L’Empire de la médiocrité et la fin du monde


Phil Butler

Phil Butler

Par Phil Butler – Le 12 septembre 2016 – Source New Eastern Outlook

Vladimir Poutine n’a causé de préjudice à aucun Américain. La Russie ne s’est jamais mise en travers du Rêve américain. Pour les milliardaires, cependant, ces outres américaines et britanniques pleines d’argent, les Russes constituent un obstacle insurmontable à leurs investissements. Et nous savons tous que rien ne peut empêcher leur progression. Malheureusement pour l’espèce humaine, la médiocrité ne peut pas non plus être gérée. Voici une prophétie aussi réelle que n’importe quelle «actualité» que vous verrez aujourd’hui, la conclusion qui met un terme à l’exceptionnalisme américain.

Savez-vous où se trouve la Crimée ? Je suis sérieux maintenant, une gaffe de l’aspirant à la présidence Gary Johnson [le candidat du Parti libertarien, NdT] l’autre jour a prouvé une fois pour toutes que même les Américains instruits ont une très grande carte mentale [.1 La notion de carte mentale (en anglais mental map) a été développée par la psychologie cognitive à partir des années 1950 et surtout des années 1970… Dès lors, la carte mentale n’existe pas nécessairement sous forme de carte dessinée, mais peut demeurer un outil d’interprétation donnant lieu à une description narrative] de notre monde. J’ai été d’abord étudiant en géographie puis enseignant et je peux vous dire catégoriquement que très peu de dirigeants de l’Amérique connaissent l’Histoire et la géographie des États-Unis, et encore moins les noms et les lieux. Si Johnson avait su où est Alep, une ville au nord-ouest de la Syrie, j’aurais été surpris. 99% des Américains ne pourraient pas pointer la Syrie sur une carte si leur vie en dépendait. Même les lycéens que j’ai interrogés un jour ne seraient pas capables de trouver Moscou avec certitude, ou même Saint-Louis dans le Missouri, d’ailleurs. Dites-vous que si une abeille géographe devait résoudre les crises mondiales, les États-Unis finiraient comme république bananière du Tiers-Monde. Ne me croyez pas sur parole, lisez cette étude publiée par National Geographic, ou celle-ci, de 2014, du Government’s Accountability Office [organisme d’audit du Congrès étasunien, chargé du contrôle des comptes publics du budget fédéral, NdT], ou ce rapport du Telegraph, qui montre qu’un quart des Américains ne savent même pas que la terre tourne autour du soleil. Certains d’entre vous peuvent penser que j’emprunte une voie pour évoquer, plus loin,un point Poutine [allusion au point godwin, NdT]. D’autres devraient prendre garde, les milliardaires contents d’eux ont besoin d’une punition :

«Les hommes d’un certain âge protestent trop, gambergent trop longtemps, s’aventurent trop peu, se repentent trop tôt et mènent rarement jusqu’au bout leurs affaires personnelles, se contentant de succès médiocres.» – Dale Carnegie

Maintenant, à propos de la Crimée et de l’agression russe, la population américaine est une participante totalement ignorante dans un jeu de domination mondiale. Poutine qui envoie des «petits hommes verts» en Crimée, son sauvetage d’une population russophone face aux agressions et aux tourments certains infligés par la junte nazie installée à Kiev par l’administration Obama – cette situation n’a même pas été enregistrée par mes compatriotes. Ce qui est pire, même si les Américains sont informés et s’ils comprennent ce que signifie l’éradication d’une langue et le nettoyage ethnique, se préoccuper de ce qui se passe à l’étranger n’est pas quelque chose qui se trouve sur la liste «à faire» des citoyens étasuniens. Nous sommes américano-centristes jusqu’à l’os, formés, nourris et enchaînés à une manière de penser préjudiciable au monde entier. Même lorsque les Américains sont pris en flagrant délit de stupidité sur des questions importantes, l’insanité est martelée chez eux par des mèmes et des tendances Twitter transformant notre société pitoyable en comédie. Prenez le cas de la participation au concours de Miss Teen USA en 2007 : Miss Caroline du Sud est tombée en trébuchant à cause de ses hauts talons en blâmant sa mauvaise connaissance en géographie sur le fait que les États-Unis n’ont «pas de cartes». C’était seulement amusant, une plaisanterie, et 300 millions d’Américains se sont esclaffés sur l’ignorance de Miss Upton… Mais la plaisanterie nous visait tous.

Barack Obama est cité disant : «J’ai visité 57 États, je crois.» Cinquante-sept. L’ancien vice-président Dick Cheney a une fois localisé le dirigeant vénézuélien Hugo Chavez au Pérou. Le sénateur incendiaire de la guerre civile en Ukraine, John McCain est allé à la TV nationale pour proclamer que l’Irak borde le Pakistan. L’ancien président Gerald Ford a perdu une élection lorsqu’il a proclamé que sous son mandat, l’URSS ne dominerait jamais l’Europe de l’Est. Le candidat à la présidence Mitt Romney a annoncé que l’Iran était l’allié de la Syrie uniquement pour que le premier puisse accéder à la mer alors qu’aucun des deux pays n’est enclavé ! George Bush pensait que l’Afrique est un pays, Obama pense que l’océan Atlantique est le golfe du Mexique, et que Vladimir Poutine est sur le point de l’envahir ??? Ignorance, tous les enfants sont touchés, les Américains sont vraiment un troupeau de moutons.

«Il y a toujours une forte demande pour une médiocrité renouvelée. Dans chaque génération, c’est l’esprit le moins raffiné qui a le plus grand appétit.» – Paul Gauguin

Et l’appétit de l’Amérique ne peut plus être assouvi, voici Hillary Clinton et Donald Trump. La médiocrité fabriquée est une idée sur laquelle le premier à avoir attiré mon attention est mon frère Tony Joyce, un ingénieux autodidacte qui a fait son chemin vers le haut, franchissant tous les obstacles que peut franchir un être humain. La médiocrité fabriquée est la paresse naturelle d’une société qui réussit, croisée avec un procès à l’intelligence. C’est aussi un sujet que des experts comme Dr. Joe A. Mann, et d’autres, ont traité. Le cas le plus notable que j’ai trouvé est ce rapport de la Harvard Business Review, qui caractérise les Américains comme étant dominés par un trouble de déficit de la réalité. Ne vous méprenez pas, il y a des montagnes de preuves que l’Amérique est devenue le pays d’incurables stupides malheureux, mais les écrits étonnants de l’auteur Umair Haque nous giflent en plein visage. «L’Amérique excelle dans la médiocrité», c’est la vérité indéniable avec laquelle nous devons nous colleter. Son reportage nous ramène brutalement à la réalité : «En quoi l’Amérique est-elle encore la meilleure dans le monde ?» Ne devinez pas, ne fantasmez pas, prenez le temps de réfléchir précisément à quoi nous excellons aujourd’hui – ensuite estimez-en la valeur, considérez le long terme, et comprenez le destin pitoyable de notre nation.

Mais je dois vous dire pourquoi, plutôt que de faire pénétrer à coup de marteau la réalité dans votre tête. Googlez «Amérique médiocre» et lisez vous-mêmes – oui, lisez, faites partie de la solution. Il est simple de connaître la raison pour laquelle le monde entier doit comprendre le déclin de l’Amérique.

Si nous coulons, nous entraînons quelques milliards d’humains avec nous

Cet article de Town Hall, écrit pendant la campagne de Barack Obama pour obtenir un second mandat à la présidence, résume tout ce qui ne va vraiment pas avec notre système. Les raisons profondes pour lesquelles nous allons échouer y sont – si on veut bien lire soigneusement et réfléchir. Barack Obama est le dirigeant le plus médiocre de notre histoire, étant donnée la position des États-Unis, lorsqu’il est entré en fonction – aucun empire ou pays n’avait plus de potentiel pour effectuer un changement positif [certains ont même imaginé un American Gorbatchev, NdT]. Mais le seul changement que nous avons vu se résume à une prise de contrôle de l’extrême-gauche dans les lycées, les médias et à Hollywood. La force du narratif dont sont nourris les Américains s’écarte si ignominieusement de la vérité, que c’en est inconcevable pour une âme sensible. Les nouvelles brutales de la réalité et la vérité n’attirent plus, la géographie et même l’Histoire sont ouvertes à de nouvelles interprétations – l’Amérique est droguée à la soumission – et presque personne ne peut y échapper. Les sucres d’orge mentaux, cette «mélasse» qui recouvre la psyché américaine, est la substance la plus mortelle que l’Univers ait jamais connue.

Pour citer l’auteur John Hawkins :

Le New York Times, le Washington Post, ABC, NBC, CBS, CNN, MSNBC, etc., etc., etc. agissent comme des attachés de presse pour le Parti démocrate. Quelle que soit l’histoire que les Démocrates veulent faire croire, ils la propagent. Les histoires qui sont mauvaises pour la gauche sont soit totalement ignorées, soit traitées comme insignifiantes. Lorsque les législateurs conservateurs de l’État aident à financer des lycées publics qui enseignent aux enfants à les haïr et que les conservateurs regardent des émissions de télévision, des films et des réseaux d’information par câble salissant leurs convictions dans un journal du matin qui se moque de Dieu et regarde de haut les gens aux valeurs traditionnelles, il n’est pas surprenant que la gauche ait un immense avantage. Vladimir Lénine a dit une fois : «Les capitalistes nous vendront la corde avec laquelle nous les pendrons», et aujourd’hui, les conservateurs financent les gens mêmes qui pendent notre pays par le cou jusqu’à ce que mort s’ensuive.

L’auteur cité ci-dessus défend ardemment une opinion de droite, mais l’Amérique a besoin de revenir au centre. Vous souvenez-vous de ce que j’ai dit : «L’Amérique ne sombrera pas toute seule» ? Eh bien, l’humanité ne peut pas se permettre un autre effondrement total, nous ne pouvons pas survivre à une nouvelle «chute de Rome» – parce que ces Romains [d’aujourd’hui] brûleront la terre pour de bon. La situation est comme ça. Les réfugiés de couleur sont dans la ligne de mire, ils prennent la place des juifs pour un nouvel holocauste. L’islam est l’ennemi, tout comme la Russie et Vladimir Poutine, et les Chinois sont aussi un ennemi de couleur. L’exceptionnalisme américain est une réalité, mais pas une description positive. Nous sommes exceptionnellement stupides, exceptionnellement impitoyables, exceptionnellement égoïstes et avides, une nation avec une seule intention – manger, exploiter et épuiser – nous pourrions aussi bien continuer en l’admettant.

«Les années à venir se révéleront de plus en plus cyniques et cruelles. Les gens ne vont certainement pas se pardonner en s’embrassant les uns les autres. Le stade final de la vie de l’humanité sera marqué par la guerre monstrueuse de tous contre tous : la quantité de souffrance sera maximale.» Pentti Linkola, Can Life Prevail ? [La vie peut-elle l’emporter ?]

Lorsque la bulle éclatera enfin, lorsque ces hommes et ces femmes médiocres qui nous dirigent feront finalement défaut, une nation aussi dépendante de l’excès et de l’excentricité s’effondrera complètement. Prenez le dollar, par exemple. Que faire si notre politique à l’égard de la Russie et de la Chine est erronée ? Que se passera-t-il si l’Union économique eurasienne réussit à remplacer le dollar comme moyen d’échange ? Une miche de pain pourrait coûter 20 dollars. L’approvisionnement de milliers de produits pourrait être impossible. Une véritable nouvelle Grande Dépression pourrait frapper en une nuit ! Beaucoup de gens ont tiré la sonnette d’alarme à ce propos, mais peu ont prophétisé ce que les Américains feraient. Nous ne nous soucions pas d’arrêter l’assassinat de millions d’enfants dans des pays lointains. La Crimée est un mot pour le buzz sur CNN, afin de justifier une nouvelle guerre froide. La Syrie est l’Irak ou l’Afghanistan, un endroit où des «têtes enturbannées» sont coupées – qui s’en soucie ? Mais l’essence à cent dollars le gallon, les rayons d’épicerie vides et les soupers aux chandelles sont des sensations assez hollywoodiennes pour que les Américains en discutent, buvant une bière et en mangeant un hot-dog, à la mi-temps du Super Bowl du dimanche. Qu’arrivera-t-il si tout cela devient quand même une réalité ?

Quiconque assume la charge à la Maison Blanche en ce moment de l’Histoire sera averti. Ramenez-nous à la normale, redonnez-nous notre télévision par câble, peu importe le coût, nucléarisez qui vous voulez, mais rendez-nous seulement nos vies ! Vous devez voir arriver la fin de tout cela, je le sais. Poutine n’a attaqué personne. Les musulmans ne sont pas le problème. Ni le républicanisme ni le stoïcisme démocrate ne nous défendront contre nous mêmes. La médiocrité ne peut pas gouverner, mais au XXIe siècle, elle peut tous nous anéantir. Je vous laisse avec le fondement de notre extinction collective, la raison pour laquelle des gens comme Obama, Clinton ou Trump envoûtent les masses, voici :

«La plus grande partie de notre sagesse ordinaire est conçue pour l’usage par des gens médiocres, pour les décourager de tentatives ambitieuses, et généralement les conforter dans leur médiocrité.» – Robert Louis Stevenson

Phil Butler est un chercheur et analyste politique, un politologue et un expert de l’Europe de l’Est, exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Catherine pour le Saker francophone

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