisième raison. L’administration Trump a effectivement affiché une incompétence sans précédent au cours de ses 100 premiers jours. Mais tout le monde dans le pays ne considère pas cette incompétence de la même manière que les médias traditionnels. En effet, deux théories distinctes et opposées ont émergé pour expliquer pourquoi, selon la vision du bon sens, on a l’impression que beaucoup de gens, dans les hautes sphères, ne savent tout simplement pas ce qu’ils font.

Les avantages de l’incompétence

Selon les adhérents à la première théorie, l’administration de Donald Trump est tellement dédiée à la déconstruction de l’État qu’elle utilise l’incompétence comme outil. Quelle meilleure façon de détruire les programmes sociaux progressistes et de défaire l’appareil réglementaire que d’installer des gens manifestement pas à la hauteur, comme Scott Pruitt à l’EPA ou Rick Perry au DOE, dans des agences consacrées à des missions qu’ils ne comprennent pas ou n’apprécient pas ?

Pendant ce temps, le président Trump fait des déclarations contradictoires, change de position quotidiennement et balance effrontément des mensonges afin de déstabiliser ses adversaires, tant dans le pays qu’à l’étranger. Ses ennemis vont le sous-estimer. Ils ne seront pas en mesure de prédire ses actions. Ils seront forcés d’adopter des positions conciliantes de peur que, comme un narcissique impitoyable, il ne frappe irrationnellement et sans tenir compte de l’intérêt de son pays.

En d’autres termes, ce qui pourrait ressembler à une maladie mentale n’est en réalité qu’une tactique consciente.

La deuxième théorie affirme que l’administration Trump essaie honnêtement de faire avancer les choses, mais un « État profond » – composé soit de personnes désignées par Obama soit d’agents de la sécurité nationale – s’y oppose à chaque fois. En effet, cet État profond est si influent qu’il a fait changer d’avis à Trump sur la Syrie (bombarder Assad), la Chine (pour faire bien), la Russie (pour détruire la promesse de détente) et le commerce (pour faire marche arrière sur une taxe douanière d’ajustement).

Cet « État profond », selon les sources plus conspirationnistes, est aligné sur une gamme d’acteurs internationaux, tous contre Trump. Cette liste comprend les institutions financières internationales, les entités politiques transnationales comme l’ONU et les élites libérales (qui pourraient même ne pas être libérales, comme Angela Merkel d’Allemagne).

Certes, des conseillers de Trump comme Steve Bannon sont portés à réduire les cotés du gouvernement qu’ils n’aiment pas (tout en renforçant les éléments qu’ils aiment). Et certainement, l’administration a rencontré une résistance considérable, dans la Beltway et dans le monde entier, à ses programmes les plus radicaux. Pourtant, ces explications ne sont pas entièrement satisfaisantes.

Ce qui laisse une troisième possibilité : que l’incompétence de Trump et de ses associés n’est ni une stratégie, ni le résultat d’une contre-stratégie. Le gouvernement des États-Unis est un mécanisme extrêmement complexe, et même des politiciens intelligents comme Bill Clinton et Barack Obama ont fait de grosses erreurs au cours de leurs 100 premiers jours. Installez un président ignorant et qui a amené avec lui une coterie de gens à l’esprit étroit : à quoi vous attendiez-vous ?

Ainsi, l’administration de Trump s’est engagée dans une étonnante démonstration de manœuvres politiques incompréhensibles à coup de bras tordus, de dialogue de sourds et de volte-face. Elle a raté sa politique d’interdiction d’entrée aux musulmans (deux fois), celle sur la réforme des soins de santé et s’est aliénée les membres du Congrès des deux bords, avec sa proposition de budget initial. Trump a eu des interactions embarrassantes avec les dirigeants de la Russie, de l’Australie et de l’Allemagne (entre autres). La seule victoire évidente, dans ses trois premiers mois, a été la nomination d’un juge de la Cour suprême, mais cela a obligé les Républicains du Sénat à déployer l’option nucléaire et à le confirmer à la majorité simple (plutôt que la tradition sanctifiée des 60 votes).

Ensuite, il y a eu des nominations autodestructrices. Le processus de confirmation du Congrès a permis d’éliminer quelques-uns des pires choix, comme celui d’Andrew Aszzder, nommé au département du Travail, tandis que le scandale en a décimé d’autres, comme le conseiller national à la sécurité, Michael Flynn, et la porte parole du NSC, Monica Crowley.

Mais l’administration Trump a elle-même été très efficace dans  cette autodestruction, comme le souligne James Hohmann dans le Washington Post. Voici quelques-uns des départs anticipés de l’équipe Trump : Chris Christie (chef de l’équipe de transition), Katie Walsh (chef adjoint du personnel), Boris Epshteyn (assistant spécial du président), Gerrit Lansing (conseiller numérique en chef), Anthony Scaramucci (responsable du Bureau de la liaison publique et des affaires intergouvernementales), KT McFarland (conseiller adjoint à la sécurité nationale), Craig Deere (directeur principal du NSC pour les Affaires occidentales) et Shermichael Singleton (conseiller principal de Ben Carson). Proches de la porte de sortie, on trouve le conseiller à l’anti-terrorisme Sebastian Gorka (pour ses liens avec une organisation affiliée aux nazis) et Sean Spicer (dont l’incompétence est devenue légendaire).

La révolution Trump se dévore elle-même à une vitesse record.

Ce qu’en pensent les Américains

Les enquêteurs d’opinion ont subi une énorme perte de crédibilité à la suite des résultats de l’élection présidentielle de 2016. Jusqu’à la dernière minute, le site respecté FiveThirtyEight attribuait 71,4% de chances de victoire à Hillary Clinton.

L’un des problèmes des sondages est qu’ils ne captent pas la ferveur relative des circonscriptions respectives. Hillary Clinton avait le feu en elle, mais beaucoup de ses partisans ne l’avaient pas. Les partisans de Trump, par contre, étaient plus déchaînés que leur candidat.

C’est pourquoi le dernier sondage du Chicago Council on Global Affairs est un peu trompeur. Le titre annonce que la population étasunienne se rapproche davantage de la politique étrangère traditionnelle de l’establishment que de Donald Trump sur les questions allant du commerce à l’OTAN. Ainsi, selon le sondage, une nette majorité d’Américains favorise l’engagement des États-Unis envers les alliances de sécurité existantes, embrasse la mondialisation économique et le libre-échange, et soutient un engagement affirmé dans les affaires mondiales.

Le Chicago Council reconnaît cependant que, sur certaines questions clés, le public diverge de l’élite :

« Le public américain et les leaders d’opinion sont en fait divisés sur plusieurs questions clés, y compris l’importance de protéger les emplois américains, la politique d’immigration des États-Unis et l’importance de protéger la sécurité des alliés américains. Peut-être pas par coïncidence, ces zones où les divergences entre l’élite et la population existent, sont également les domaines où le message de Donald Trump a résonné le plus fort. »

Attendez une seconde. Ces trois postes sont en fait le revers des trois problèmes où les préférences du public et l’élite se rejoindraient. Les Américains ont un engagement rhétorique envers la mondialisation, mais ils mettent plutôt les emplois américains en premier. Ils croient en l’OTAN, mais ils ne voient pas l’importance de venir à la défense des alliés, ce qui est l’élément essentiel de l’alliance de sécurité. Et ils veulent que les États-Unis restent engagés dans le monde, mais pas dans la mesure où le monde s’engage avec nous en arrivant sur nos rivages.

Alors, si vous regardez de plus près ce rapprochement supposé, cela se dissout dans le même problème de ferveur qui a brouillé la boussole des enquêteurs en novembre 2016. Par exemple, 41% des électeurs républicains considèrent la mondialisation négativement et 36% veulent que les États-Unis restent en dehors des affaires mondiales. Pendant ce temps, 79% veulent « construire un mur » pour empêcher les immigrants et 75% considèrent le fondamentalisme islamique comme une menace critique. Les chiffres sont encore plus prononcés pour les principaux partisans de Trump.

Regardons maintenant les premiers 100 jours de Trump selon cette perspective. L’administration a annulé la participation des États-Unis à l’accord commercial Trans Pacific Partnership (TPP) et a fait le pari coûteux de conserver les emplois manufacturiers aux États-Unis. Le président a continué à faire pression pour le « mur » à la frontière avec le Mexique, face à l’opposition du Congrès. Il a signé des ordres exécutifs pour empêcher les personnes de sept (puis six) pays essentiellement musulmans d‘entrer dans le pays.

Tout le reste n’est que du bruit. Bien sûr, certains partisans de Trump étaient fâchés qu’il ait bombardé l’armée syrienne, n’ait pas retiré les États-Unis de l’OTAN, se soit aliéné Moscou et ait banni Steve Bannon du Conseil à la sécurité nationale. Mais les principaux supporters de Trump ne se soucient pas beaucoup de ces problèmes. Ce que les médias libéraux considèrent comme des échecs, des volte-face ou une incompétence pure sont apparus, dans le pays de Trump, comme des efforts de bonne foi pour retrouver un consensus sur la politique étrangère et réorienter fondamentalement les priorités américaines. L’incompétence, à leur avis, est une fausse nouvelle. Les 100 premiers jours réalisés par la star de la télé-réalité Donald Trump ont été pratiquement, pour eux, une seconde Révolution américaine.

Mais l’incompétence a des effets très réels. Sur le plan national, les tribunaux, le Congrès et la société civile peuvent contenir les dommages dans une certaine mesure. À l’échelle internationale, les dommages pourraient être catastrophiques.

Cette semaine, Trump a invité le Sénat à la Maison Blanche pour un briefing sur la Corée du Nord. Pratiquement tous les experts de la Corée du Nord, sur l’ensemble du spectre politique, ont qualifié une attaque préventive de très mauvaise idée. Une administration compétente prendrait acte de ces mots. Une administration incompétente pourrait décider de tenter sa chance, parce qu’elle n’en comprend pas l’enjeu, les risques et les conséquences.

Si vous pensiez que les 100 premiers jours étaient mauvais, préparez-vous à quelque chose d’incontestablement pire, à ce que même les partisans de Trump reconnaîtraient comme un lamentable échec.

John Feffer est le directeur de Foreign Policy In Focus

Traduit par Wayan, relu par M pour le Saker Francophone

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