Le sommet Afrique-France de Macron : la stratégie ratée de “blackwashing” de la Françafrique


Par François d’Avenel − Le 27 octobre 2021 − Source strategika.fr

Emmanuel Macron a tenté de sauver l’influence française en Afrique actuellement en difficulté1, par la mise en scène artificielle d’un « dialogue avec la société civile ». En réalité, comme nous l’exposions dans notre précédent article2, le problème ne peut être résolu sans un abandon déterminé du néocolonialisme destructeur tant pour les Africains que pour les Français.

Une opération de séduction pour masquer le continuum de la Françafrique

Le sommet Afrique-France s’est tenu à Montpellier le 8 octobre dernier. Pour la première fois, le sommet traditionnel s’est tenu dans un format spécial. Le président français Emmanuel Macron a choisi de ne pas rencontrer ses homologues africains mais des représentants de la société civile, non seulement africaine mais aussi des diasporas africaines en France.

Avant le sommet, des déclarations fracassantes ont été faites sur la relance des relations franco-africaines, la volonté d’écouter la voix de la jeunesse africaine, d’engager le dialogue avec la société civile et ainsi de suite. Cependant, une évidence ressort de ce forum : il n’y a pas eu de dialogue mais un monologue.

En effet, malgré l’habillage cosmétique post-moderne et très « société ouverte » de l’évènement, la société civile africaine a en fait eu une vision très négative de ce sommet. Même les Africains sélectionnés pour participer au sommet ont accusé la France de « racisme » et de manque de démocratie, cela au cœur même de l’évènement. Par exemple, Adèle Onyango, une figure médiatique kenyane, qui a déclaré devant Macron que la France : « est elle-même enlisée dans des questions de racisme, et elle vient nous donner des leçons de démocratie ? Nous trouvons ça un peu arrogant »3

À l’extérieur du lieu du sommet, des protestations ont eu lieu4 et un contre-sommet5 alternatif a même été organisé.

Des intellectuels de la République du Tchad ont quant à eux écrit une lettre ouverte aux organisateurs du forum, les accusant de tenter de masquer la violation de souveraineté des puissances africaines :

Ainsi donc, au regard des réalités susmentionnées, nul doute que le sommet de Montpellier s’inscrit dans la droite ligne des précédents et ne représente aucune évolution dans les relations ambiguës jusque-là entretenues par les autorités françaises. Tant que les Français ne se poseront pas de questions sur leur avenir en tant que nation-lumière, la France-Afrique aura de beaux jours devant elle avec des Autorités adoubées par la France et rejetées par leurs populations.6

Panafricaniste bien connu, l’activiste Kémi Séba a commenté ainsi la participation au Sommet d’intellectuels et personnalités africaines :

Mon problème, ce n’est même pas Macron, mais la participation idiote de ces quelques africains, triés sur le volet, assoiffés de reconnaissance, et qui sans s’en rendre compte, participent au narratif du renouvellement du néocolonialisme français.7

Lors du sommet Afrique-France, Macron a annoncé la création d’un « fonds d’innovation pour la démocratie en Afrique ». La France investira 30 millions d’euros dans cette structure sur trois ans. Une autre initiative a été la création d’un fonds préliminaire de dix millions d’euros pour aider les start-ups et les entreprises numériques africaines dans le cadre du projet Digital Africa8.

Cependant, les Africains n’ont pas apprécié la « générosité » de Macron. Selon Kémi Séba, il s’agit ici de reformater la Françafrique, d’un projet oligarchique vers un projet néolibéral :

La Françafrique au 21e siècle ne sera pas la Françafrique des papas dictateurs avec l’oligarchie française, la Françafrique au 21e siècle sera dans une dynamique néolibérale globalisée, sera – un peu similaire avec ce qui se fait avec George Soros – l’accointance de l’oligarchie française avec les sociétés civiles africaines, qui seront cooptées.9

Mali : terrorisme, inefficacité … et complicité ?

Le sommet tumultueux de Macron a été éclipsé par un autre événement. Pendant que le président Macron s’exhibait devant les blogueurs, le Premier ministre malien Choguel Kokalla Maiga déclarait aux médias russes que la France a créé une enclave à Kidal, une ville située dans la région désertique du nord du Mali, et l’a remise à un « groupe terroriste » connu sous le nom de Front Ansar Dine, qui serait lié à Al-Qaida. Il a ajouté que l’armée malienne était interdite d’accès au territoire :

Arrivée à Kidal, la France a interdit à l’armée malienne d’[y] entrer. Elle a créé une enclave… Le Mali n’a pas accès à Kidal, c’est une enclave contrôlée par la France. Il y a des groupes armés entraînés par des officiers français. Nous avons des preuves… Nous ne comprenons pas cette situation et ne voulons pas la tolérer. 10

Que lire derrière les accusations du Premier ministre malien ? Le pays est en conflit diplomatique avec la France. Depuis 2013, les troupes françaises mènent une opération antiterroriste appelée opération Barkhane au Mali. Cependant, ces dernières années, l’activité terroriste au Mali s’est intensifiée de façon spectaculaire. La paralysie des autorités a conduit à l’éviction d’Ibrahim Boubacar Keïta l’année dernière. Un gouvernement militaire est arrivé au pouvoir et a cherché de nouveaux partenaires en Russie et en Turquie. Dans cette situation, Macron a annoncé la fin de l’opération militaire au Mali et une réduction drastique de la présence militaire française. En fait, c’est un aveu de la défaite de la France, de son incapacité à faire face aux terroristes.

Les autorités maliennes tentent désormais d’établir une coopération en matière de sécurité avec la Russie. Il y a des nouvelles concernant l’envoi d’experts militaires russes au Mali. Les autorités françaises, cependant, réagissent nerveusement et brutalement, ce qui éloigne encore plus le Mali de la France.

L’accusation de soutien au terrorisme est très grave. Sur quoi se base-t-elle ? Le groupe Ansar Dine, dirigé par Iyad ag Ghali, un vétéran du mouvement d’indépendance touareg, est actif dans la région de Kidal. Il est également à la tête d’une alliance de groupes djihadistes – Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) – fidèles à Al-Qaïda.

Le territoire sur lequel Ansar Dine est actif est presque exactement le même que celui sur lequel opère la Coalition des Mouvements de l’Azawad (CMA) 11.

Formé en 2014, il regroupe des mouvements arabes et touaregs. Aujourd’hui, ils soutiennent le séparatisme malien et cherchent à obtenir un statut spécial pour l’Azawad. De facto, ils sont accusés d’avoir des liens avec les terroristes. Les autorités françaises ont longtemps misé sur la coopération avec cette coalition. Ils ont également poussé à la signature d’un accord de paix entre la CMA et Bamako officiel en 2015. Cet accord a donné carte blanche aux séparatistes touaregs et arabes pour ramener l’ordre dans le nord du Mali avec les troupes françaises.

Cependant, les alliés de la France ne furent pas en mesure de faire face aux terroristes. N’était-ce pas parce qu’ils étaient eux-mêmes étroitement liés à ces terroristes ? Et en formant et en collaborant avec ces groupes, l’État français ne risquait-il pas d’être également accusé de soutenir des terroristes ? Quoi qu’il en soit, l’inculpation du Premier ministre malien est un indicateur du niveau d’échec de la tactique française au Mali – des alliés dans la lutte contre les terroristes sont soupçonnés de collaborer avec ces mêmes terroristes.

Le fait que la politique de la France au Mali ait été inefficace et à courte vue est confirmé par Bernard Lugan, un expert reconnu dans ce domaine. Selon lui, Paris a cependant commis l’erreur de ne pas négocier avec la partie des terroristes qui, comme Ag-Ghali, avaient l’intention de mener un djihad « local » plutôt que global : « Nous avions une opportunité formidable de règlement de la question. Il fallait à ce moment-là régler ce problème en s`appuyant sur Iyad ag Ghali pour fermer le conflit au nord et ne plus avoir militairement qu`à régler le conflit au sud » 12

Selon Lugan, la France a eu une chance de négocier avec Iyad ag Ghali mais l’a manquée.

Selon l’analyste, l’État français a fait preuve d’une ignorance des spécificités ethniques et claniques du Mali, ce qui lui a fait perdre le contrôle de la situation. Une appréhension universaliste et mondialiste du conflit au Mali et l’incompréhension des différences sur le terrain de la part des politiciens qui ont pris les décisions ont conduit au désastre actuel :

Nous savons très bien comment faire la guerre sur place, nous savons très bien comment jouer, comment procéder avec la population locale. Mais quand vous avez une conception universaliste et globalisante, vous passez à côté des problèmes. 13

D’autre part, avec tout le respect dû à Monsieur Lugan, la politique unilatérale de Paris ne pouvait être efficace que lorsque Bamako n’avait pas d’alternatives à la France. Dans la situation actuelle, les choses sont beaucoup plus compliquées ; en réponse à la pression de Paris, les autorités maliennes ont décidé d’introduire des compagnies militaires privées russes dans le pays. Cela signifie que la politique au Mali et en Afrique dans son ensemble doit être encore plus nuancée, en tenant compte, entre autres, du nombre croissant d’acteurs étrangers jouant sur le même terrain que la France.

Une politique qui a échoué et ses alternatives

La France est en effet confrontée à la question de la reformulation de sa politique en Afrique. La situation au Mali en est un bon exemple. L’État français a été vaincu au Mali, n’a pas respecté ses engagements et se retire maintenant, laissant aux Russes le soin de résoudre le problème. La montée des mouvements panafricains négatifs envers la France et la réaction au dernier sommet Afrique-France montrent que la France est de plus en plus détestée en Afrique. Ce qui est mauvais aussi pour les citoyens français eux-mêmes, qui font les frais du néocolonialisme de leurs élites dévoyées.

Un état d’esprit résumé par l’activiste camerounaise Nathalie Yamb qui a exprimé crûment ce sentiment de rejet viscéral en commentant le sommet Afrique-France :

Le sentiment anti-français n’a pas besoin d’être alimenté. Il est inhérent à tous ceux qui luttent pour la souveraineté et la dignité africaines. Tu ne peux pas être pro-Afrique si tu n’es pas viscéralement anti-français. Seuls les fous aiment leur tortionnaire, leur violeur ou leur colonisateur, ou veulent discuter avec lui. Il n’y a aucun besoin de dialogue. Nous voulons une rupture nette et définitive : France dégage. 14

La raison en est l’échec des politiques des trois derniers présidents successifs : Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron. Il ne faut pas oublier qu’au Mali, la menace terroriste est née du renversement de Mouammar Kadhafi en 2011. Fin août 2011, plusieurs centaines de Touaregs maliens de la brigade libyenne Maghawir, sous le commandement du général Ali Kana, se sont retirés de Libye et sont rentrés au Mali, devenant ainsi l’épine dorsale du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). C’est ce mouvement qui a déclenché une guerre avec le gouvernement central du Mali, à laquelle les islamistes ont également participé.

La raison en est le renversement de Kadhafi, qui soutenait la milice touareg. Ainsi, la France, en s’impliquant dans le renversement de Kadhafi, a créé les conditions préalables à la déstabilisation du Mali et du Sahel en général. À cela s’ajoute le facteur de l’extrémisme islamique, qui s’est fait sentir depuis que la Libye a plongé dans une guerre civile sans fin à partir de 2011.

« Ce qui se passe, actuellement au Sahel, n’est que la conséquence de l’intervention armée de la France et ses partenaires en Lybie. Celle-ci a été faite en oubliant l’Union africaine », a déclaré face à Macron Adam Dicko, une activiste malienne présente au sommet Afrique-France15. Macron n’a pas réussi à répondre de manière intelligible à ce reproche.

Seul un changement radical de politique à l’égard des pays africains peut mettre fin à cette triste tradition d’échecs et de reculs, d’actions ratées et non calculées qui entraînent de plus en plus de problèmes et de menaces.

Cette nouvelle politique doit être fondée sur l’intérêt national de la France et surtout sur ses intérêts de sécurité. Cela nécessite une réévaluation des attitudes à l’égard des autres puissances qui sont actives sur le continent africain.

Trois nouvelles puissances tentent désormais de s’implanter en Afrique : la Chine, la Turquie et la Russie. Parmi celles-ci, la Russie est potentiellement l’alliée – et non l’adversaire – de la France dans la lutte pour la stabilisation de l’Afrique. La Russie, comme la France, s’intéresse à la lutte contre l’islamisme radical, alors que la Turquie travaille spécifiquement avec les mouvements islamistes. Compte tenu des tensions franco-turques en Méditerranée, il serait important pour la France de trouver un terrain d’entente avec la Russie.

Une autre direction importante est l’établissement de relations d’égal à égal avec l’Afrique. Au lieu d’acheter les faveurs des pays africains en injectant des fonds français dans la « société civile » ou en accueillant des millions de migrants, il faut laisser les pays africains se développer par et pour eux-mêmes. Le bien-être de l’oligarchie française, « transnationalisée » et moins française que mondialiste, ne peut être acheté au prix d’une migration incontrôlée qui déstabilise la France.

Cependant, ni Macron ni personne d’autre n’en a parlé lors du forum Afrique-France.

Il est possible que le but du sommet Afrique-France n’était pas réellement de restaurer la grandeur de la France en formulant une nouvelle politique française en Afrique (rien de nouveau n’a été dit lors du forum). Il est tout à fait possible que Macron ait en fait poursuivi un objectif bien plus égoïste et immédiat : gagner le soutien de la diaspora africaine avant l’élection présidentielle.

Les promesses faites par Macron lors du forum visent un avenir dans lequel il se voit comme chef d’État. Le format même de l’évènement, où le Président de la République rencontre des blogueurs, des athlètes et des représentants du monde de l’art, ressemble davantage à un spectacle électoral qu’à un sommet de refondation politique sur le fond. Macron a finalement utilisé cet événement d’État à son propre avantage.

Si c’est le cas, c’est un signe de la dégradation totale de la stratégie française envers l’Afrique, où les intérêts à long terme de l’État sont sacrifiés aux intérêts immédiats de son élite dirigeante.

Par François d’Avenel pour Strategika

Notes

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