Le 5e sommet entre les deux Corées est un grand pas de plus vers un accord de paix


Par Konstantin Asmolov – Le 1er octobre 2018 – Source New Eastern Outlook

Nous allons discuter des principaux résultats et des documents qui ont été signés à l’issue de ce 5ème sommet, pour voir si les attentes initiales ont été satisfaites. Les lecteurs se souviendront qu’avant le sommet, certaines sources médiatiques sud-coréennes avaient écrit : « La dénucléarisation sera la question clé du sommet. Parmi les autres sujets qui seront abordés figurent l’amélioration et le développement des relations entre la Corée du Nord et la Corée du Sud (y compris une déclaration selon laquelle la guerre de Corée est officiellement terminée) et une diminution des tensions militaires. »

Le principal résultat du sommet est la Déclaration de Pyongyang, composée de cinq points principaux, ainsi que la promesse de Kim Jong-un de se rendre à Séoul « dans un avenir proche ». Il s’agit d’un document important, mais officiellement, il n’a que le statut de protocole d’accord. Ce n’est pas un hasard si le parti au pouvoir en Corée du Sud propose aujourd’hui la ratification du document précédent, résultat du troisième sommet entre Moon Jae-in et Kim Jong-un.

Le premier article de la déclaration concerne la réduction des tensions militaires. Il présente un vaste plan d’action visant principalement à minimiser le risque d’éclatement d’une guerre pour une broutille, un danger dont l’auteur du présent article a parlé dans plus d’un article. Outre la création d’une voie de communication directe et d’un comité mixte spécial chargé de traiter les situations d’urgence et de surveiller l’application des accords militaires, les chefs militaires des deux pays ont signé non seulement une déclaration mais un accord complet visant à réduire les tensions dans la péninsule coréenne et à empêcher les affrontements militaires d’éclater accidentellement. « Les deux parties ont convenu de s’abstenir de tout moyen ou méthode d’infiltration ou d’invasion de leur territoire respectif » et de « s’abstenir totalement de toute action agressive, aérienne, maritime ou terrestre, qui pourrait déclencher un conflit ou des tensions militaires ».

Le document énonce concrètement les étapes suivantes, déjà convenues par les parties.

Une zone tampon de 10 kilomètres de large doit être établie le long de la frontière terrestre qui, à partir du 1er novembre 2018, sera fermée à l’aviation militaire, aux tirs d’artillerie et aux exercices militaires.

Une zone tampon similaire, d’une largeur de 80 km, doit être établie le long de la frontière maritime des deux pays pour éviter tout affrontement entre leurs forces navales.

Les deux parties conviennent de retirer leurs 11 postes de garde de la zone démilitarisée et de déplacer leurs postes d’observation à plus d’un kilomètre de la ligne de démarcation.

Le personnel du poste frontière de Panmunjom ne portera plus d’armes et le nombre de soldats dans la zone de sécurité commune de la zone démilitarisée sera également réduit à 35 de chaque côté.

Le protocole à suivre en cas d’incidents a été modifié : la rhétorique est passée d’une menace de « réponse décuplée par rapport aux provocations » à la prudente « quoi qu’il arrive, ne tirez pas ».

Le document traite également des couloirs et des zones d’interdiction de vol pour les aéronefs sans pilote et avec équipage, du retrait des troupes à au moins 5 km de la frontière, des communications en cas d’urgence, des systèmes pour informer chaque partie des activités de l’autre, de l’utilisation des fréquences radio partagées etc. Les militaires des deux pays ont également convenu de travailler à l’enlèvement de la zone démilitarisée des restes des personnes tuées pendant la guerre de Corée et au début du déminage de cette zone.

Mais toutes ces déclarations de renonciation aux intentions hostiles ne sont PAS la fin officielle de la guerre de Corée : l’accord de paix, si nous ne sommes pas trop pédants sur les formats, fait des deux pays des parties égales alors que la Constitution sud-coréenne considère encore toute la péninsule comme faisant partie de la Corée du Sud. Par conséquent, tout en accordant à la déclaration tout le respect qui lui est dû, on ne peut pas dire que la guerre soit « terminée ».

Le deuxième point de la déclaration concerne la coopération dans les domaines de l’économie, des projets d’infrastructure, de la médecine et des forêts. Il couvre à la fois des projets clairement hypothétiques et ceux qui sont déjà en cours ou du moins hautement réalisables.

Les plus immédiats d’entre eux concernent la coopération sur le reboisement de certaines parties de la Corée du Nord, car les projets environnementaux communs de ce type ne sont pas soumis aux sanctions. La coopération dans la lutte contre les épidémies est une autre question cruciale, car les sanctions ont eu de graves répercussions sur le système de santé nord-coréen : le pays ne dispose pas de médicaments modernes ou, parce que les sanctions interdisent l’importation de pièces détachés,  d’équipements de diagnostic fonctionnels du genre utilisé en occident.

Et il est encore trop tôt pour parler de la possibilité de reprendre les travaux du complexe industriel de Kaesong, fermé sous les conservateurs, ou du projet touristique de Kimgansan, sans parler de questions plus graves. Les projets économiques communs sont couverts par les sanctions et, comme l’a écrit le secrétaire d’État américain Mike Pompeo dans un tweet du 17 septembre, les sanctions contre la Corée du Nord sont une partie inséparable des efforts de dénucléarisation.

Le 23 septembre, le représentant permanent des États-Unis auprès des Nations unies, Nikki Haley, a également déclaré dans une interview à CNN que les sanctions se poursuivront jusqu’à la dénucléarisation complète et contrôlée de la Corée du Nord. Oui, le Nord a arrêté ses essais nucléaires et ses essais de roquettes et les dirigeants des deux Corée améliorent leurs relations, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant que l’objectif final soit atteint. Les États-Unis continueront à exercer une forte pression par le biais des sanctions, après tout Nikki Haley pense que c’est grâce à ces sanctions que le Nord a commencé à discuter.

Il en va de même pour l’unification des infrastructures de transport des deux pays. Ainsi, même s’il n’est pas encore possible d’inspecter correctement la voie ferrée, les deux pays ont convenu d’organiser une « cérémonie historique » pour célébrer la réunification de leurs systèmes ferroviaires d’ici la fin de l’année : ce serait un événement purement symbolique, sans lien avec un quelconque progrès réel.

Le troisième point de la déclaration traite d’un changement dans le format des réunions entre les membres de familles divisées. Au lieu de réunions périodiques, un point de communication permanent commencera à fonctionner, et il est prévu d’échanger éventuellement des messages vidéo et de mettre en place des ponts vidéo. Des discussions sur ce point sont en cours depuis un certain temps déjà, il ne reste plus qu’à fixer une date. Quoi qu’il en soit, quoi qu’il arrive, un nombre important de personnes âgées ont vu leurs espoirs grandir. Après tout, à la fin mai 2018, sur 132 124 membres de familles divisées, 75 234 sont déjà décédés et 85 % des autres ont plus de 70 ans. Il est donc essentiel de mettre en place dès que possible un centre opérationnel pour les réunions entre les membres de familles divisées.

Le quatrième point concerne la coopération dans les domaines de la culture et du sport et l’organisation de cérémonies. Les parties ont même décidé de soumettre une demande conjointe pour accueillir les Jeux olympiques de 2032 et ont promis d’envoyer une équipe conjointe d’athlètes aux Jeux olympiques d’été de Tokyo en 2020. L’auteur considère qu’il s’agit d’événements cérémoniels assez faciles à organiser, mais qui peuvent aussi servir de prétexte, ou de préparation, à des mesures plus sérieuses.

Il convient de mentionner ici que Séoul a également annoncé le lancement d’une nouvelle chaîne de télévision sur la Corée du Nord, qui informera les Sud-Coréens sur la vie et la culture en RPDC. Cela n’est pas mentionné dans la Déclaration, mais une telle mesure semble raisonnable, d’autant plus que certaines parties du sommet ont été retransmises en direct et que les Sud-Coréens ordinaires ont pu constater que la Corée du Nord ressemble beaucoup moins au Mordor que la propagande tend à le suggérer.

Enfin, le cinquième point de la déclaration concerne le désarmement nucléaire et, de l’avis de l’auteur, il est important qu’il ait été sauvegardé jusqu’à la fin. Le texte affirme l’intention de faire de la péninsule coréenne une « terre de paix » exempte d’armes et de menaces nucléaires. La Corée du Nord promet de démanteler enfin les installations du site d’essais de fusées de Sohae sous la supervision d’experts étrangers. Les travaux ont commencé au début du mois de juillet, mais se sont arrêtés le 3 août lorsque les pourparlers avec les États-Unis se sont enlisés. La Corée du Nord a exprimé sa volonté de fermer le réacteur de Yongbyon si les États-Unis font des concessions en retour, et acceptent de « coopérer étroitement dans le processus de dénucléarisation complète ».

Les médias sud-coréens rapportent qu’« il serait souhaitable que Moon Jae-in reçoive l’assurance de Kim Jong-un qu’il publiera des données sur l’arsenal nord-coréen. Mais les experts s’accordent à dire que c’est très improbable ». Cette évaluation s’est révélée exacte : il n’y a aucune référence dans les documents à des délais précis, bien qu’il soit possible que Kim Jong-un lui ait donné un message oral à transmettre à Donald Trump.

Le sixième point, dans lequel Kim Jong-un promet de se rendre à Séoul, est trompeur, car il reste la question de savoir ce que Moon Jae-in ferait de la loi de sécurité nationale. Cette loi définit la Corée du Nord comme une organisation criminelle non étatique, dont le dirigeant, s’il devait se rendre en Corée du Sud, devrait (du moins en théorie) être arrêté immédiatement et jugé comme un criminel de guerre. Cependant, Sohn Kyung-shik, le chef du conglomérat sud-coréen CJ Group, qui faisait partie de la délégation, a déjà déclaré que Kim Jong-un se rendrait à Séoul en décembre. Nous verrons bien ce qui se passera…

Le sommet a eu un autre résultat important : il a influé sur la fréquence des futurs sommets. Comme Moon Jae-in l’a dit le 18 septembre avant son départ vers Pyongyang, les relations entre les deux Corées approchent peu à peu de l’étape où ses dirigeants pourront, si nécessaire, se rencontrer à tout moment.  Trois réunions en un an – et ce n’est pas encore terminé.

Moon Jae-in a également déclaré que « les dirigeants des deux pays ont maintenant une relation personnelle étroite ». À la suite d’une initiative nord-coréenne, Moon Jae-in et Kim Jong-un ont effectué une visite conjointe au mont Paektu. Dans les séquences qui ont été diffusées en direct, les deux leaders se sont comportés naturellement et ont marché l’un vers l’autre sans aucun signe de tension. Les fonctionnaires sud-coréens ont montré à Kim Jong-un comment faire le geste du « cœur coréen » pour un selfie, et, en signe de reconnaissance à l’habitude de Mon Jae-in de manger dans des bars à nouilles bon marché remplis de gens ordinaires, les deux leaders et leurs femmes se sont assis dans un nouveau restaurant de poisson avec des résidents ordinaires de Pyongyang qui ne ressemblaient certainement pas à des gens triés sur le volet.

Naturellement, la communauté internationale, y compris les États-Unis, la Chine, la Russie et le Japon, se sont précipités pour saluer la déclaration de Pyongyang. Certains commentateurs ont suggéré que le sommet de ce mois-ci entre les deux Corée favorisera le dialogue entre les États-Unis et la Corée du Nord et pourrait conduire à une deuxième rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-un. Après tout, Moon Jae-in dit qu’il a apporté avec lui, aux États Unis, un autre message du dirigeant nord-coréen au président américain, qui contient une feuille de route pour le processus de dénucléarisation, et demande que l’Amérique fasse quelques concessions en retour.

Il deviendra clair à quel point ces prévisions sont exactes lorsque nous verrons ce qui se passera pendant la visite du président sud-coréen aux États-Unis ou l’importance accordée à la question nord-coréenne lors de la présente réunion de l’Assemblée générale des Nations unies. Jusqu’à présent, pour tirer les conclusions du sommet, il est préférable de se concentrer sur ce qui a déjà été réalisé, ou du moins sur des réalisations probables.

Tout d’abord, avant même le sommet, le 14 septembre, le bureau de liaison commun de Kaesong a finalement été ouvert, un mois plus tard que prévu. L’une des raisons de ce retard était les sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU, l’approvisionnement en produits pétroliers et en électricité nécessaires au fonctionnement du bureau aurait pu être interprété comme une violation des sanctions. En réponse à cette question, Washington a déclaré qu’il examinerait la question dans un proche avenir.

Le bureau est destiné à « faciliter les contacts commerciaux et politiques entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, à soutenir les contacts entre les individus et à fournir des conditions pratiques pour les personnes autorisées à traverser la frontière ».

Enfin, ce n’est pas un hasard si, commentant l’ouverture, un représentant du département d’État américain a cité la déclaration du président sud-coréen Moon Jae-in selon laquelle une amélioration des relations entre la Corée du Nord et la Corée du Sud est impossible sans une solution au problème nucléaire nord-coréen.

Deuxièmement, en octobre, la Corée du Sud accueillera « Autumn has Arrived », des concerts de groupes nord-coréens. Les deux pays se sont mis d’accord pour organiser ces concerts en avril dernier, lorsque des artistes sud-coréens ont donné des concerts intitulés « Spring is Coming » à Pyongyang. Selon le ministère responsable de l’événement, il y aura deux concerts, l’un à Séoul et l’autre dans une ville de province.

Troisièmement, le 11 septembre, le gouvernement sud-coréen a présenté à l’Assemblée nationale un projet de loi sur la ratification de la Déclaration de Panmunjom : non seulement cette loi ratifierait la Déclaration, mais elle définirait également des principes directeurs pour améliorer les relations entre les deux Corée et développer la coopération. Le document indique qu’un budget de 418,5 millions de dollars sera nécessaire pour les projets conjoints prévus.

Quatrièmement, les pourparlers sur les travaux de restauration dans la zone démilitarisée et l’ouverture d’un centre pour les réunions entre membres de familles divisées commenceront dès la fin septembre.

Le centre pour les réunions a été construit en 2008, mais n’est pas utilisé depuis longtemps. Environ 50 millions de dollars ont été dépensés pour sa construction. Ce bâtiment de 12 étages, avec un étage en sous-sol, compte plus de 200 chambres et a été conçu pour permettre à un millier de personnes de participer à des réunions, mais il n’est pas encore adapté à une utilisation comme logement. Depuis son achèvement, le bâtiment n’a servi qu’à une seule réunion des membres de familles divisées, en octobre 2015. Le bâtiment a actuellement besoin d’une rénovation complète s’il est utilisé pour son usage initial, mais ce travail nécessiterait que tous les matériaux de construction passent par la Corée du Nord, et des pourparlers doivent donc être engagés avec les États-Unis pour résoudre un certain nombre de questions liées aux sanctions.

Comme nous l’avons vu, les résultats du sommet entre Kim Jong-un et Moon Jae-in peuvent décevoir ceux qui, avec optimisme, avaient espéré davantage, mais les sceptiques, qui s’attendaient à voir des événements cérémoniels et des propositions « tape à l’œil » du type de ceux normalement adoptés dans ces sommets, plutôt que tout progrès concret ont également eu tort. Oui, il s’agit d’un pas en avant important, mais nous devrons voir quelles seront les prochaines étapes, et être très attentifs à la manière dont la question coréenne sera traitée à l’Assemblée générale des Nations unies, ainsi qu’aux résultats du sommet entre les présidents américain et sud-coréen.

Konstantin Asmolov

Traduit par Wayan, relu par Cat, vérifié par Diane pour le Saker Francophone

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