Espagne : Les hommes qui s’approprient le soleil


Pour protéger les intérêts bien enracinés de ses oligopoles, le gouvernement espagnol interdit, en pratique, l’accès des PME et des ménages à l’énergie solaire


Par Don Quijones – Le 14 juin 2015 – Source WOLF STREET

S’il y a une chose que nous devrions retenir de ce long combat acharné contre la crise, c’est qu’il n’y a aucune limite à ce que nos gouvernement élus sont prêts à entreprendre pour protéger les intérêts et privilèges des oligarques et de leurs oligopoles. En Espagne, le gouvernement s’apprête même à s’approprier les rayons du soleil pour protéger la ploutocratie énergétique du pays.

Aujourd’hui, le gouvernement espagnol envisage de taxer les foyers qui produisent leur propre électricité à partir de l’énergie solaire et qui en stockent une partie dans des batteries solaires. Selon El País :

Un projet de décret préparé par le ministère de l’Industrie, de l’Énergie et du Tourisme instaure une nouvelle redevance pour décourager l’utilisation de batteries solaires ou d’autres systèmes de stockage par les personnes qui produisent de l’électricité au moyen de panneaux solaires ou photovoltaïques, et qui sont connectés au réseau national d’énergie.

Ce dernier décret royal suit à la trace le précédent, rendu public en 2013, qui imposait une taxe réservée uniquement à ceux qui produisaient leur propre électricité. Lorsqu’elle sera passée en texte de loi, les intrépides producteurs d’énergie amateurs seront obligés de payer une redevance d’assistance pour l’énergie produite par leurs panneaux solaire, en sus de la redevance d’accès payée par tous ceux qui consomment de l’électricité à partir du réseau conventionnel.

Pire encore, afin de savoir qui produit quelle quantité d’énergie (et bien entendu, de quel montant les taxer), tous les panneaux solaires devront être reliés au réseau. Les producteurs d’énergie qui ne se connectent pas au réseau pourraient se voir réclamer jusqu’à 30 millions d’euros d’amende (oui,  sept zéros !). Comme le signale Forbes, l’intention est claire : intimider les contribuables pour les forcer à se connecter au réseau, de manière à pouvoir les taxer.

La taxe rendra non viable la production d’énergie par les résidents : ce sera moins cher de continuer à acheter l’énergie aux fournisseurs traditionnels. Et c’est précisément ça le but.

Pour ce qui est du dernier décret en date, son objectif est de dissuader les ménages et les entreprises de stocker de l’énergie en surplus. Selon les nouvelles règles, les consommateurs ne pourront pas utiliser des batteries Powerwall de Tesla et seront également pénalisés s’ils utilisent les systèmes de stockage incorporés dans les panneaux solaires de dernière génération.

Résultat : pratiquement toute forme d’énergie auto-produite deviendra non rentable. Seuls les consommateurs totalement déconnectés du réseau, possédant leurs propres systèmes de production d’énergie complètement indépendants, pourront utiliser des batteries sans être automatiquement pénalisés. Mais même cette option est irréalisable, parce que les appareils modernes de stockage ont généralement une autonomie de plus ou moins deux heures, ce qui les empêche en pratique d’être auto-suffisantes.

Un bouche-trou

Tout ceci est nécessaire, affirme le gouvernement, afin de combler un déficit tarifaire cumulé de 26 milliards d’euros – soit l’écart entre les coûts de production d’énergie et ce que le consommateur de base paie pour l’électricité.

Selon la version des faits fournie par le gouvernement, la cause à l’origine de ce déficit est le vaste surplus d’énergie généré pendant l’âge d’or de la production d’énergie solaire en Espagne, auquel le gouvernement de Rajoy a brutalement mis fin en retirant les subventions et en imposant ce qu’on a appelé la Taxe du Soleil. Il fut un temps où l’Espagne générait tellement d’énergie solaire, grâce en grande partie aux généreux subsides de l’État et à la chute des prix, que la capacité de production excédait la demande de 60%.

Selon d’autres sources, la motivation principale du gouvernement à taxer les petits récolteurs de lumière solaire espagnols était de choyer les oligopoles espagnols de l’énergie – Gas Natural, Endesa (détenu aujourd’hui par le géant italien de l’énergie Enel), Red Electrica de España, Union Fenosa, Iberdrola et Repsol – et de les préserver de la menace posée par une compétition loyale.

Le secteur de l’énergie en Espagne constitue une force lobbyiste considérable. Au cours des dernières décennies, ces six compagnies ont procuré des postes lucratifs de conseillers à des douzaines d’anciens hommes politiques influents (voir cette présentation) , parmi lesquels deux anciens premiers ministres, Felipe Gonzalez (Gas Natural) et José María Aznar (Endesa), l’actuel ministre de l’Économie Luis de Guindos (Endesa), l’ancien secrétaire d’État à l’Économie Guillermo de la Dehesa (Union Fenosa) et l’ancien vice-président du gouvernement Narcís Serra I Serra (Gas Natural).

La véritable menace

Donc les géants de l’énergie espagnols finissent toujours par obtenir ce qu’ils désirent. Avec le prix des panneaux solaires diminuant d’environ 80% chaque année et de plus en plus de ménages et d’entreprises investissant dans la perspective séduisante de l’indépendance énergétique, il fallait réagir. Si de plus en plus de gens continuaient à produire leur propre énergie, ce n’était qu’une question de temps avant que cette tendance atteigne un point critique.

Le problème n’était pas tant le type d’énergie produite – l’Espagne se targue déjà de posséder la plus grosse centrale d’énergie solaire au monde, et est le quatrième plus gros producteur d’énergie solaire – mais plutôt qui la produisait. En fait il s’agit principalement du contrôle et du maintien d’un modèle commercial oligopolistique, largement centralisé. Aussi longtemps que des compagnies comme Endesa, Iberdrola et Gas Natural continueront à contrôler chaque point d’entrée et de sortie le long du circuit énergétique espagnol, leur domination ne sera pas contestée et les consommateurs d’énergie resteront les otages de leurs caprices, parmi lesquels bien sûr les hausses de prix. L’Espagne est pour l’instant au quatrième rang des pays d’Europe où l’électricité est la plus chère.

Tandis que d’innombrables petites entreprises et ménages, leurrés par les promesses d’indépendance et de viabilité énergétique de l’ancien gouvernement, se retrouvent maintenant avec des investissements qui ont perdu l’essentiel de leur intérêt, l’Espagne se repose de plus en plus pour ses besoins énergétiques sur l’Algérie, d’où provient plus de 50% de son gaz naturel – pas vraiment la source la plus sûre dans le contexte géopolitique actuel.

Mais pour le gouvernement de Rajoy et les indéracinables oligopoles qu’il chouchoute, traiter avec des consommateurs affranchis dans le contexte d’un marché en mutation rapide constitue un risque beaucoup plus grave que de faire affaire avec un régime situé dans une des régions les plus instables de la planète.

Don Quijones  Raging Bull-Shit.

Note

Les gouvernements espagnols entretiennent une relation particulière avec les grandes sociétés commerciales. Et le marché avec Goldman était l’exemple-type de cadeau intéressé. Mais cela pourrait bien basculer. Lire… Est-ce que Goldman va perdre un tentacule?

Traduit par bluetonga, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone

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