Les États-Unis en plein délire

Paul Craig RobertsPar Paul Craig Roberts – Le 31 janvier 2015 – Source Paul Craig Roberts

 

Robert Parry est un de mes éditorialistes préférés. Il est crédible et honnête, il possède un grand sens de la justice et il a du punch. Il fut, tout comme moi, un journaliste mainstream, mais nous étions trop intègres pour eux. Ils nous ont foutus à la porte.

Je ne peux pas dire que Parry ait toujours été un de mes journalistes préférés. Durant les années 1980, il s’est beaucoup occupé de Reagan. De par mon expérience au sein des conseils d’administration, j’ai appris que les PDG savent à peine ce qui se passe dans leur entreprise. Il y a trop de gens et trop de programmes représentant trop d’agendas. Pour des présidents de pays aussi grands que les États-Unis, il se passe bien plus de chose que ce qu’un président a le temps d’apprendre, même s’il pouvait avoir les bonnes informations.

A mon époque, le Secrétaire Assistant et le chef du personnel étaient les gens les plus importants parce qu’ils contrôlaient le flux d’information. Les présidents doivent se focaliser sur la quête de fonds pour assurer leur réélection et pour leurs soirées. Ils consacrent plus de temps et d’énergie en formalités, en rencontres avec des dignitaires et en événements médiatiques. Au mieux, un président ne peut prendre le contrôle que de deux ou trois sujets. Si une clique organisée comme celle des néoconservateurs arrive à obtenir des postes d’autorité variés, ils peuvent en fait créer la réalité et retirer le gouvernement des mains du président.

Comme je l’a rapporté à plusieurs reprises, mon expérience avec Reagan m’a laissé avec la conclusion qu’il s’intéressait seulement à deux sujets. Il voulait arrêter la stagflation et il avait besoin des économistes de l’offre qui avaient la solution, et il voulait mettre fin à la guerre froide, non la gagner,

Ces deux objectifs l’ont mis en désaccord avec deux des groupes d’intérêts privés les plus puissants aux États-Unis: Wall Street et le complexe militaro-sécuritaire.

Wall Street s’opposait en grande partie au programme économique de Reagan. Il s’y opposait parce qu’il le comprenait comme une pompe d’amorçage de déficits qui ferait exploser un taux d’inflation déjà élevé, ce qui conduirait les prix des obligations et des titres vers le bas.

La CIA et les militaires s’opposaient à ce que l’on mette fin à la guerre froide à cause de l’impact évident que cela aurait eu sur leur puissance et leur budget.

Les journalistes de gauche n’ont jamais saisi cela, ni d’ailleurs les journalistes de droite.

La gauche ne pouvait pas suivre la rhétorique de Reagan. Pour elle, Reagan, c’était la théorie du trickle-down [arrosez les riches et l’argent ruissellera vers la base, NdT], l’affaire Iran/Contra et les contrôleurs aériens licenciés.

La droite aimait la rhétorique de Reagan et l’accusait de ne pas la mettre en pratique.

Pour la gauche, les années Reagan furent une époques traumatisante. Robert Parry ne s’en est jamais remis. Il peut difficilement écrire une colonne sur les événements actuels, qui en comparaison sont abominables, sans y mettre Reagan. Parry ne le réalise pas, mais si tout était de la faute de Reagan, il n’y a pas besoin de considérer Clinton, Bush 1 et 2 et Obama comme responsables.

En finissant d’écrire ces lignes, j’anticipe déjà les dénonciation qui me viseront pour m’accuser d’essayer à nouveau de réhabiliter Ronald Ray-gun. Reagan n’ a pas besoin d’être réhabilité. Cet éditorial n’est pas au sujet de Reagan et il n’est pas non plus une critique de Parry. Il s’agit d’une louange pour un article de Parry: Group-thinking’ the World into a New War. [Pensée unique, le monde entre dans une nouvelle guerre]. Lisez-le (en anglais).

Depuis Milosevic (et même avant), le schéma a toujours été de diaboliser un chef d’État et d’amener les États-Unis à entrer en guerre pour se débarrasser de lui. Ainsi, on arrive à ses objectifs sous couvert de la nécessité de renverser un dirigeant mauvais ou dangereux.

Parry décrit cela très bien. La pensée de groupe [pensée unique, NdT] joue un rôle important pour empêcher toute dissension, jeter la suspicion et le discrédit sur ceux qui cherchent à dédiaboliser la personne visée ou à examiner quels sont réellement les objectifs recherchés.

C’est maintenant au tour du Président Vladimir Poutine d’être diabolisé. Parry, moi même et Stephen F. Cohen, l’expert russe le plus fiable, nous considérons que Poutine n’est pas Saddam Hussein et que la Russie n’est pas l’Irak, la Libye, la Syrie, la Serbie ou l’Iran. Fomenter un conflit avec la Russie qui pourrait conduire à une guerre est plus qu’irresponsable. Pourtant, comme l’écrit Parry, « depuis le début de la crise ukrainienne à l’automne 2013, le New York Times, le Washington Post et virtuellement tous les médias de masse étas-uniens se sont comportés avec aussi peu d’honnêteté que durant leur course à la guerre en Irak. »

Lorsque le professeur Cohen faisait remarquer, avec justesse, que les mensonges au sujet de la Russie, de l’Ukraine et de Poutine étaient énormes, les propagandistes ont du se débarrasser de l’homme avec les faits. Le New Republic [magazine libéral américain, NdT], un passe-temps pour demeurés au faible QI, a dit du meilleur expert états-unien sur la Russie [Cohen], qu’il était «le lèche-botte états-unien de Poutine».

Selon ce que rapporte Parry, il apparaît que la pensée unique s’est répandue, depuis les médias et la communauté de la politique étrangère, au cœur des associations de recherches eurasiennes, est-européennes et slaves. La pensée unique a décidé que la carrière universitaire nécessitait l’adhésion à la ligne de propagande du gouvernement, ce qui signifie la ligne néoconservatrice.

Comme je l’ai déjà écrit à plusieurs occasions, les faits ne jouent plus aucun rôle dans la vie politique états-unienne. L’ analyse basée sur des faits disparaît aussi de la vie académique et ne joue plus aucun rôle dans les rapports économiques officiels. On a créé une matrix, une réalité artificielle, qui canalise les énergies et les ressources du pays vers un but secret qui sert les intérêts des groupes privés dirigeants et l’idéologie néoconservatrice qui les accompagne.

Le gouvernement et le peuple états-uniens ne peuvent pas affronter la réalité parce qu’ils ne savent plus ce qu’est la réalité.

Dans le monde d’illusion du narratif états-unien, les flagorneurs des néoconservateurs comme l’éditorialiste Thomas Friedman, donnent le ton de la pensée unique, alors que des experts fiables comme Stephen Cohen sont réduits au silence.

Effectivement, les États-Unis sont à la fois sourds et aveugles. Le pays vit dans un conte de fées, il va donc se détruire lui-même en engloutissant le monde avec lui.

Paul Craig Roberts

Traduit par Lionel, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone

Dr. Paul Craig Roberts a été assistant au Secrétariat du Trésor des États-Unis, chargé de la politique économique sous le gouvernement de Ronald Reagan; et éditeur associé du Wall Street Journal. Il a été journaliste pour Business Week, Scripps Howard News Service, et Creators Syndicate. Il a enseigné dans de nombreuses universités. Ses articles sur Internet sont largement suivis et reçoivent un accueil mondial. Ses derniers livres sont: The Failure of Laissez Faire Capitalism and Economic Dissolution of the West and How America Was Lost.

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