Par Antonio Vio − Décembre 2018
Qu’y a t-il à l’intérieur d’un gilet jaune ?
Un Français ou une Française (un Belge, un Bulgare, d’autres encore ?)
Des Blancs, des Noirs, des Asiatiques, des Arabes, des métisses, parfois des racistes… enfin des Français dans tous leurs aspects et sous toutes leurs formes. L’analyse sociologique ou la compréhension apaisée du phénomène à l’œuvre ne se feront qu’après l’érosion des affects.
Comme « Je suis Charlie ».
Comme « Nuit Debout ».
Comme les « Bonnets Rouges ».
Comme les « Zadistes ».
Le premier regard porté sur cette « francité » tellement multiple et mouvante est troublé, flou de larmes et fou de rage. Il y a violence et mort là aussi, pas facile de rester serein. Furent « Charlie » des Français aussi, mais lesquels ? Sans doute des Français plus attachés à la liberté de la presse qu’à celle de polluer disent les « chiens de garde ». Les médias de grande diffusion exploitent à ravir toute la dramaturgie du moment, et dans un réflexe corporatiste, d’appartenance à la caste la plus dépendante du système contemporain, ils sombrent encore dans la caricature, le faux-semblant, le cliché, la stigmatisation.
HYPOCRISIE
La fracture entre une « France lumineuse » mais veule et une « France bitumeuse » mais vaillante.
Une France vertueuse et une France voitureuse.
Ce n’est sans doute pas si simple.
Autrefois, le grenier vide semait la révolte et la dissidence quand désormais c’est la perspective du réservoir sec qui irrigue la colère. Comme l’eau, l’essence est un liquide vital ici et maintenant. La chose est si précieuse. Tout le corps économique, social et culturel s’en abreuve car c’est le sens et la fonction du système. Dans cette parenthèse thermo-industrielle du voyage humain, l’essence a acquis un statut universel et vital, presque égal à celui de l’eau. L’eau est ce liquide qui nous relie sans cesse à notre condition de Nature lorsque l’essence est ce liquide qui nous relie sans cesse à notre condition de suppôt.
Par quelle magie l’essence devient-elle si essentielle ?
C’est avant tout par la voiture, cette boîte à roues dont dépend l’existence sociale, économique et culturelle de la plupart des bipèdes du monde occidental et d’ailleurs. Pour se rendre presque partout où il est impératif d’aller, pour se rendre presque partout où il est plaisant d’aller, pour créer et préserver toute sorte de liens, il faut la voiture. Car tout s’éloigne afin de faire toujours rouler ces voitures et autres véhicules. Des proches sont partis à la ville, le commerçant a fermé car des Mammouths sont à l’entrée de la ville, le médecin est parti avec l’hôpital vers un « bassin » plus « dynamique ».
ABSURDE
Finalement, tous les vrais chemins mènent aux points d’extraction de l’or noir.
Nous nous sommes trompés de système.
La caricature du mouvement des « gilets jaunes » est un jeu dangereux joué par certaines élites politiques et médiatiques. Dangereux car quand crie l’âme du peuple, les Maîtres feraient mieux de se taire.
À la fin, les Maîtres se terrent.
Cette jacquerie, cette quête de justice et de vérité qui tétanise le pouvoir est la manifestation rassurante d’un atavisme humain. Les humains aspirent à la justice autant qu’ils ont soif d’eau claire.
Tout est normal.
N’ayez crainte.
Mais soyez conscients, au moins, de ce qui est à l’œuvre.
Le mouvement des « gilets jaunes » a cette particularité de « prendre » partout et à toutes les échelles. L’individu, la commune, le département, la nation, de Hénin-Beaumont à Saint-André de la Réunion.
Sera-t-il le père d’un nationalisme français nouveau parmi les diverses poussées communautaristes contemporaines ?
En symbole, le « Charlie » brandissait un crayon.
En symbole, le « Gégi » brandit la servitude imposée.
Car, qu’est-ce d’autre que ce vêtement fluorescent ? Cette chasuble laide, d’une utilité très réduite, est évidemment une contrainte infantilisante de plus à l’attention d’administrés excédés. Cette injonction d’ordre vestimentaire émanant de la force publique est bien sûr un symbole. Endosser son gilet jaune, c’était avant tout se soumettre, c’était agir tel que le pouvoir l’exige.
C’est se rendre visible, quand la plupart du temps, on ne l’est pas.
C’est être vu pour éviter l’accident.
C’est être vu pour éviter d’être mort.
L’État veut nous voir, de près et de loin.
Allons nous exposer, nous mettre à nu au plus près de lui.
Tremblez élites,
Tremblez oligarques,
Tremblez financiers,
Tremblez rois du pétrole,
De ce noir breuvage nous sommes saouls,
À ce prix se lèvent et marchent les foules,
C’est à pied que nous viendrons à vos palais,
Vous rendre nos oripeaux de valets.
Note du Saker Francophone Pour finir en musique ...