Par Tom Luongo – Le 5 janvier 2022 – Source Gold Goats ‘n Guns
À l’approche du grand sommet de la semaine prochaine entre les États-Unis, l’OTAN et la Russie sur les tensions en Ukraine, il est important de comprendre où en sont les relations entre ces parties. Le ministère russe des affaires étrangères, qui incarne habituellement une modération et une politesse exaspérantes, a redoublé de franchise au cours des deux derniers mois.
Rien d’autre ne semble attirer l’attention des soi-disant diplomates et décideurs américains et européens.
Ce sont des gens qui croient avec arrogance que c’est leur droit et leur privilège de rabaisser tous ceux qu’ils ne respectent pas ou avec lesquels ils ne sont pas d’accord. Ils n’aiment sincèrement pas qu’on leur renvoie la balle.
À cet égard, la récente altercation entre la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, Maria Zakharova, et le haut diplomate de l’UE, Josep Borrell, a été remarquable. Zakharova est minutieuse, éloquente et presque toujours correcte. Elle y parvient parce qu’elle a la vérité de son côté.
Borrell a publié une interview dans le torchon de propagande allemand, Die Welt, qui se lit comme une demande d’internement pour un long séjour à l’asile d’Arkham pour solipsisme à la limite de la folie et dans laquelle il se plaint que la Russie n’a pas le droit de faire des demandes à l’UE ou à l’OTAN.
« Exiger des garanties de sécurité et mettre fin à l’expansion vers l’est de l’UE et de l’OTAN est un programme purement russe assorti de conditions totalement inacceptables, notamment en ce qui concerne l’Ukraine », a ajouté Borrell.
Selon lui, la Fédération de Russie a présenté son agenda par écrit pour la première fois. « Seuls les gagnants font cela : ils disent que ceci et cela sont mes conditions », a déclaré Borrell.
Le problème pour Borrell est que les Russes sont les gagnants dans cette impasse. La Russie a un avantage tactique et stratégique sur tous les plans, et seules la réticence de l’UE et la folie des idéologues technocrates européens, comme Borrell, empêchent de le reconnaître.
Borrell, comme les eurocrates Ursula von der Leyen, Charles Michel, Christine Lagarde, etc. ont tous été placés au pouvoir par le Davos pour obtenir les résultats auxquels nous avons malheureusement eu droit. Ils n’ont rien à voir avec l’Europe. Il n’y a pas de mauvais résultats pour eux, sauf s’ils ne font pas ce qu’on leur dit.
Et on leur dit d’être des têtes de nœud intransigeantes qui nient la réalité.
Donc, comme toujours, ces insultes de Borrell sont une caractéristique, et non un bug, de la politique européenne. Les gens comme Borrell sont peut-être incompétents, mais c’est aussi une caractéristique, pas un problème. Il a été choisi précisément parce que c’est un crétin qui dira et fera tout ce qu’on lui dit de faire.
Donc, la vraie question qui est intégrée dans tous les commentaires de Zakharova dans l’article en lien ci-dessus est la suivante : les personnes qui tirent les ficelles de l’Europe sont-elles incompétentes ou veulent-elles vraiment ne pas avoir de relations fructueuses avec la Russie ?
D’ailleurs, ces deux choses peuvent être vraies. Ils sont incompétents parce qu’ils ne veulent pas de relations avec la Russie à l’avenir.
Les revendications de Borrell à notre encontre et la manière dont Bruxelles s’est exprimée pendant de nombreuses années étaient extrêmement étranges et, dans de nombreux cas, inadmissibles. Aujourd’hui, cela n’a aucun sens de présenter des réclamations qui nous sont adressées. Personne n’a le droit de le faire. Quant aux déclarations produites en masse par le service diplomatique dont Borrel a la charge, elles contiennent des demandes formulées d’une manière très particulière. Par exemple, « la Russie doit » ou « on attend de la Russie ». Comme si nous étions membres de l’Union européenne ou de l’OTAN et que, tout à coup, il s’avérerait que nous avons fait quelque chose de mal, ou que nous n’aurions pas le droit de présenter un projet pour une discussion commune.
J’ai dit à de nombreuses reprises que l’UE vit dans cette bulle où elle pense encore être importante pour l’économie mondiale alors même qu’elle met en œuvre des politiques qui ne font rien d’autre que consommer les richesses précédemment stockées de l’Europe, la rendant chaque jour moins importante pour ses partenaires commerciaux.
Ils croyaient vraiment qu’ils tenaient la Russie dans un système de monopsone (avec un acheteur unique) pour les livraisons de gaz naturel et que sans le marché européen, l’économie russe s’effondrerait et qu’ils seraient en mesure de dicter leurs conditions.
Parce que, vous savez, c’est ce que font les gagnants.
Des agendas impériaux concurrents
Le problème est, comme le souligne Pepe Escobar dans son dernier article, que Nordstream 2 n’a jamais vraiment été un projet central pour la Russie et/ou Gazprom. Il aurait pu l’être si l’UE avait toujours été un honnête opérateur en matière d’approvisionnement énergétique.
Cependant, le récit éculé du Mal qu’incarnerait les États-Unis que tisse Escobar n’est que pure fiction. L’UE a toujours conduit le bus de sa propre politique. Ce n’est pas seulement une affaire américaine. L’objectif a toujours été de tirer parti du marché de l’UE pour imposer ses conditions à ses fournisseurs d’énergie. La puissance militaire et financière des États-Unis était le moyen d’imposer des conditions toujours changeantes, comme le ferait tout bon mafiosi, tout en vidant les États-Unis de leur dynamisme.
Malheureusement, il y a trop de gens dans l’espace des commentaires politiques alternatifs, dont Escobar, Caitlyn Johnstone et Bernard de Moon of Alabama, qui ne peuvent pas abandonner l’idée de l’empire américain maléfique parce qu’ils voient l’Europe comme une victime plutôt que comme un co-conspirateur de l’Empire du Chaos.
La Russie, cependant, comprend tout cela. Elle comprend, comme le souligne explicitement Zahkarova, que l’OTAN est le bras militaire de la politique expansionniste de l’UE.
« Le haut diplomate européen doit avoir oublié que pour les pays membres de l’UE qui sont également membres de l’OTAN, pour 21 d’entre eux, l’alliance reste la base de leur défense collective et une plate-forme pour sa mise en œuvre », a déclaré Zakharova. « En d’autres termes, la Bruxelles de l’UE a délégué à la Bruxelles de l’OTAN la part du lion de sa souveraineté militaire. »
Frappe du batteur !
Le meilleur, c’est que Zakharova ne s’arrête pas là et évoque ensuite les vérités gênantes sur le bombardement de Belgrade en 1999 par l’OTAN. C’est un doux rappel que la « diplomatie » de Borrell n’est qu’une extension de la puissance militaire américaine.
Maintenant que nous avons remis l’Union européenne à sa place – à la table des enfants – passons au sommet de la semaine prochaine et voyons où en sont les choses. Ce qui met Borrell en colère, c’est qu’en présentant ce projet de traité, la Russie relègue au second plan toute discussion de nature politique et économique.
Ce qui se passe en Ukraine n’a plus rien à voir avec les livraisons d’énergie, les pipelines, ou quoi que ce soit d’autre. Poutine a réinitialisé les termes du conflit pour en faire un conflit purement militaire, basé sur les faits constatés sur le terrain.
Ce faisant, il fait reposer les négociations pour toute résolution sur les épaules de la puissance militaire de la région. Il s’agit des États-Unis.
La limite de la politique
Le mouvement tactique ici est simple. Isoler les termes du conflit, ici militaire, dans le domaine que vous contrôlez pour en tirer le plus grand avantage. C’est Sun Tzu. Ne vous battez pas sur un terrain préparé par votre ennemi.
C’est exactement ce que Poutine et son ministère des Affaires étrangères sous la direction de Sergueï Lavrov, pour qui Zakharova parle ici, ont fait.
C’est dans l’arène politique que le Davos est fort – contrôle du récit, des médias, etc. C’est sur le plan militaire que l’OTAN et les États-Unis ne sont pas disposés à s’engager car, en fin de compte, le conflit est impossible à gagner même à titre d’outil politique.
Le message est clair. C’est une question d’importance militaire, sécuritaire et culturelle, l’économie ne compte pas. Au diable les pipelines. Au diable la politique. Nous avons les missiles pour vous anéantir et nous les utiliserons, tournant en dérision l’OTAN et les États-Unis en tant que puissance militaire.
C’est pourquoi le dernier appel téléphonique de Biden et Poutine était si « constructif ». Comme je le dis depuis des mois, les États-Unis veulent sortir de l’Europe pour déprécier l’OTAN. L’OTAN est une grosse affaire pour de nombreux eurocrates, néoconservateurs, membres du complexe militaro-industriel et pour le reste des suspects habituels.
Mais le véritable enjeu ici, c’est ce qui reste de la réputation des États-Unis en tant que première hyperpuissance militaire du monde. Biden a donc besoin d’un moyen de quitter l’Ukraine en conservant intactes certaines de ces illusions. Des incompétents comme Borrell et la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock ne comprennent pas du tout cela.
Elle a essayé de donner le ton au nouveau gouvernement allemand et a été sommairement remise à sa place par le chancelier Olaf Scholz. Maintenant, elle est à Washington pour qu’on lui transmette les ordres.
Poutine, Lavrov et le ministre de la défense Sergueï Choïgou comprennent la nécessité de maintenir la confiance dans les États-Unis et ne veulent pas que les États-Unis soient humiliés ici, même si de nombreux commentateurs pacifistes dans cet espace (comme Escobar) le veulent. Humilier les États-Unis ne fait que pousser la Russie encore plus loin dans l’orbite de la Chine à long terme, car ni les États-Unis ni l’Europe ne seront en mesure d’équilibrer la puissance de la Chine si cela se produit.
La protection de ce qui reste de l’influence du Davos dans ces allées du pouvoir est toujours primordiale pour eux. Ils sont en train de perdre les États-Unis. Ils ont perdu l’Inde au quatrième trimestre. La Russie et la Chine ont disparu. Mais l’OTAN peut être sauvée et transformée en une organisation dirigée par l’Europe et alliée aux Nations Unies si nécessaire.
Si vous enlevez l’OTAN et la capacité des États-Unis à menacer, vous enlevez une grande partie de la capacité du Davos à mener la politique qu’elle souhaite.
C’est pourquoi Biden va « céder » l’Europe à Poutine lorsqu’ils s’assiéront pour discuter à Genève. Parce que personne ne peut se permettre que ces illusions soient percées par une déroute de l’OTAN. Si cela se produit, où ces gens vont-ils se retirer ? Comment se maintiennent-ils dans le jeu ?
Dans un récent éditorial, Douglas MacGregor nous a rappelé le problème fondamental qui sous-tend le monde.
John Kenneth Galbraith avait prévenu que « les personnes privilégiées risqueront toujours leur destruction totale plutôt que de renoncer à une quelconque partie matérielle de leur avantage. Une des raisons en est sans doute la myopie intellectuelle, souvent appelée stupidité. Mais les privilégiés ont aussi le sentiment que leurs privilèges, aussi inouïs qu’ils puissent paraître aux autres, sont un droit solennel, fondamental, accordé par Dieu. »
Ce que les nains du Davos comme Borrell considèrent comme inacceptable n’a plus d’importance. Faire du chantage au monde avec une guerre nucléaire pour un trou à rats comme Kiev, voilà ce qui est totalement inacceptable. Ils ont essayé et ont échoué.
La Russie se bat, le Belarus est entièrement avec nous maintenant. Bientôt, le Donbass et le reste de l’Ukraine du Sud le seront aussi.
Des déclarations comme celle de Borrell, selon laquelle il ne peut y avoir de décision sur l’Europe sans inclure l’UE, sont hilarantes, alors que l’UE ne peut même pas décider si l’énergie solaire est suffisamment verte. [L’UE n’est même pas capable de définir ses règles de changement d’heures, NdSF…]
Lorsque les pourparlers s’ouvriront à Genève entre la Russie et les États-Unis en vue d’une nouvelle architecture de sécurité européenne, ils se concentreront sur cette délicate sortie du bourbier dans lequel toutes les parties concernées se sont volontairement placées.
Mais les Russes ne jouent pas à ce jeu. La guerre est déjà terminée.
L’OTAN a perdu. L’UE a perdu.
Et ce sont les vainqueurs qui dictent les conditions militaires.
La ferveur des néoconservateurs
La seule question qui reste est de savoir si des agents malveillants au sein de l’une de ces organisations – le complexe du renseignement, l’OTAN, l’UE – entreprendront quelque chose d’ici là pour saboter ces pourparlers de cessez-le-feu et « forcer la Russie à envahir » l’Ukraine.
C’est là qu’interviennent les néoconservateurs qui ne conçoivent aucune restriction à leur comportement. Ils sont prêts à tout risquer pour entretenir l’espoir de leur victoire finale. Ils sacrifieront tout le monde dans leur quête monomaniaque de la revendication d’un Trotski lésé.
C’est là qu’interviennent les frasques de Baerbock et de Victoria Nuland. À l’approche de Genève, les néoconservateurs ont fait entendre un chœur presque assourdissant de cris d’orfraies et de crachats de feu. On peut sentir leur désespoir à propos de chaque question – les ambitions nucléaires de l’Iran, la politique énergétique de Poutine, etc.
Le camouflet infligé à Baerbock et la disparition de Nuland des feux de la rampe montrent que les néoconservateurs sont sortis de la réserve imposée par le Davos et ont agi de leur propre chef.
Il semble qu’il n’y ait pas de fin à leur dépravation. Je suis très sceptique quant à l’éventualité que le Kazakhstan se lance dans une conflagration pour les prix du GPL, comme ce qui s’est passé hier. Cela ressemble à des « négociations agressives » à la veille d’un sommet important.
Cela dit, je pense que le Kazakhstan s’en sortira à peu près aussi bien que les récentes tentatives ratées au Belarus et en Arménie.
Et une fois que tout cela sera réglé et que le sommet sera terminé, l’UE et Borrell pourront revenir dans la conversation pour discuter à nouveau des considérations économiques. Mais étant donné la toxicité profonde des relations de l’UE avec tous ses voisins, y compris la Turquie et le Royaume-Uni, je doute que la Russie fasse autre chose que dicter ces conditions également.
Nordstream 2 n’est pas un projet essentiel pour Gazprom. Il peut être laissé à l’abandon. Le chancelier allemand Scholz est en route pour Moscou afin de sauver la situation. Cela devrait être amusant car il s’agit d’un besoin essentiel pour l’Allemagne.
Rappelez-vous, ma thèse est que le Davos veut des relations empoisonnées en permanence avec la Russie, mais pas de guerre. La guerre de l’UE contre son propre peuple est la seule guerre qu’elle peut gérer en ce moment. Elle a déjà du mal à empêcher les pays d’Europe de l’Est de s’enfuir.
Le Davos a besoin de la paix pour garder le contrôle de l’Europe, car avec une guerre en Ukraine, toute la raison d’être de l’UE – empêcher la guerre sur le continent européen – se dissout. L’UE se diviserait en un clin d’œil si cela se produisait.
D’un autre côté, les néoconservateurs ont besoin d’une guerre là-bas pour maintenir l’OTAN en place comme une sangsue, car sans l’Ukraine et avec la probabilité que les États-Unis se retirent complètement du Moyen-Orient en 2022, il ne leur reste plus rien.
Mais en même temps, les néoconservateurs sont confrontés à la fin de leur projet vieux de plus de 100 ans visant à venger Trotski et à gagner la révolution en renversant le méchant Poutine. L’Ukraine représente pour eux une crise existentielle similaire si le problème que ce pays pose est réglé pacifiquement.
Ce sont ces agendas diamétralement opposés qui 1) prouvent une fois de plus que j’ai raison, nous avons atteint le pic du Davos et 2) rendent cette situation encore très très dangereuse.
Mais c’est finalement la raison pour laquelle la Russie peut et va dicter les conditions finales en Europe, car c’est ce que font les gagnants. Espérons que j’ai raison car si les Russes perdent ici, nous perdrons tous.
Tom Luongo
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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