Le Financial Times comme Russia Today…

Le 13 février 2015 – Source RussiaInsider

Note du traducteur

Cet article, publié à l’origine dans un journal pro-Kiev, le Financial Times, repris ensuite par Russia Insider, nous montre que l’Ukraine de Porochenko a perdu la guerre psychologique contre le Donbass. Elle n’arrive pas non plus à gagner la guerre militaire. Elle est en faillite économique. Elle subit des fractures internes profondes non seulement avec le Donbass mais aussi à cause de ses milices nazies, ses oligarques insatiables, sa population hostile aux mobilisations… Bref un pays en voie de dislocation interne, une nation jeune qui risque de plus en plus une mort prématurée.

Wayan

 

Les bombardements ukrainiens ont retourné beaucoup de pro-Ukrainiens locaux contre Kiev

Alors que de grandes figures mondiales se réunissent à Minsk pour décider du sort de l’Ukraine orientale, Tatiana Prussova, un professeur de l’école 23 de Khartsysk, se tient face à sa classe, une carte murale dans son dos.

Pendant dix minutes, elle fait la leçon du jour à un groupe d’étudiants de 15 à 16 ans: un passage en revue des récents événements qui se sont déroulés dans l’auto–proclamée République populaire de Donetsk. Elle est en train d’expliquer un nouveau jour férié local, le 8 février, jour des jeunes héros antifascistes, et raconte une semaine cruciale au cours de laquelle les États-Unis pensent à armer Kiev alors que les rebelles gagnent du terrain autour du stratégique nœud ferroviaire de Debaltsevo.

«Grâce aux avancées des rebelles de notre République populaire de Donetsk, la route pour Debaltsevo a été fermée et la ville encerclée», raconte Mademoiselle Prussova à ses étudiants; tout en montrant la carte comme un professeur d’histoire le ferait pour raconter la bataille des Flandres ou les guerres napoléoniennes.

C’est une des leçons des dénommés cours d’information politique enseignés maintenant dans les écoles des régions d’Ukraine Orientale contrôlées par les rebelles. Une tradition soviétique abandonnée à la suite de la dissolution de l’Union soviétique, mais remise au gout du jour par le ministre de l’Éducation de la république pro-russe de Donetsk.

«Nous avons décidé d’informer les enfants, d’un point de vue objectif, sur le développement des événements qui se déroulent en ce moment dans la république populaire de Donetsk» nous explique Lidiya Aksyonova, la directrice de l’école. «Les croyances que nous enseignons ici deviendront, dans dix ans, les points de vue politique de notre gouvernement»

Alors que certains peuvent voir les accords de Minsk, qui appellent à un cessez le feu en Ukraine orientale et le rétablissement éventuel des frontières nationales, comme une première étape vers un démantèlement de la République de Donetsk, on voit peu de signes dans la région d’un gouvernement rebelle prêt à céder ses prérogatives – ou même d’une société qui en montre le désir.

A la suite du siège d’un mois qui a détruit les infrastructures locales et laissé une population sous un pilonnage militaire quasi constant, une nouvelle identité régionale est en train de prendre forme à Donetsk. Même si elle se forme grâce à des initiatives venues d’en haut comme les cours de Mademoiselle Prussova, elle est aussi due, en grande partie, aux bombardements de l’armée ukrainienne qui ont retourné de nombreux anciens partisans de Kiev contre elle.

Une autre source de colère fut le discours d’octobre tenu par Petro Porochenko dans lequel il déclare que les habitants de la région du Donbass vont souffrir en rétorsion aux actes de leurs dirigeants. «Nos enfants iront à l’école pendant que les leurs se cacheront dans les caves», a-t-il déclaré en menaçant du doigt.

«En tant qu’étudiante, représentante de la future génération, j’étais pour une Ukraine unie. Je croyais vraiment en Porochenko», nous dit Yekaterina, une étudiante de 20 ans à l’université nationale de Donetsk. Alors que sa famille avait fui du côté ukrainien l’été dernier, ils ont été forcés de revenir en septembre après avoir épuisé leurs ressources financières. C’est alors que leurs sentiments ont changé.

«Nous pensions que Porochenko viendrait à Donetsk, mais il n’est jamais venu», nous raconte-t-elle. Elle n’est pas d’accord avec ceux qui prétendent que les habitants de Donetsk sont endoctrinés par les rebelles et la télévision russe. «Pas besoin d’être un soldat pour comprendre d’où viennent les tirs. Nous avons accès à internet. Nous ne sommes plus à l’âge de pierre. Nous ne sommes pas des zombies»

A Kievsky, un quartier de Donetsk parmi les plus fortement bombardés, une femme d’âge moyen, Svetlana, nous a raconté qu’elle avait vécu sous terre, dans un refuge datant de la guerre froide, avec une cinquantaine de ses voisins depuis que les bombardements ont commencé en mai dernier. Alors qu’elle avait refusé de prendre part au référendum séparatiste de mai – «Je trouvais l’idée plutôt étrange», nous explique-t-elle –, son point de vue a bien changé après ces mois passés sous terre.

«Comment pourrais-je encore être pour une Ukraine unie alors que Kiev vient de passer six mois à nous bombarder, demande-t-elle, une fois au pouvoir ils ont détruit toute l’infrastructure de l’Ukraine orientale

Enrique Menendez, un homme d’affaire ukrainien d’origine espagnole, nous explique que l’une des plus grosses erreurs de Kiev est d’avoir diabolisé les gens d’Ukraine orientale plutôt que d’entamer le dialogue avec eux.

«Au début, beaucoup de journalistes, blogueurs, analystes, la plupart pro- ukrainiens, ont quitté Donetsk. Mais une fois à Kiev, ils ont vu comment le discours à propos de l’Ukraine orientale était extrêmement négatif, nous dit M. Menendez. L’agression et le manque de compréhension de ce qu’il en était vraiment ont profondément offensé les gens qui sont resté la bas

Alors qu’il était l’un des organisateurs d’une manifestation pour l’Ukraine unie en mars dernier, M. Menendez a finalement décidé de rester à Donetsk pour mettre en place une organisation d’acheminement de l’aide humanitaire.

En août, il ne restait plus que cinq personnes dans son immeuble. Ils pouvaient se réunir dans le couloir au pire des bombardements. Maintenant presque tous les résidents, environ quatre-vingt, sont revenus y habiter.

«La guerre a changé notre état d’esprit, nous explique-t-il, nous avons cessé de donner de l’importance aux choses superficielles. Nous avons tout perdu: nos économies, nos projets, nos commerces. Quelques un ont perdu leurs proches. Mais nous sommes devenus plus purs.»

Même si les bruits de tirs d’artillerie pouvaient encore s’entendre dans le centre de Donetsk cette semaine, la vie a retrouvé un cours normal dans la plupart des quartiers de la ville.

Igor Kostenok, ministre de l’Éducation de la république de Donetsk, apparait déterminé à utiliser sa position pour encourager à la formation d’une identité régionale durable. En plus de ses cours d’information politique, M. Kostenok nous dit que les écoles enseigneront aussi l’expérience des jeunes ayant combattu du côté rebelle cet été.

«Notre histoire à l’époque de la Seconde Guerre mondiale nous montre que de nombreux enfants, qui furent forcés à murir rapidement à cause de la guerre, ont pris les armes et défendu leurs maisons. L’histoire est condamné à se répéter» dit-il.

Un de ces jeunes est Alexander Vasin, un étudiant de 16 ans de la banlieue de Donetsk qui a combattu à l’aéroport de la ville, pendant l’été, dans le bataillon de la 15e brigade internationale, malgré le désaccord de ses parents. Il est revenu quand l’école a repris en septembre, mais dit qu’il retournera dans le bataillon plus tard si la guerre n’est pas terminée. A propos des combats, il nous a confié : «C’est difficile au début, mais on s’y habitue.»

Une vidéo des combats tournée grâce à son portable a gagné un prix du ministère de l’Education et est maintenant visionnée dans les écoles de la région.

Article original dans le Financial times

Traduit par Wayan, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone

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