Les guerres de civilisation n’ont pas de date d’échéance


Par M. K. Bhadrakumar − Le 14 mars 2022 − Source Indian Punchline

L’évacuation d’un volontaire européen venu combattre en Ukraine, blessé lors du bombardement russe sur la base tentaculaire de Yavoriv, à 25 km de la frontière polonaise.

Une source officielle de la présidence française a déclaré samedi que le président russe, Vladimir Poutine, « n’a pas montré de volonté » pour mettre un terme à l’opération spéciale en Ukraine, durant sa conversation téléphonique avec le Président Emmanuel Macron et le chancelier Olaf Scholz ce weekend.


Le compte rendu russe énonce que Poutine a informé les deux dirigeants européens de la « situation concrète sur le terrain » ainsi que de l’état des négociations avec les représentants ukrainiens avant de passer en revue les difficultés liées aux négociations concernant les garanties de sécurité demandées initialement par les russes. « Mais il ne fut fait aucune mention d’un cessez le feu. »

La manœuvre militaire russe à sa propre dynamique et elle prendra fin lorsque la mission sera accomplie. La conception erronée des occidentaux les mène à considérer l’opération comme une invasion, alors que les russes la considèrent comme une mission spéciale comportant deux objectifs : garantir la sécurité de la Fédération de Russie et neutraliser les groupes nationalistes antirusses qui agissant comme un État dans l’État.

Les ajustements tactiques sont impératifs, peu de batailles prédéfinies, entrecoupées de périodes d’accalmies et de manœuvres pour encercler les poches de résistance, amenant des changements soudain de tactique comme si la guerre se métastasait. Les manœuvres russes laissent les spécialistes militaires occidentaux dans le flou et désorientent les responsables politiques.

Ils ne savent toujours pas si les forces russes ont l’intention de prendre Kiev alors que des mouvements importants de troupes ont lieu en direction de la ville ! Selon BBC, la très médiatisée colonne armée de 65 km, se serait dispersée, le but étant de positionner artillerie et lanceurs de missiles à portée de tir de la capitale. Une nouvelle fois, les offensives lancées sur les aéroports de Lutsk et d’Ivano-Frankivsk, loin des points névralgiques du conflit, ont pris les analystes au dépourvu.

Deux objectifs sous-jacent de l’opération russe sont la restauration des frontières des républiques populaires de Lougansk et de Donetsk dans la région du Donbass, et établir une liaison entre la Crimée et le Donbass et, si possible, avec la base russe en Transnistrie (Moldavie) à l’ouest.

Entre-temps, l’opération vers la ville de Dnipro dans le centre de l’Ukraine est sur le point de commencer. Dnipro est la clé de voute pour le contrôle du vaste territoire à l’ouest du fleuve Dnieper et pour le siège ou la prise de contrôle de Kiev.

Quelle est l’avancée des troupes russes ?

Pour rappel, les objectifs militaires au sud et à l’est ne sont pas encore réalisés. A l’est, les troupes russe encercle Kharkov et se déplacent vers le sud, le long de la périphérie nord-est de la ville d’Izumo afin d’avoir la maîtrise sur tout l’est de l’Ukraine. Au sud, les forces russes ont pris le contrôle de la périphérie est de la ville portuaire de Marioupol.
Au lieu d’un assaut brutal, la ville est soumise à une pression terrestre, graduelle et progressive, afin de la forcer à se rendre, si tant est qu’elle puisse le faire. A ce stade, il n’est pas encore possible de déterminer si la priorité de cette opération est Odessa. A ce stade, on peut considérer que l’opération spéciale est à mi-parcours. Les russes préviennent les occidentaux que les convois d’armes à destination des ukrainiens seront des cibles d’attaque surtout qu’un cessez le feu n’est pas d’actualité.

Dimanche, à l’aube, des avions de chasse russe venus de Saratov, au sud-ouest de la Russie, ont bombardé une base militaire à la frontière polonaise avec des missiles de croisière, centre d’accueil et d’entrainement pour les milliers de combattants étrangers venus des pays d’Europe. Les autorités russes ont déclaré que « 180 mercenaires étrangers » avaient été tués et qu’un grand nombre d’armes fournies par des puissances étrangères avaient été détruites.

Le porte-parole du ministère russe de la défense, Igor Konashenkov, a déclaré au cours d’un briefing que la Russie continuerait ses attaques contre les mercenaires étrangers. Le vice-ministre russe des affaires étrangères, Serguei Ryabkov, a déclaré samedi que Moscou a averti Washington qu’orchestrer la livraison d’armes issues de plusieurs pays en Ukraine n’est pas seulement une action dangereuse – mais que cela faisait de ces convois des cibles légitimes. Cependant, la Russie n’attaquera pas l’OTAN, évitant tout contact.

La Russie, dont l’existence même est en danger, n’a pas d’autre alternative qu’aller de l’avant, contrairement aux européens et américains, qui sont interventionnistes. Le récit occidental fait état d’une guerre impopulaire tout en soulignant le manque d’adhésion du public russe aux causes du conflit. Pourtant le peuple russe comprend les enjeux religieux, raciaux et culturels des luttes actuelles, bien que l’occident souhaite les occulter.

Le fait que les serbes des Balkans se rallient aux russes en dit long. Le démembrement de la Yougoslavie opéré par l’OTAN en 1999 est encore un souvenir douloureux. N’était-ce pas là, la raison pour laquelle un certain nombre de serbes prirent part aux combats dans le Donbass en 2014-2015 ? L’Ouest est dans l’illusion lorsqu’il s’imagine que Poutine opère sans soutien politique. La politique de Poutine est toujours fondée sur le soutien dont il bénéficie du peuple russe. Si l’on se fie à l’histoire, les russes s’adapteront à la « nouvelle normalité » de leur vie quotidienne. Pour les peuples slaves, en tant qu’entité, ce qui ce qui se passe a tous les attraits d’une « guerre sainte » contre l’occident. Et les guerres saintes n’ont pas de date d’échéance. Le peuple slave est tout à fait transparent. A Belgrade, des milliers de personnes se sont rassemblées pour apporter leur soutien à la Russie, scandant « Les serbes sont avec les russes ! » en brandissant des drapeaux de la Russie Tsariste aussi bien que serbes.

Le Président serbe, Aleksandar Vucic, a récemment déclaré que « quoi qu’il puisse arriver, 85% de la population serbe apporterait son soutien à la Russie. C’est une réalité que je dois prendre en considération en tant que président. »

En outre, les volontaires issus des Balkans seront considérés comme vétéran de guerre à leur retour. Le nationalisme serbe pourrait remettre en cause l’indépendance du Kosovo ou d’autres états plus à l’ouest des Balkans, éventuellement sources de nouveaux conflits sur le sol européen.

Actuellement, la Bosnie-Herzégovine fait face aux conséquences de l’absence de vision à long terme des accords de Dayton instituant une gouvernance tripartie entre bosniaques serbes de confession orthodoxe, musulmans bosniaques et catholiques croates. A cela s’ajoute, des luttes pour plusieurs sphères d’influences qui se chevauchent dans les Balkans occidentaux.

Mercredi dernier, le président Vucic, a une nouvelle fois, alerté sur les conséquences dramatiques pour son pays généré par la guerre en Ukraine. Au côté de la Biélorussie, la Serbie est le seul pays européen à refuser d’imposer les sanctions à la Russie, bien que sa candidature à une intégration au sein de l’Union Européenne l’oblige à un alignement sur la politique étrangère celle-ci.

M. K. Bhadrakumar

Traduit par Toma, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

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