Le Parrain se fâche


La lutte contre la corruption en Ukraine est une fiction. Les USA menacent de cesser leur aide


Par Reinhard Lauterbach – Le 26 janvier 2016 – Source junge Welt

John Herbst était ambassadeur américain à Kiev entre 2003 et 2006 et il est désormais libéré de son devoir de réserve diplomatique sur les affaires internes de son ancien pays d’accueil. Donc l’homme, qui travaille aujourd’hui pour l’organisation lobbyiste Atlantic Council, a été clair. C’est un scandale que le procureur général ukrainien Victor Chokine continue à rester à son poste, a-t-il déclaré à Kyiv Post, l’hebdomadaire en anglais très lu par les étrangers occidentaux en Ukraine. Le successeur de Herbst, Geoffrey Pyatt, l’a formulé de manière tortueuse lorsqu’il a reproché à l’autorité dirigée par Chokine, lors d’une conférence de presse de son ambassade, d’entraver la lutte contre la corruption au lieu de la faire fonctionner.

Le procureur général ukrainien Victor Chokine

Lorsque Pyatt a fait ces déclarations, la floraison la plus récente de la lutte anti-corruption ukrainienne n’était pas encore connue. Début décembre, le service de renseignement SBU a arrêté le chef adjoint de l’autorité de contrôle des exportations d’armes. Apparemment, il a été attrapé lors d’une tentative d’encaisser la dernière tranche d’un pot de vin de $250 000 versée par une entreprise dont la demande d’autorisation d’exportation était arrivée sur son bureau. Selon la présentation qu’en a faite l’hebdomadaire de Kiev Zerkalo Nedeli, les circonstances étaient dignes d’un film : le fonctionnaire a lâché son chien sur les agents du SBU, qui ont fait usage de leurs armes, ont abattu l’animal et emmené son maître. En tout début d’année, le président Petro Porochenko a encore vanté le cas comme exemple du sérieux de la lutte de son gouvernement contre la corruption. Trois semaines plus tard, le fonctionnaire prétendument reconnu coupable de corruption était de nouveau à son poste. Qui a fait preuve de négligence dans cette affaire – le service de renseignement dans la collecte des preuves ou le procureur général mandaté par Porochenko dans son appréciation – la question se pose. Il n’est en tout cas pas étonnant que les experts occidentaux estiment que l’engagement anti-corruption de l’administration Porochenko est largement fictif, comme l’écrit l’influente revue étasunienne Foreign Policy dans un article paru au début de janvier.

L’impression s’impose que les États-Unis, en tant que principaux commanditaires de ceux qui détiennent actuellement le pouvoir en Ukraine, perdent patience avec leurs protégés. Le vice-président Joseph Biden était à Kiev il y a quelques semaines et il a menacé ouvertement de supprimer l’aide financière et le soutien politique de l’Occident si la lutte contre la corruption et pour limiter l’influence des oligarques n’était pas prise en main sérieusement. Les déclarations de Biden à Kiev ne semblent pas avoir été des menaces totalement en l’air. Il y a des signes que les États-Unis essaient de désamorcer la question de l’Ukraine et de parvenir, sur ce sujet et d’autres, à un modus vivendi avec la Russie – étant entendu qu’il n’est certainement pas question d’un retour au statu quo d’avant le Maïdan. Donc la secrétaire d’État adjointe des États-Unis Victoria Nuland et le conseiller du président russe Vladislav Surkov se sont rencontrés à proximité de Kaliningrad pour un remue-méninges sur le thème de l’Ukraine. Nuland s’était elle-même déplacée en Russie, parce que Surkov ne peut actuellement pas voyager en Europe de l’Ouest en raison des sanctions de l’Union européenne (sic) .

La discussion n’a certes apporté aucun résultat connu. Cependant, un appel du président étasunien Barack Obama à Vladimir Poutine quelques jours auparavant a révélé – si l’on compare les communiqués des deux côtés – une évaluation de la situation en Ukraine ne divergeant que sur des nuances. Les deux parties ont évité les accusations réciproques et ont instamment exhorté Kiev à remplir ses obligations conformément aux Accords de Minsk. Il s’agissait avant tout d’une réforme constitutionnelle allant dans le sens d’une autonomie régionale pour le Donbass. On peut douter que Porochenko ne s’y risque en ce moment. La première lecture du projet correspondant en août dernier s’est terminée par de violents troubles provoqués par des fascistes ukrainiens devant le Parlement. Plusieurs personnes ont été tuées et une centaines blessées. S’il n’y a pas de nouvelle lecture d’ici au début de février, le projet est considéré comme automatiquement rejeté. Porochenko pourrait vivre avec ça, mais Kiev doit imaginer quelque chose. Car les demandes ukrainiennes de stationner des casques bleus de l’ONU ou des troupes de maintien de la paix de l’Union européenne au Donbass, ce qui donnerait une dimension internationale au conflit, n’ont jusqu’ici trouvé grâce auprès d’aucune des parties sollicitées.

Traduit par Diane, révisé par jj, relu par Diane pour le Saker francophone

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