Par Eric Margolis − Le 12 août 2022 − Source Oriental Review
Il est troublant de voir un gouvernement démocratique comme celui des États-Unis se taper sur le torse après avoir commis le meurtre à renfort de haute technologie d’un djihadiste à la retraite, le Dr. Ayman al-Zawahiri.
Al-Zawahiri, âgé de 71 ans, avait pris la succession d’Osama ben Laden après l’assassinat de ce dernier, et était donc à la tête d’al-Qaeda, le groupe clandestin anti-États-Unis. L’homme, un Égyptien modéré, avait été médecin dans la ville du Caire, où la police secrète brutale d’Hosni Moubarak, un dictateur soutenu par les États-Unis, l’avait arrêté. Bien que Zawahiri ne fût pas impliqué directement dans l’opposition, il fut sauvagement torturé par la police secrète de Moubarak, qui était directement conseillée et assistée financièrement par des experts étasuniens en sécurité et en renseignements.
Je n’ai jamais rencontré le Dr. al-Zawahiri, mais j’ai passé de longues heures en compagnie de son professeur et mentor, le Sheik Abdullah Azzam — qui fut également le guide spirituel et l’instructeur de ben Laden. Considérez-le comme le père du djihad.
Après la torture et la prison, le Dr. al-Zawahiri se radicalisa, rejoignit le mouvement clandestin d’Osama Ben Laden qui s’était donné pour objectif d’éradiquer l’influence étasunienne sur le monde musulman. Al-Zawahiri rallia par la suite Ben Laden en Afghanistan, une zone de tir à volonté pour les djihadistes islamiques. Selon Washington, tout groupe opposé à la présence des États-Unis au Proche-Orient est sans doute possible “terroriste”. Israël développe cette même terminologie afin de jeter le discrédit sur tous les groupes de résistance palestiniens.
Les États-Unis affirment qu’Osama Ben Laden et al-Zawahiri furent les architectes des attaques du 11 septembre 2001 contre New York et Washington. Mais Ben Laden et al-Zawahiri ont réfuté leur implication, non sans applaudir ces attaques sanglantes. Ben Laden a affirmé que l’attaque contre New York était un retour de bâton pour la destruction par Israël de Beyrouth-Ouest, occupée par l’OLP, lors de l’invasion du Liban en 1982. En Occident, nul n’a prêté attention à cette déclaration.
À ce jour, je remets en question la thèse selon laquelle Ben Laden et son groupe furent réellement derrière le 11 septembre. Les enregistrements vidéo diffusés sur CNN montrant Ben Laden discutant de l’attaque contre New York se sont avérés constituer des faux grossiers.
Mes contacts en Afghanistan et au Pakistan insistent sur l’idée que l’attaque a été fomentée par des groupes extrémistes anti-étasuniens situés en Arabie Saoudite, et préparée en Allemagne ainsi qu’en Espagne. Les Taliban n’avaient rien à voir avec le 11 septembre. L’Irak non plus, contrairement aux fausses déclarations produites par l’administration Bush. Hamid Gul, l’ancien chef de l’ISI, les services de renseignements du Pakistan, m’a affirmé que les Saoud se trouvaient derrière le 11 septembre.
Mais un mystère reste : pourquoi al-Zawahiri vivait-il à Kaboul sans se cacher — si tel était bien le cas ? Les relations entre al-Qaeda et les Talibans n’ont jamais été bonnes. Il en va de même vis-à-vis de l’Iran. Et pourtant, al-Zawahiri aurait supposément décidé de vivre dans un appartement du centre-ville entouré d’informateurs, d’espions, et d’anciens membres de la police secrète du régime, le tout avec une prime de 25 millions de dollars sur la tête ? On peut également se demander pourquoi Osama Ben Laden vivait à Abbottabad, un cantonnement militaire pakistanais, ouvertement et sans protection.
Face à cela, nous savons que Ben Laden comme al-Zawahiri étaient tous les deux largement retirés des activités militantes. Normalement, ils auraient pratiqué le golf ou le cricket, et auraient joué avec leurs petits-enfants. Aucun des deux hommes n’était bien caché ni lourdement protégé. Voilà qui est à tout le moins étrange. Al-Qaeda était presque hors-jeu. Les deux vieux djihadistes étaient de vieux hommes malades.
Ben Laden a été inhumé en pleine mer par la Navy étasunienne. Selon Washington, on a procédé ainsi pour empêcher que son lieu d’inhumation devînt un sanctuaire. S’il fut impliqué dans les crimes de masse du 11 septembre, il aurait dû être amené à New York pour subir un procès.
Selon moi, on a procédé selon un dicton pirate disant que les hommes morts ne racontent plus rien. Ben Laden fut jadis un allié des États-Unis, et personne ne voulait qu’il s’exprimât à ce sujet. Al-Zawahiri avait des squelettes dans le placard. Comme le disait le bon mot de Staline : “Pas d’homme, pas de problème.”
Le Sheikh Abdullah Azzam m’a affirmé, lorsque nous nous trouvions à Peshawar, au Pakistan, qu’“une fois l’Afghanistan libéré, nous irions libérer l’Arabie Saoudite du joug étasunien”. Azzam a été un réfugié palestinien et a perdu sa maison de famille, confisquée au bénéfice de colons israéliens. Il a été assassiné par une voiture piégée aux abords de cet endroit avant de pouvoir agir contre les Saoud. On ne sait pas qui a tué Azzam. Il avait de nombreux ennemis. On peut soupçonner les Étasuniens, les Indiens, les communistes afghans, les Tadjiks, les Ouzbèques, les soutiens de Benazir Bhutto, ou le KGB soviétique.
Al-Zawahiri s’est avéré être un dirigeant sans étoffe, et a laissé al-Qaeda s’estomper jusqu’à une quasi obscurité. État Islamique, le groupe plus militant et plus récent, a accusé al-Qaeda de s’être vendu aux puissances occidentales et de devenir faible, et s’en est même pris aux Talibans. Al-Zawahiri et Ben Laden avaient chacun sombré dans l’insignifiance au moment où ils furent assassinés par la CIA. Mais jusque dans la mort, ils sont restés des symboles puissants de la résistance à la domination occidentale.
Eric Margolis
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone