« Respecter le blob, apprendre du blob, aimer le blob ». – Robert Kagan, Arch Blob Monster, Brookings, 2020
Par James Howard Kunstler – Le 11 mars 2024 – Source Clusterfuck Nation
HG Wells a concocté une merveilleuse fin à son conte classique La guerre des mondes (1897). Rappelez-vous : les colossales « machines de combat » martiennes à trépied pullulent sur la planète, zébrant les villes de « rayons de chaleur ». Les protoplasmes extraterrestres aux commandes (fin surprenante) se retrouvent morts et pourrissent à l’intérieur sous l’action de nos minuscules alliés invisibles : les bactéries unicellulaires de la Terre, responsables de maladies, contre lesquelles les créatures martiennes n’ont aucune immunité !
Les accents gaïens de cette histoire résonnent aujourd’hui, alors que nous, Terriens, concevons de nouvelles méthodes ingénieuses pour détruire la vie terrestre, y compris nous-mêmes. La planète semble avoir une volonté téléologique de se sauver, une sorte de système immunitaire. Remarquez : dans tous les débats en cours sur les merveilles et les dangers de l’IA, du bitcoin et de la surveillance étouffante, personne ne parle jamais de l’état précaire du réseau électrique sur lequel tous ces phénomènes inquiétants reposent totalement. Dans nos bavardages sur le pic pétrolier, nous n’avons guère conscience de la dépendance totale de la production pétrolière à l’égard de flux de capitaux réguliers. Dans tout le bla-bla sur le contrôle centralisé émis par Klaus Schwab et son Forum économique mondial, il n’est pas fait mention des forces centrifuges qui poussent les affaires humaines à la relocalisation, à la désagrégation des grands États et à la réduction d’échelle de nombreuses activités. Dans notre empressement à devenir des dieux, nous passons à côté de beaucoup de choses.
Imaginez : le bitcoin atteint un million de dollars. Vous êtes zillionnaire ! Oh ! … quelque part à l’extérieur de Zanseville, dans l’Ohio, un écureuil donne un dernier coup de dent dans la vieille isolation d’un fil sortant d’un transformateur. Sa tête explose dans un éclair bleu et, en quelques secondes, toute l’électricité est coupée de Chicago à Boston. Il s’avère que dix-sept sous-stations dans dix États ont des relais, des transformateurs et des appareillages de commutation qui ont sauté. Certains de ces composants avaient quarante ans et sont maintenant fabriqués à 12 000 km de là, dans un pays qui ne nous aime plus. Les pièces de rechange sont bloquées dans un port chinois. Le courant ne revient pas avant des semaines. Aucun habitant de l’est des États-Unis ne peut accéder à son portefeuille Bitcoin, qui n’est qu’une entité virtuelle faite de code informatique résidant dans un « nuage » numérique, c’est-à-dire nulle part dans la réalité.
Bien sûr, dans un événement aussi grave, beaucoup d’autres choses tomberaient en panne – en fait, à peu près tout ce qui constitue la vie moderne – mais il est certain que vous pouvez dire adieu à votre bitcoin, peut-être pour toujours, car lorsque le courant reviendra (s’il revient), plus personne ne voudra investir sa richesse dans de l’« argent » numérique auquel il n’a pas accès, et le bitcoin retournera à son point d’origine : zéro.
De même, le système financier dont nous dépendons est un gigantesque appareil devenu extrêmement vétuste en raison d’une élaboration excessive et d’une hypercomplexité – à tel point que toutes sortes de choses désignées comme ayant une « valeur monétaire » ne sont que des hallucinations des marchés qui les échangent. Combien de quadrillions de dollars les instruments financiers « dérivés » représentent-ils aujourd’hui dans le paysage de l’« argent » ? La plupart de ces instruments ne sont rien d’autre que des paris sur la variation à la hausse ou à la baisse d’un chiffre – un taux d’intérêt, une devise, un flux de revenus. En d’autres termes, il s’agit d’une invention.
Selon la théorie monétaire moderne (MMT), l’évolution des figurations peut théoriquement se poursuivre à l’infini. Les produits dérivés peuvent être de plus en plus abstraits de ce qu’ils sont censés représenter, jusqu’à ce qu’ils s’envolent dans le conduit cloacal du système. Le MMT est devenu un dogme économique populaire, mais sa théorie reste à étayer. Étant donné que la formule repose sur l’« impression » illimitée de monnaie par les banques centrales qui représentent les gouvernements, on peut parier que quelque chose va mal se passer dans un tel système – et il semble que quelque chose est sur le point de mal se passer dans le système que nous avons mis en place pour réguler et distribuer le capital. Est-il nécessaire de préciser ce qu’est le « capital » ? (La vraie richesse, pas les images, les souhaits, les paris et les hallucinations. Des choses dures comme de bonnes terres, des poches de minerai, des machines installées, des voies de chemin de fer, etc. . . .)
Le mois dernier, le cours du bitcoin s’est transformé en « crosse de hockey », c’est-à-dire que sur un graphique, la hausse semble presque verticale. Savez-vous pourquoi il monte ? Je vais vous le dire : il monte… parce qu’il monte. Des personnes et des groupes de personnes (fonds de placement, banques) voient la tendance à la hausse et en déduisent que le bitcoin va « décrocher la lune ». Pendant ce temps, ils observent les feuilles de thé de la scène monétaire et voient beaucoup de débris bruns et friables là où il y avait du « capital ». L’argent lui-même est en train de perdre sa « capacité monétaire » un peu partout. Le module le plus vulnérable du système est aujourd’hui le marché obligataire.
Ce marché repose sur l’idée que l’argent emprunté sera remboursé de manière fiable, le mot clé étant « de manière fiable ». Une condition essentielle, cependant, est que l’argent doit rester de l’argent. Les gens doivent le considérer comme ayant une valeur. Or, aujourd’hui, tous les types d’argent perdent visiblement de la valeur. Alors que notre dette nationale approche les 35 000 milliards de dollars, il est permis de douter que les États-Unis puissent raisonnablement rembourser leur dette, ou même en assurer le service, c’est-à-dire continuer à payer les intérêts. Plus nous « imprimons » de l’argent dans le cadre de la MMT, plus l’argent perd de sa valeur. Le taux d’intérêt sur l’argent emprunté doit augmenter pour compenser cette perte de valeur, et tout d’un coup, vous empruntez une tonne d’argent pour payer les intérêts sur l’argent que vous devez, dont le volume brut ne fait qu’augmenter … se rapprochant rapidement de la situation critique … Oh, oh !
De nombreux êtres sensibles observant la scène nous avertissent que le marché obligataire est susceptible d’exploser, et avec lui la plupart des autres modules du système actuel piloté par la MMT. Ce sera le moment magique où une grande théorie sera démentie de manière assez éclatante et préjudiciable. Le prix de chaque chose s’évaporera dans un nuage de mal-investissement et lorsque la poussière retombera – ce qui pourrait prendre beaucoup de temps – le prix de chaque chose sera différent, y compris de nombreuses choses à zéro.
C’est le genre de monde dans lequel nous vivons actuellement, et c’est pourquoi je ne m’inquiète pas tant des machinations des différents blobs qui se sont auto-assemblés pour défendre leurs intérêts particuliers tout en faisant du mal à beaucoup d’entre nous : le blob militaro-industriel, le blob de la censure, le blob des fake news, le blob des services secrets, le blob des monopoles d’entreprises, le blob médical, le blob de la banque centrale. Les systèmes dont nous dépendons pour faire fonctionner tout ce monde de blobs semblent assez malades, comme s’ils n’allaient pas fonctionner beaucoup plus longtemps.
Il en résultera un temps d’arrêt bénéfique pour le blobbing. J’ose prédire que ce sera un temps d’arrêt assez long. Beaucoup des choses effrayantes qui se passent autour de nous, qui nous tyrannisent, qui nous dépouillent de nos biens et de notre liberté, ne trouveront pas facilement leur place dans l’après-coup, peut-être même plus jamais. Nous aurons des décennies, voire des siècles, pour réfléchir à l’orgueil qui a provoqué tout cela et, en attendant, nous devrons vivre la vie terrestre comme la terre nous le permet et nous en accommoder. Et peut-être nous adonner à de nouveaux rêves de ce à quoi ressemblerait un monde parfait.
James Howard Kunstler
Pour lui, les choses sont claires, le monde actuel se termine et un nouveau arrive. Il ne dépend que de nous de le construire ou de le subir mais il faut d’abord faire notre deuil de ces pensées magiques qui font monter les statistiques jusqu’au ciel.
Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone