L’autoritarisme est-il vraiment une mauvaise chose ?


Deena StrykerPar Deena Stryker – Le 17 janvier 2018 – Source katehon

En 1944, face à une lame de fond de préoccupation au sujet du processus démocratique aux États-Unis, F.D. Roosevelt s’est présenté et a remporté un quatrième mandat présidentiel, parce que les Américains ne voulaient pas d’un leader non expérimenté en présence de deux guerres. (Malheureusement, Roosevelt est mort peu après cette élection, laissant le président Truman formuler la politique américaine désastreuse envers l’Union soviétique qui nous a apporté les Guerres froides I et II).

Aujourd’hui, la présidence de FDR serait probablement considérée comme « autoritaire » : il prétendait ne pas voir le Japon qui se préparait à attaquer Pearl Harbor, pour pousser les Américains, choqués, à autoriser la guerre contre le Japon et l’Allemagne. Il est célèbre pour avoir manipulé la composition de la Cour suprême, et bien qu’elle ait été plus douce que ne l’aurait voulu le Mouvement progressiste, il a fait passer au Congrès une loi qui essorait les droits et les protections des travailleurs en demandant à ses conseillers : « Laissez-le moi faire ».  Il est encore adulé aujourd’hui.

Et Singapour, qui est un petit pays multiethnique dirigé par le même homme depuis quatre décennies, se place au premier rang pour les critères principaux de gouvernance.

Après avoir obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne, Lee Kuan Yew a conduit l’économie de Singapour, pays du Tiers Monde, vers la prospérité du Premier Monde en une seule génération. Selon WikiLeaks :

« L’accent mis par Lee Kuan Yew sur la croissance économique rapide, le soutien à l’entrepreneuriat et les limitations de la démocratie interne ont façonné les politiques de Singapour pour le prochain demi-siècle. »

Freedom House classe Singapour dans les pays « partiellement libres » et The Economist le classe comme « démocratie défectueuse » mais le parti au pouvoir obtient 83 des 89 sièges avec 70% des votes populaires, alors qu’au milieu des années quatre-vingt, Gallup a placé la confiance des Singapouriens dans le gouvernement et dans le système judiciaire du pays parmi les plus élevés au monde.

Bien que Singapour figure parmi les meilleurs pays pour l’« ordre et la sécurité »  l’« absence de corruption » et une « justice pénale efficace », les rassemblements de cinq personnes ou plus nécessitent des autorisations de la police, et les manifestations peuvent se tenir uniquement au Speakers’ Corner. Pourtant, ce pays multilingue (anglais, chinois et hindou) figure parmi les meilleurs au niveau international en matière d’éducation et de soins de santé distribués par le gouvernement. Bien que le système ne puisse être qualifié autrement que d’autoritaire, il n’y a absolument aucune chance pour qu’un président américain déclare que son leader « doit partir ». Car à l’instar de l’Europe, il combine l’esprit d’entreprise avec la protection socialiste des citoyens.

Aujourd’hui, l’autoritarisme s’applique également à la monarchie saoudienne, où les femmes n’ont pas le droit de conduire, encore moins de légiférer, à la Chine, où le Parti communiste veille sur le plus grand miracle économique, et à la Russie avec le président Vladimir Poutine. Fait intéressant, la qualification d’autoritarisme n’a pas été appliquée à Dmitri Medvedev lorsqu’il était président et à Vladimir Poutine Premier ministre. Medvedev était « un homme avec qui nous pouvons travailler » – et même « notre homme au Kremlin ».

En Russie, la faction « atlantiste », néolibérale, est traitée de « cinquième colonne » par les partisans de Poutine, qui chérissent leurs protections sociales et croient que l’État devrait être responsable des principales sources de richesse d’une nation.

Quel était l’état de la Russie quand Vladimir Poutine a succédé à Boris Eltsine, le premier « homme du Kremlin » en Amérique ?

Poutine a été élu pour la première fois en 2000, trois mois après la démission d’Eltsine pour maladie. À quarante-huit ans, grâce à sa fermeté d’officier du KGB, ancien conseiller aux affaires internationales auprès du maire de Saint-Pétersbourg, Directeur du KGB, puis Premier ministre de Boris Eltsine (un président célèbre pour ses manifestations d’ébriété), Poutine était son successeur désigné à une époque où la Russie était dans le chaos.

Les joyaux économiques de la Russie avaient été privatisés, à des prix défiant toute concurrence, dans l’intérêt d’un groupe d’hommes connus sous le nom d’« oligarques ». Les employés de l’État ne recevaient pas leurs salaires à temps – voire pas du tout – et pratiquement rien n’avait été fait pour construire un système libéral équitable – ou social-démocrate – dix ans après la dissolution de l’Union soviétique. Quand Vladimir Poutine a déclaré que cet événement avait été une catastrophe, il ne parlait pas, comme le suppose la presse occidentale, du communisme, mais des terribles conditions sociales dans lesquelles la privatisation forcenée a laissé la plupart des Russes.

Poutine est invariablement étiqueté comme « ancien officier du KGB » par les journalistes américains, qui oublient facilement que le premier président Bush a dirigé la CIA pendant un an. La vérité est que les emplois diversifiés du président russe l’ont bien préparé au défi de faire revivre le plus grand pays du monde, qui abrite 160 groupes ethniques parlant environ 100 langues et pratiquant quatre religions différentes : le christianisme, le judaïsme, le bouddhisme et l’islam – les estimations pour cette dernière allant de 5% à 14%.

Les médias occidentaux affirment que la cote de plus de 80% du président Poutine reflète une mentalité de troupeau, résultat de siècles de domination autocratique sous les Mongols – quatre siècles – les tsars et le parti communiste. En réalité, à l’insu de la plupart des Américains, les Russes d’aujourd’hui jouissent des modes de vie individualistes, des vacances à l’étranger et des dernières voitures à la mode.

Pendant vingt siècles, l’attrait de la démocratie athénienne, qui était réservée aux hommes libres, a augmenté parallèlement au pouvoir des monarques. Mais l’application de la démocratie s’est révélée de plus en plus difficile à mesure que les populations et les menaces augmentaient. Après avoir quitté ses fonctions après huit années de refus des Républicains de coopérer à ses projets louables, je soupçonne le président Obama, comme la plupart des autres chefs d’État occidentaux, d’envier secrètement à Poutine sa capacité à faire avancer les choses.

Lorsque j’étais à Cuba en 1964, Fidel Castro était qualifié de dictateur par les États-Unis. J’ai alors demandé au président Osvaldo Dorticos s’il acceptait ou non l’idée que c’était risqué d’avoir un « roi » car on ne pourrait jamais savoir si le pouvoir hérité serait bon ou mauvais. Le monde extérieur ne savait pas que le gouvernement cubain expérimentait déjà différentes formes de démocratie locale. Aujourd’hui, partout dans le monde, « le peuple » est toujours impuissant à empêcher la détérioration des conditions économiques, et même la guerre – qui remplit d’abord les coffres des fabricants d’armes, puis ceux de l’industrie, pour reconstruire ce que la guerre a détruit. Pourtant, Raul Castro a supervisé une transition vers une forme de démocratie participative nationale, et Poutine semble encourager la même approche en Russie. En Occident, il devient de plus en plus difficile d’affirmer que des élections libres et équitables garantissent un gouvernement efficace ou la satisfaction de la population.

Dans le monde complexe du XXIe siècle, la paix et la prospérité sont probablement mieux servies lorsque des gouvernements centraux forts affrontent les défis mondiaux, et que des pouvoirs locaux supervisent les affaires intérieures. (L’Islande, un pays si peu peuplé que presque tout le monde connaît tout le monde, applique avec succès ce système).

Bien qu’il ait été élu de manière régulière, Donald Trump ne peut pas agir à la Maison Blanche, pour faire, avec Poutine et Xi un monde multipolaire organisé dans le sens d’une coopération. Guidées par « une main invisible », des milliers de personnes protestent contre le président néo-fasciste, misogyne et raciste qui a battu sa rivale néo-fasciste préparant une guerre nucléaire contre la Russie et dont les soutiens, mais pas les protestataires, ont les moyens de mettre en œuvre la « solution finale » contre un président américain.

Deena Stryker

Traduit par JJ, relu par Cat pour le Saker Francophone

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