Par Moon of Alabama – Le 5 mai 2022
Les forces militaires russes écrasent les forces terrestres ukrainiennes en faisant un usage intensif de l’artillerie lourde. L’artillerie ukrainienne a été détruite ou manque de munitions. Les forces ukrainiennes ont reçu l’ordre de rester sur leur position et de tenir la ligne de front. Cela ne fait que garantir que les frappes de l’artillerie russe les détruiront.
L’ordre a été donné parce que l’“Occident” a poussé le président ukrainien à ne pas faire la paix avec la Russie. La conséquence sera la destruction assurée de l’armée ukrainienne.
D’aucuns prétendent que la progression russe en Ukraine est lente, voire stoppée :
La semaine dernière, les États-Unis ont estimé que les troupes russes progressaient “lentement et de manière inégale” dans le Donbass, souvent de “plusieurs kilomètres … par jour, simplement parce qu’elles ne veulent pas trop s’éloigner de leurs lignes logistiques et de soutien”, a déclaré un haut fonctionnaire américain aux journalistes.
Mais dans ses rapports quotidiens, l’Institut pour l’étude de la guerre a noté que les forces russes n’ont effectué aucune attaque terrestre confirmée lundi ou mardi. Il indique qu’une frappe d’artillerie ukrainienne, le 30 avril, sur un quartier général de commandement russe près d’Izium a ralenti la poussée russe, et note que, plus au nord, une contre-attaque ukrainienne, lundi, a repoussé les forces russes de 25 miles à l’est de Kharkiv.
Ces affirmations ne résistent pas à la réalité. Comme Clausewitz l’a écrit à propos du Schwerpunkt dans “On War” :
Quel que soit l’élément central de la puissance de l’ennemi – le point sur lequel vos efforts doivent converger – la défaite et la destruction de sa force de combat restent la meilleure façon de commencer, et dans tous les cas, ce sera un élément très important de la campagne.
En nous basant sur l’expérience générale, les actes que nous considérons comme les plus importants pour la défaite de l’ennemi sont les suivants :
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La destruction de son armée, si elle est significative.
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S’emparer de sa capitale si elle n’est pas seulement le centre de l’administration mais aussi celui de l’activité sociale, professionnelle et politique.
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Porter un coup efficace à son principal allié si celui-ci est plus puissant que lui.
Étant donné que l’armée russe a pour mission de démilitariser l’Ukraine, selon la première tâche de Clausewitz, c’est ce qu’elle fait.
La Russie utilise les meilleurs moyens disponibles pour détruire l’armée ukrainienne. Sur le terrain, cela signifie une utilisation massive, systématique et impitoyable de l’artillerie.
Les rapports sur le moral élevé des soldats ukrainiens qui stoppent les avancées russes sont des vœux pieux quand on les compare à la réalité du champ de bataille.
Extrait de la préface du livre King of Battle : Artillery in World War I (également ici) :
L’artillerie a dominé les champs de bataille de la Première Guerre mondiale. Cela s’est manifesté de diverses manières, depuis les genres de blessures et les données cliniques des médecins, jusqu’aux mémoires, journaux intimes et lettres, en passant par les changements de doctrine militaire après la guerre. Aucune nation ayant connu des combats terrestres importants ne supposerait allègrement que le moral puisse remplacer la puissance de feu. L’artillerie a même la distinction douteuse de causer un nouveau diagnostic, le traumatisme dû aux bombardements.
Le moral ne peut pas remplacer la puissance de feu. Le moral est détruit lorsque les soldats sont soumis à des tirs d’artillerie concentrés. La Russie en tire beaucoup.
Comme je l’ai écrit il y a une semaine après avoir lu le rapport militaire russe du jour :
Les quelque 1 000 missions d’artillerie effectuées au cours des dernières 24 heures et des jours précédents témoignent d’intenses préparatifs en vue des prochaines attaques par les forces mécanisées russes. Dans l’ensemble, c’est l’artillerie qui fera le plus de dégâts aux troupes ukrainiennes. Au cours de la Seconde Guerre mondiale et d’autres guerres mécanisées modernes, environ 65 % de toutes les pertes ont été causées par des frappes d’artillerie. Le taux actuel du côté ukrainien sera probablement plus élevé.
Il y avait à l’époque peu d’articles sur la situation de l’artillerie sur la ligne de front ukrainienne. J’en ai trouvé trois qui sont sortis depuis. Ils montrent ce que la puissance de l’artillerie fait à une armée et confirment mon point de vue précédent.
Tout d’abord, un article de Politico qui a été publié le jour même où j’écrivais ce qui précède et qui a été ajouté à sa mise à jour. Les citations les plus frappantes :
“La situation est très mauvaise, [les forces russes] utilisent la tactique de la terre brûlée”, a déclaré par texto cet homme de 31 ans, marié et père de deux enfants. “Ils détruisent tout simplement tout avec l’artillerie, en bombardant jour et nuit”, a déclaré [le lieutenant Ivan Skuratovsky] par texto. …
La veille, il a déclaré à POLITICO que ses soldats étaient bombardés par des obusiers, des mortiers et des systèmes de roquettes à lancement multiple russes “tous en même temps”. Quelques heures auparavant, dit-il, ils avaient été attaqués par deux avions de guerre Su-25, “et notre journée est devenue un enfer”.
Un article de l’AFP, publié le 30 avril, nous apprend ceci :
Les troupes russes dans l’est de l’Ukraine, dans la région du Donbass, sont passées d’une stratégie de rouleau compresseur à une stratégie consistant à éroder sans relâche leurs adversaires dans l’espoir de les écraser.
L’armée ukrainienne n’a guère d’autre choix que d’essayer de bloquer son ennemi, plus grand et mieux équipé, dans les plaines tentaculaires du Donbass, où l’artillerie est reine. …
Le pessimisme quant aux chances de repousser les Russes semble se répandre. …
Bien qu’ils tiennent bon sur le champ de bataille, de nombreux soldats d’infanterie ukrainiens admettent se sentir dépassés.
“Viking”, un sergent-chef de 27 ans qui a combattu à Kreminna, a déclaré que ses camarades sont épuisés et attendent l’ordre de se retirer.
“Si c’était une guerre entre forces d’infanterie, nous aurions une chance. Mais dans cette zone, c’est avant tout une guerre d’artillerie et nous n’avons pas assez d’artillerie”, dit-il.
“Pour 300 obus qu’ils tirent, nous en tirons trois”.
Et ceci, tiré du Christian Science Monitor d’hier :
L’équipe d’artillerie ukrainienne était en train de prendre position dans le nord du Donbass, le long de la ligne de front près d’Izium. Les soldats n’ont même pas eu le temps d’orienter leurs canons qu’ils ont été découverts par un drone russe.
Les premiers obus russes de 152 mm, tirés par des obusiers situés à plus de 15 km, ont atterri près des canons ukrainiens. Alors que l’équipe d’artillerie courait pour se mettre à l’abri, son véhicule a été touché et a commencé à brûler.
Le conducteur, grièvement blessé, a foncé dans les buissons alors que les obus pleuvaient. Les survivants se sont échappés à pied, courant à découvert à travers champs.
Roman, un jeune artilleur portant une courte barbe tachetée, se souvient des événements depuis sa chambre dans un hôpital militaire sombre de Kramatorsk, les yeux vitreux et une perfusion intraveineuse dans le bras gauche, alors qu’il se remet d’une commotion due à l’explosion. Il n’a donné que son prénom, conformément aux règles militaires ukrainiennes applicables aux soldats blessés.
La plus grande surprise pour lui ? “Que je sois encore en vie ici, après ce bombardement”, dit-il sans enthousiasme, en fermant les yeux et en s’allongeant sur son lit. …
La Russie a intensifié ses bombardements dans une tentative apparente d’avancer sur la région orientale à partir de l’axe Izium, au nord, Kherson et Zaporizhzhia au sud. Le mouvement en tenaille cherche à couper certaines des forces ukrainiennes les plus aguerries …
Dans l’unité de Roman, le conducteur est mort, le commandant est en soins intensifs, un autre artilleur est blessé par des éclats d’obus, et les autres sont commotionnés, comme Roman. …
“Leur artillerie ne s’arrête jamais, jamais”, dit le commandant adjoint du bataillon ukrainien du Donbass, un major qui n’a donné que le surnom de Kot (Chat). Il parle à Slaviansk avec une cagoule couvrant son visage, alors qu’une sirène de raid aérien retentit dans la ville.
“Ils changent de stratégie, mais c’est toujours ce que nous attendons de la Russie”, déclare le major Kot. Il n’y a plus de longues colonnes vulnérables : “Ils envoient d’abord des unités de reconnaissance, puis tirent des obus d’artillerie, et enfin lancent les chars”, dit-il. “Si ces chars sont détruits, ils en envoient d’autres”. …
“Nous manquons vraiment d’artillerie lourde”, déclare le sergent ukrainien Viktor Davydov, en parlant rapidement des besoins de l’Ukraine, après être revenu dans la ville de Druzhkivka depuis le front, où il dit que les frappes d’artillerie russes se poursuivent “24 heures sur 24, 7 jours sur 7”.
“Quand la Russie tire 200 obus sur nous, nous en tirons 10 sur eux”, explique le sergent Davydov, qui porte des lunettes de soleil, un pistolet sur la cuisse et une épaulette à tête de mort aux couleurs bleu et jaune du drapeau ukrainien.
Son travail consiste à emmener les hommes fraîchement mobilisés sur le front “pour leur montrer qu’il ne faut pas avoir peur” et leur apprendre “comment creuser et créer des positions défensives très efficaces” pour compenser le déséquilibre de la puissance de feu avec la Russie.
“Je leur dis que tout ce qu’ils ont à faire, c’est de tenir notre ligne, et de ne pas reculer”, explique le sergent Davydov. Le coût peut être élevé. Le sergent se souvient qu’à la fin du mois d’avril, 10 recrues lui ont été envoyées une nuit, à 23 heures. À 6 heures du matin, deux étaient mortes et trois blessées par l’artillerie russe.
Le Parlement ukrainien a récemment modifié la loi afin que les forces de défense territoriale ukrainiennes, comparables au Volkssturm allemand, puissent désormais être utilisées dans tout le pays. Les habitants de l’ouest de l’Ukraine qui se sont portés volontaires pour ces unités dans l’espoir d’éviter d’être enrôlés dans l’armée vont maintenant être envoyés sur la ligne de front du Donbass où l’artillerie russe va les exploser.
Les États-Unis ont envoyé une centaine d’obusiers en Ukraine et un nombre similaire de pièces d’artillerie diverses proviendront d’autres pays de l’OTAN. Plusieurs problèmes se posent à cet égard.
Le premier problème est la formation. Les obusiers ne peuvent pas être utilisés par des novices. Combien d’Ukrainiens ayant une expérience de l’artillerie sont encore en vie ?
Livrés à la frontière ouest-ukrainienne, les canons devront être transportés sur 1 000 kilomètres (600 miles) vers l’est. Leurs munitions lourdes, et l’artillerie a besoin de beaucoup, devront faire le même trajet.
La Russie a maintenant détruit un total de 16 sous-stations électriques le long des lignes ferroviaires. Hier, la Russie a endommagé un important pont ferroviaire sur le Dniepr. Un autre pont ferroviaire sur la ligne reliant la Roumanie à Odessa a été complètement détruit.
L’Ukraine ne peut donc utiliser que ses quelques locomotives diesel pour transporter les canons et les munitions. Ce qui arrivera sur le front oriental sera trop peu et trop tard.
Ces derniers temps, la Russie s’était fixée comme priorité de détruire l’artillerie ukrainienne. Le briefing d’hier soir du ministère russe de la Défense indiquait :
Les missiles de haute précision des forces aérospatiales russes ont détruit pendant la journée : 4 batteries d’artillerie en position de tir, 3 dépôts de munitions près de Mirnaya Dolina, Bakhmutskaya et Tashkovka, 20 zones de concentration de soldats et d’équipements militaires, et 1 station radar de contre-batterie de fabrication américaine près de Popasnaya. …
Les troupes de missiles et l’artillerie ont touché 1 batterie ukrainienne de lance-roquettes multiples BM-21 Grad en position de tir, ainsi que 83 zones de concentration de soldats et d’équipements militaires.
Une batterie est une unité d’artillerie de la taille d’une compagnie (~100 hommes) comportant généralement 6 canons. La batterie est utilisée comme une unité de tir, ce qui signifie que tous ses canons tirent en même temps et sur la même cible.
Le briefing d’aujourd’hui fait état de nouvelles pertes d’artillerie ukrainienne :
Les troupes de missiles ont touché 2 postes de commandement des FAUs, 1 batterie d’artillerie en position de tir, ainsi que 2 lanceurs et 1 véhicule de transport et de chargement du système de missiles tactiques Tochka-U pendant la nuit.
Les unités d’artillerie ont touché 32 postes de commandement, 5 dépôts de munitions, 403 bastions, des zones de concentration de soldats et d’équipement militaire, et 51 positions d’artillerie ukrainiennes.
Il s’agit de six batteries ukrainiennes, chacune étant très probablement équipée de six canons ou de plusieurs lance-roquettes, détruites en seulement 24 heures. Les canons américains qui atteignent la ligne de front connaîtront un sort similaire.
Au total, l’armée russe affirme avoir détruit “325 systèmes de lance-roquettes multiples, 1 306 pièces d’artillerie de campagne et mortiers” pendant la guerre.
Un nouveau participant à ces combats d’artillerie sont les drones qui sont utilisés des deux côtés pour diriger les tirs d’artillerie sur les positions ennemies. L’armée russe affirme avoir abattu 20 drones ukrainiens au cours des dernières 24 heures, soit un total de 726.
Les briefings affirment que les forces russes ont “éliminé” jusqu’à 900 “nationalistes” au cours des dernières 24 heures. Ce chiffre est peut-être surévalué, mais compte tenu de l’utilisation massive de l’artillerie, il est tout à fait plausible.
Sans le soutien de l’artillerie en quantité suffisante, l’armée ukrainienne n’a aucune chance de tenir la ligne de front et d’arrêter les mouvements russes. Toute unité qui tente de tenir sur le front sera simplement malmenée par l’artillerie russe jusqu’à ce qu’elle ne soit plus capable de se battre. C’est ce qui se passe actuellement. Comme les Ukrainiens ont l’ordre de ne pas quitter ou déplacer leurs lignes de défense, ils doivent soit déserter, soit mourir en les défendant.
En donnant l’ordre de “tenir la ligne de front”, les dirigeants ukrainiens contribuent à l’objectif russe de démilitarisation de l’Ukraine.
Pourquoi font-ils cela ? La situation de l’Ukraine est désespérée et ce, depuis un certain temps. Pourquoi son président Zelensky n’a-t-il pas abandonné ? Pourquoi n’accepte-t-il pas les conditions de paix de la Russie ?
Nous pouvons trouver la réponse dans un article publié aujourd’hui dans la Pravda ukrainienne (traduction automatique) :
Après l’arrivée du Premier ministre britannique Boris Johnson à Kiev, une éventuelle rencontre entre le président ukrainien Vladimir Zelensky et le président russe Vladimir Poutine est devenue moins probable. …
Selon des sources de l’UP proches de Zelensky, le Premier ministre britannique Boris Johnson, qui est arrivé dans la capitale presque sans prévenir, a apporté deux messages simples.
Le premier est que Poutine est un criminel de guerre, qu’il faut faire pression sur lui, et non pas négocier avec lui.
Et deuxièmement, si l’Ukraine est prête à signer des accords de garanties avec lui, alors il n’y aura pas de garanties.
Cette position de Johnson témoigne d’une chose : l’Occident collectif, qui, en février, proposait à Zelensky de se rendre et de s’enfuir, estime désormais que Poutine n’est pas du tout aussi omnipotent qu’on l’imagine, et qu’il y a là une occasion de pression sur lui.
Trois jours après le départ de Johnson pour le Royaume-Uni, Poutine déclarait publiquement que les pourparlers avec l’Ukraine “sont dans l’impasse.”
C’est donc l’“Occident” qui empêche Zelensky de demander la paix.
L’“Occident” se laisse prendre à sa propre propagande. Il croit que les troupes russes près de Kiev ont été vaincues par les forces ukrainiennes. En réalité, elles se sont retirées en bon ordre après que la diversion qu’elles constituaient ne soit plus nécessaire. Le conte de fées “occidental” selon lequel elles ont été “vaincues” a donné l’espoir que la Russie pourrait être “affaiblie”, comme l’a déclaré le secrétaire d’État américain.
La guerre ne va guère “affaiblir” la Russie. Mais la guerre va détruire l’armée ukrainienne et beaucoup, beaucoup de ses hommes.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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