L’autoritarisme de gauche est réel et doit être pris au sérieux en psychologie politique, selon une étude.


Par Emma Young – Le 1er octobre 2021 – British Psychological Society

L’autoritarisme a été bien étudié par les psychologues. Enfin, l’autoritarisme de droite l’a été. En fait, comme c’est généralement le seul type d’autoritarisme qui est étudié, on pourrait vous pardonner de penser que c’est ce qu’est l’autoritarisme. L’idée même d’un autoritarisme de gauche (AdG) a reçu non seulement peu d’attention de la part des universitaires, mais aussi beaucoup de scepticisme de la part des psychologues. « Je pense que je n’ai pas trouvé d’autoritaires à gauche parce que s’il y en a jamais eu, ils se sont desséchés et envolés…. », écrivait en 1996 Bob Altemeyer, pionnier des travaux sur l’autoritarisme de droite.

Mais comme l’écrivent Thomas Costello de l’université Emory et ses collègues dans leur nouvel article publié dans le Journal of Personality and Social Psychology : Personality Processes and Individual Differences, « De la Chine maoïste aux Khmers rouges (et peut-être même le règne de la Terreur en France), l’histoire abonde d’exemples d’autoritarisme de gauche à un large niveau sociétal, ce qui rend perplexe face à l’incapacité de la psychologie à identifier les autoritaires de gauche ».

Il y a de quoi être perplexe. Peut-être que les chercheurs, étant majoritairement de gauche, n’ont pas voulu s’y aventurer….. Mais dans leur nouvel article, Costello et ses collègues vont résolument dans ce sens. Ils concluent que l’AdG existe bel et bien, et ils définissent non seulement ses caractéristiques mais aussi celles des personnes qui y souscrivent. Ils révèlent également des similitudes substantielles entre les autoritaires de droite et ceux de gauche.

Tout d’abord, l’équipe a utilisé une approche ascendante pour concevoir une échelle permettant d’évaluer l’AdG. En plus de parcourir les documents de recherche pour trouver des éléments susceptibles de se rapporter à l’autoritarisme, ils ont sollicité des idées auprès de psychologues, de politologues et de philosophes. En utilisant plusieurs lots de participants en ligne, l’équipe a progressivement réduit et révisé ces éléments. Elle s’est retrouvée avec 39 caractéristiques reflétant trois dimensions conceptuellement distinctes de l’AdG. Je vais reprendre les définitions directement de l’article :

  • Agressivité antihiérarchique – la croyance que les personnes actuellement au pouvoir doivent être punies, que l’ordre établi doit être renversé et que des actions extrêmes, comme la violence politique, sont justifiables pour atteindre ces objectifs.
  • Anti-conventionnalisme – le rejet des valeurs traditionnelles, un absolutisme moral concernant les valeurs progressistes, le rejet concomitant des conservateurs comme étant intrinsèquement immoraux et un besoin d’homogénéité politique dans son environnement social.
  • Censure hiérarchique – préférences pour l’utilisation de l’autorité gouvernementale et institutionnelle pour étouffer l’opposition et interdire les discours dits offensants et intolérants.

En examinant cette liste, je connais certainement des personnes qui, j’en suis sûr, se considèrent comme extrêmement libérales, mais qui obtiendraient un score assez élevé, au moins dans la dimension anti-conventionnaliste.

Les chercheurs ont ensuite mené des études en utilisant de nouveaux lots de participants et un éventail impressionnant d’échelles d’auto-évaluation pour examiner tous les aspects de la personnalité, de l’humeur et de la cognition. Ils ont constaté quelques différences entre les autoritaires de gauche et ceux de droite. Les personnes qui ont obtenu un score élevé sur l’échelle AdG ont signalé plus d’émotions négatives et étaient plus névrosées que la moyenne (contrairement aux AdD, Autoritaires de Droite). Elles étaient également plus susceptibles de faire état de schadenfreude [expression allemande signifiant la « joie malsaine » ou la « joie maligne » que l’on éprouve en observant le malheur d’autrui, NdT] . Les AdD, quant à eux, ont obtenu des scores plus élevés en ce qui concerne la certitude injustifiée en leurs croyances et le biais de confirmation (tendance à favoriser les informations qui confirment leurs croyances). Les AdD sont également plus fortement liés à une rigidité cognitive, à une faible ouverture d’esprit ainsi qu’à une croyance en la science inférieure à la moyenne.

Cependant, il y avait beaucoup plus de similitudes entre les deux groupes que de différences. À tel point qu’il semble exister une constellation de traits communs « qui pourraient être considérés comme le « cœur » de l’autoritarisme », écrit l’équipe. Ces traits communs comprennent (et encore une fois, je vais citer directement l’article) : une « préférence pour l’uniformité sociale, des préjugés à l’égard d’autres personnes différentes, la volonté d’utiliser l’autorité du groupe pour contraindre le comportement, la rigidité cognitive, l’agressivité et la punition à l’égard des ennemis perçus, une préoccupation démesurée pour la hiérarchie et l’absolutisme moral ».

En termes d’implications potentiellement dangereuses pour les autres, l’autoritarisme de gauche et de l’aile gauche est lié à l’approbation de la violence politique, mais pour les AdG, il s’agit d’une violence dirigée contre l’État (manifestations violentes, par exemple), alors que pour les AdD, il s’agit d’un soutien à l’État (soutien à la répression policière, par exemple).

Outre l’analyse de ces données tirées d’auto-déclaration, l’équipe a mené une étude visant à examiner les AdG et le comportement réel. Les participants en ligne ont choisi le niveau de difficulté d’une série d’énigmes qu’ils pensaient donner à un autre participant pour qu’il les termine. Mais avant de choisir les puzzles, on leur a montré ce qu’on leur a dit être le profil Facebook de ce « partenaire ». Ceux qui avaient obtenu un score élevé au test d’AdG « punissaient » les partenaires ayant un profil de droite en leur proposant des puzzles plus difficiles et « aidaient » ceux ayant un profil de gauche en leur proposant des puzzles plus faciles. Ce phénomène s’est produit même lorsque l’idéologie politique des participants était prise en compte, ce qui montre que l’AdG peut être lié à un comportement agressif réel à l’égard du groupe politique extérieur, au-delà des effets de l’idéologie politique, a conclu l’équipe.

Cependant, aucune de ces études ne portait sur des groupes de participants représentatifs de la population générale. Les chercheurs ont donc mené une nouvelle étude sur 834 participants sélectionnés pour être représentatifs de la population des États-Unis. Là encore, ils ont trouvé d’importantes corrélations entre les scores des AdG et le dogmatisme, ainsi que la schadenfreude, le désengagement moral et la violence envers les groupes extérieurs. L’étude portait sur la participation effective à l’usage de la force pour une cause politique au cours des cinq années précédentes. Cela inclut également le soutien à des actions de groupe violentes lors des manifestations contre la brutalité policière à l’égard des Noirs américains au cours de l’été 2020, à la suite du meurtre de George Floyd.

Dans l’ensemble, l’équipe présente donc beaucoup d’études – et beaucoup d’analyses. Le travail présente toutefois certaines limites. En raison de la nature des échelles, il n’est pas possible de dire si les autoritaires de droite sont plus autoritaires que ceux de gauche, ou vice versa. De plus, le chemin qui mène à l’AdG peut être plus bien intentionné que celui qui mène à l’AdD, écrivent les chercheurs ; par exemple, une personne qui souhaite ardemment remettre en cause les inégalités dans la société peut finir par penser que la protestation violente est la seule option. « Malgré les similitudes entre l’AdG et l’AdD, nous ne prétendons pas qu’il existe une équivalence motivationnelle ou morale (ou une absence d’équivalence) entre les deux constructions, à l’heure actuelle », écrivent-ils.

L’ensemble de leurs résultats suggère certainement, cependant, que les arguments selon lesquels la recherche sur l’AdG devrait être abandonnée doivent eux-mêmes être abandonnés. En fait, l’exclusion des caractéristiques de gauche des études sur l’autoritarisme « a limité le type de connaissances que nous pouvions produire en tant que chercheurs en psychologie », affirme l’équipe. Et étant donné l’importance de l’autoritarisme dans la politique, à l’échelle mondiale, et dans la façon dont les sociétés réagissent et luttent pour le changement, il est certainement grand temps que cela change.

Emma Young

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

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