Par James Howard Kunstler − Le 7 août 2020 − Source kunstler.com
Si ce – premier ? – été de la Covid-19 a révélé quelque chose sur la version actuelle de notre civilisation, c’est l’épuisement profond d’une culture réduite à repasser, en boucle, le film de ses activités autrefois vitales. Beaucoup de choses que nous espérons voir revenir, sont probablement parties à jamais sous la forme que nous leur connaissions, même si elles finiront par revenir dans une autre configuration, à échelle réduite, mais peut-être plus fine en qualité.
Le baseball me manque terriblement, et sa triste tentative, mi-chèvre mi-chou, de présenter une saison croupion, sans âme qui vive dans les gradins, ne fait qu’amplifier le chagrin de la perte. Et pourquoi ? Je ne suis pas allé dans un stade depuis vingt ans, et je ne paierai certainement pas cent dollars ou plus pour m’asseoir à Fenway Park. J’allais à des jeux nocturnes là-bas, tout le temps, quand j’étais un bohème affamé qui écrivait pour les journaux hippie de Boston en 1972. Vous pouviez obtenir un siège décent au niveau du terrain derrière la première base pour cinq dollars. Quand j’étais enfant à Manhattan en 1960, un siège de gradin dans l’ancien Yankee Stadium était à un quart de dollar – plus 30 cents aller-retour en métro.
Il ne se signait pas non plus de contrats de joueurs à plus de 100 millions de dollars, comme assez récemment, et bien sûr, c’est un symptôme de la chute des sports professionnels dans une décadence fatale. Si le baseball essaie d’organiser une saison complète en 2021 ou 2022, il ne vendra pas beaucoup de sièges à cent dollars à une classe moyenne économiquement laminée. Les équipes seront alors en faillite et si elles survivent à la restructuration, il n’y aura pas beaucoup de joueurs à un million de dollars. Peut-être aucun. Carl Furillo, l’ailier droit vétéran du champion de la Série mondiale de 1955, les Brooklyn Dodgers, avait un travail dans la construction pendant la morte saison. Il faisait partie de l’équipe qui a construit le pont Verrazano Narrows à New York. Imaginez Mike Trout poser du placoplâtre – à supposer même que ce produit existe encore dans quelques années.
Je peux imaginer le baseball se réorganiser en deux ligues distinctes, est et ouest, pendant un certain temps, pour réduire les coûteux voyages en avion, mais même cela pourrait ne pas durer très longtemps. Si le sport professionnel survit à la tourmente politique à venir, il en sortira chamboulé, comme une chose strictement locale et régionale – et ce sera le sort de toutes les choses que nous aimons faire, et que nous devons faire. L’idiotie du football professionnel ne survivra pas du tout. Sa pépinière de talents, le sport au collège, aura disparu depuis longtemps.
L’enseignement supérieur s’est suicidé avec son double modèle de racket. Il y a d’abord eu le racket des prêts universitaires, dans lequel les écoles se sont entendues avec le gouvernement fédéral pour pousser dans le pipeline des études universitaires beaucoup trop de «clients» qui n’auraient pas dû y aller, et qui se sont retrouvés submergés par une dette à vie dont ils ne pourront plus jamais s’échapper. Le second était le racket intellectuel de la création de disciplines d’étude factices qui ont contaminé toutes les autres «sciences humaines» avec des théorie débiles empoisonnées, et ont même finalement envahi les “sciences dures”. La Covid-19 a envoyé balader tout ça en scotchant les étudiants fêtards déjantés en résidence forcée. Pour l’instant, qui a besoin d’un cours en ligne sur la Transgression sexuelle contemporaine – à 2 000 dollars – alors qu’il peut simplement cliquer sur Pornhub gratuitement ? Des centaines de collèges et d’universités cesseront leurs activités dans les années à venir.
Les perspectives des grands lycées centralisés sont également assez sombres. Les besoins insatiables des syndicats d’enseignants ne sont qu’une partie du tableau. Consolider de nombreuses petites écoles pour économiser sur les frais administratifs semblait être une bonne idée à l’époque. Mais nous nous sommes retrouvés avec des milliers d’écoles gigantesques qui ressemblent à des usines d’insecticides ou à des prisons à sécurité minimale. Ils dépendent tous des flottes coûteuses de bus jaunes pour récupérer les enfants de partout. L’ensemble du programme a abouti à une opération de garderie élaborée qui a en fait retardé le développement des jeunes en adultes fonctionnels et autonomes.
La Covid-19 et l’effondrement économique qu’elle a déclenché mettront fin à tout cela. Comment les districts scolaires vont-ils faire face à une perte épique de recettes fiscales due à tous les propriétaires en défaut de paiement sur leurs prêts hypothécaires ? Ils n’y arriveront pas. La scolarisation devra se réorganiser, et probablement à un niveau très local, les écoles à la maison devenant des groupes d’écoles voisines minuscules, et uniquement parmi les parents qui ont les capacités de lecture et de calcul nécessaires. Nous aurons de la chance si, dans des années, nous voyons naître quelque chose comme des académies locales pouvant accueillir quelques centaines d’étudiants. Je vous préviens également de ne pas trop compter sur le fait qu’Internet sera une installation permanente dans la condition humaine. Cela dépend totalement d’un réseau électrique assez fragile. Nous avons, après tout, des bibliothèques, et peut-être peuvent-elles être persuadées d’arrêter de se débarrasser de tous leurs livres.
Ces mois de Covid ont incité les Américains à passer les heures creuses du chômage et de l’anomie avec les divertissements en boîte d’Hollywood. Est-ce que tout cela pourrait aussi être fini ? Les cinémas ont déjà senti le vent avant que le virus n’atterrisse – s’appuyant sur une répétition de plus en plus pénible de films tirés de la bande dessinée – pendant que les œuvres de qualité passaient à la télévision par câble. Maintenant c’est saturé, avec les nouveaux produits pourrissant dans les ordures. Mais qui va continuer à payer pour tout cela avec un taux de chômage de 30% et en hausse ?
N’en avez-vous pas déjà marre des rediffusions de vieux classiques ? Les gens ont vraiment besoin de formes d’art narratif pour donner un sens à la réalité, mais elles doivent être à l’écoute de l’époque dans laquelle nous vivons. Mon pari serait sur le retour éventuel du théâtre en direct sur les scènes locales pour des histoires originales liées à la nouvelle réalité post-effondrement – qui ne sera pas comprise via Star Wars ou Breakfast at Tiffany’s. Broadway est fini, avec ses répétitions inlassables de vieux succès, et aussi, bien sûr, parce que New York elle-même ne fait que commencer un long voyage dans les égouts avant de pouvoir être réorganisée en un entrepôt fonctionnel. Je caresse l’idée d’investir dans les moyens de présenter des spectacles de marionnettes dans ma petite ville de bouseux.
Comme vous pouvez sûrement le constater maintenant, la tendance est au local et au minimal pour toutes ces choses. Cela peut même être vrai pour les élections nationales et la chose vénérable appelée les États-Unis d’Amérique. Le Parti Démocrate ne cherchait initialement que le suicide, mais dernièrement, il semble qu’il veuille aussi détruire complètement le pays – et il pourrait réussir au-delà de ses rêves les plus fous. Dans 50 ans, plusieurs nations américaines distinctes pourraient envoyer leurs propres champions régionaux de la ligue de baseball à une sorte de Série mondiale, si nous ne sommes pas encore en guerre les uns avec les autres.
James Howard Kunstler
Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone
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