Le 29 janvier 2015.
Monsieur le Président de la République,
Le fascisme est partout renaissant en Europe, singulièrement dans les pays désormais indépendants de l’ex-URSS, où des forces obscures très puissantes utilisent le néonazisme comme vecteur idéologique de leur émancipation nationale et de leur souveraineté territoriale. Dans ces milieux et au-delà, la crise ukrainienne, politiquement et diplomatiquement surexploitée pour dénigrer la Fédération de Russie, sert de prétexte à de multiples tentatives de réhabilitation du III° Reich, en particulier dans les pays baltes où les monuments commémorant la victoire de 1945 sont régulièrement profanés, avec la complicité passive ou explicite des gouvernements concernés.
L’Occident n’est nullement à l’abri de ces très dangereux débordements. Au mépris de ses statuts historiques, l’Union européenne tolère, en son sein, des formations qui ont pu impunément envoyer au Parlement plusieurs députés légalement élus quoique nazis autoproclamés.
Face à cette situation, qu’alimente et qu’aggrave une crise économique sans fin sur le vieux continent, la Russie soumet tous les ans, lors de l’Assemblée générale des Nations unies, une résolution appelant à ne pas admettre «cette glorification des nazis et de leurs acolytes qui, en brandissant des croix gammées et en défilant le bras tendu, font ouvertement l’apologie de la xénophobie et de la supériorité raciale.»
Hélas, les États-Unis, le Canada et les îles Marshall votent systématiquement contre ce texte, et l’Union européenne – dont la France –, qui paraît en l’occurrence renouer avec le funeste esprit de Munich, choisit de s’abstenir. Opposants et abstentionnistes allèguent… le respect de la liberté d’expression pour justifier leur décision ! Sous le même prétexte, ils bloquent l’adoption de décisions similaires à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Lamentable et périlleuse attitude qui peut s’interpréter comme un blanc-seing délivré aux mouvements fascistes pour poursuivre leurs criminelles activités.
Le prétexte invoqué cette année pour le vote contre le texte ou l’abstention est la crise ukrainienne et l’« annexion » de la Crimée. Il faudrait faire comprendre à Vladimir Poutine que l’Occident ne tolèrera pas une Russie expansionniste. Ceci n’est bien entendu qu’un prétexte puisque en novembre 2013, alors que la crise ukrainienne commençait à peine et qu’il n’était pas question des mouvements séparatistes de l’est de l’Ukraine ni de la Crimée, le vote avait été le même. Plus remarquable encore le vote de décembre 2010, alors que le président russe était Dmitri Medvedev, réputé pour être plus proche de l’Occident que l’actuel président russe.
Il n’est pas acceptable que les initiatives russes sur le plan diplomatiques soient ainsi méprisées. L’énorme tribut payé par l’ex-URSS durant la Deuxième guerre mondiale l’interdit moralement. Les Résistants d’Europe, et en particulier français, savent ce qu’ils doivent à l’Armée rouge. Sans ses victoires décisives sur Hitler, la bataille mondiale pour la liberté n’aurait pas été possible et les Alliés n’auraient jamais débarqué en Italie ni sur les côtes de Normandie. Faut-il rappeler qu’à la date du jour J, le 6 juin 1944, la Wehrmacht était partout en déroute sur le front de l’Est et qu’Hitler avait donc, déjà, perdu la guerre ? Faut-il rappeler que, sans les sacrifices soviétiques, la France n’aurait jamais recouvré sa liberté ? Faut-il rappeler que, sans les victoires de Moscou, de Stalingrad et de Koursk – principales défaites militaires nazies – le monde n’aurait jamais pu s’affranchir du fascisme ni l’Organisation des Nations unies voir le jour ?
Nous voudrions aussi vous rappeler, Monsieur le Président, qu’au printemps et en été 1942, le général de Gaulle a en vain essayé de persuader les alliés d’ouvrir le « second front ». Si le général de Gaulle avait été écouté, ce sont des millions de personnes, en Union Soviétique et dans les camps de concentration, qui n’auraient pas perdu la vie. Faut-il vous rappeler que le débarquement en France proposé par le général de Gaulle a été remplacé par un débarquement en Afrique du Nord et que la première version du désormais célèbre « regime change » américain a eu lieu à ce moment là, les Américains ayant choisi le général Giraud à la place du général de Gaulle ?
La France qui, comme membre permanent du Conseil de sécurité, dispose d’un droit de veto, ne doit pas oublier l’histoire et ses enseignements. Elle ne doit pas oublier les responsabilités que lui confère le fait d’avoir pu, en 1945, s’asseoir à la table des vainqueurs. Elle ne doit pas oublier que sans la Résistance, sans l’engagement personnel du général de Gaulle sauvant depuis Londres l’honneur de notre pays, elle ne jouirait pas sur le plan diplomatique du poids et du prestige qui sont les siens. Par conséquent, sa voix, si écoutée dans le monde lorsqu’elle s’appuie sur ses principes historiques, repris et exaltés par le Conseil national de la Résistance, sa voix donc, ne doit pas se taire et doit se joindre au combat contre la renaissance du nazisme, c’est à dire défendre ses valeurs. Valeurs que vous avez invoquées lors de vos multiples interventions publiques, en particulier lors de la commémoration des débarquements en Normandie et en Provence. Il vous appartient donc de rompre, en tant que chef de l’État, avec la prudence coupable et veule d’une Europe dont l’inconsistance en politique étrangère ne cesse d’altérer le rayonnement.
En conséquence, les signataires vous demandent d’ajouter l’an prochain la signature de la France à celles des nations ayant déjà soutenu la résolution de la Fédération de Russie.
Armand Conan, résistant, membre du Comité départemental de libération du Morbihan
René Jassaud, résistant, ravitailleur du maquis «Camp Robert» (Var)
Colette Lacroix, résistante, membre du réseau SOE «Pimento» (Ain)
Antoine Payet, résistant, membre du groupe de «Saint Fons» (Rhône)
Paul Raybaud, résistant, membre du maquis «Camp Robert» (Var)