Par Wayan – le 26 février 2024 – Le Saker Francophone
La nouvelle de la mort de Navalny et l’offuscation des dirigeants occidentaux à ce sujet ont fait les gros titres des médias grand public cette semaine. C’est l’occasion de plonger dans les méandres de la guerre psychologique, les fameuse psyops, que le bloc occidental mène contre ceux qu’il considère comme ses ennemis, dans ce cas particulier Poutine.
Il est de notoriété publique que l’une des méthodes du néocolonialisme est de mettre une marionnette à la tête des pays qu’ils essaient de dominer. La France le faisait en Afrique, les Etats-Unis l’on fait en Irak, en Afghanistan, en Amérique latine et, en 2014, en Ukraine…Si la marionnette ne peut pas prendre la gouvernance du pays, elle est alors bien utile comme agitatrice politique dans un rôle de déstabilisateur du gouvernement en place.
Par exemple, en 2019 les Etats Unis et les pays occidentaux ont même été jusqu’à reconnaitre officiellement comme « président du Venezuela » un membre de l’opposition, Juan Guaido, qui s’était auto-déclaré « président à la place de Maduro », bousculant une fois de plus toutes les normes diplomatiques internationales. La mascarade a duré quelques années, permettant ainsi de s’accaparer les réserves monétaires vénézuéliennes placées aux Etats-Unis, ainsi que de l’ambassade du Venezuela à Washington, et de les donner à Guaido pour financer sa déstabilisation du pays. Finalement, ce dernier, après une série d’échecs, a perdu toute stature au Venezuela. Les Etats-Unis ont finalement lâché Guaido et reconnu de nouveau Maduro comme président officiel du pays. Ceci comme exemple des méthodes que peuvent utiliser les Etats-Unis, suivis par tout le bloc occidental, pour imposer ses marionnettes aux pays qu’ils veulent dominer.
Et bien Navalny est un Guaido russe, un potentiel président coaché par les Etats-Unis comme le fut Karzai en Afghanistan, Yatsenyuk en Ukraine, Talabani en Irak, Pinochet au Chili, Suharto en Indonésie, Marcos aux Philippines et bien d’autres… Navalny a été utilisé et manœuvré par les services secrets occidentaux pour être une épine dans le pied de Poutine. Il a même eu droit à un film de propagande nominé aux Oscars.
C’est pourquoi la mort d’un obscur activiste russe dans une prison russe fait tant de remous dans le microcosme politico-médiatique occidental alors que la torture et la mort d’un analyste alternatif étasunien dans une prison ukrainienne, il y a quelques semaines, n’a même pas fait une ligne dans les médias étasuniens ni provoqué la moindre protestation officielle, sans parler du sort que subit Assange depuis des années.
La rapidité à attribuer la mort de Navalny à Poutine, par les présidents de tous les pays du bloc occidental, est aussi un signe de cette guerre psychologique alors que l’enquête sur la mort de Jeffrey Epstein dans une prison de haute sécurité étasunienne bardée de caméra de surveillance n’est, après des années, toujours pas résolue et ne le sera sans doute jamais. Personne, pas même Poutine, n’a eu l’idée d’attribuer la mort d’Epstein au « régime Trump ». Au contraire du cas Epstein donc, pas besoin d’attendre plus d’informations pour dénoncer que « Poutine et sa bande de voyous seront tenus pour responsables de la mort de Navalny ».
Evidemment, le gouvernement russe n’est pas dupe :
« Les États-Unis et leurs alliés européens semblent avoir utilisé des arguments préparés pour imputer immédiatement à la Russie le décès du blogueur Alexeï Navalny dans une prison sibérienne, a déclaré vendredi le ministère russe des Affaires étrangères.
Navalny, 47 ans, s’est effondré au cours de sa marche quotidienne et a ensuite été déclaré mort. La cause du décès est encore en cours d’établissement.
Les réactions occidentales « ont démontré une fois de plus leur hypocrisie, leur cynisme et leur manque de principes », a déclaré le ministère des Affaires étrangères de Moscou dans un communiqué.
Le Service pénitentiaire fédéral de Russie pour la région autonome de Yamalo-Nenets a annoncé la mort de Navalny à 14 h 19, heure de Moscou, et « un torrent d’accusations conformes a commencé à affluer littéralement 15 minutes plus tard ».
Le premier message est venu du ministre suédois des Affaires étrangères Tobias Billström (« crime odieux ») et du ministre norvégien des Affaires étrangères Bart Eide (« lourd fardeau de la responsabilité ») à 14h35, tandis que le président letton Edgars Rinkevics a ajouté (« brutalement assassiné ») six minutes plus tard.
Le ministre tchèque des Affaires étrangères Jan Lipavsky a emboîté le pas, accusant la Russie d’être « un État cruel qui tue les gens qui rêvent d’un avenir meilleur et beau ». Une minute plus tard, le Français Stéphane Séjourné a affirmé que Navalny avait combattu « le système d’oppression ».
L’UE « tient le régime russe pour seul responsable de cette mort tragique », a déclaré à 15h02 le président du Conseil européen Charles Michel. Huit minutes plus tard, le président ukrainien Vladimir Zelensky a affirmé que Navalny avait été « manifestement tué par [le président russe Vladimir] Poutine ».
La litanie a été poursuivie par le Premier ministre néerlandais Mark Rutte (« cruauté sans précédent ») à 15h20, la présidente moldave Maia Sandu (« oppression flagrante ») dix minutes plus tard, et la ministre allemande Annalena Baerbock cinq minutes plus tard, déclarant que Navalny « devait mourir » parce qu’il était « le symbole d’une Russie libre et démocratique ».
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a ensuite pris la parole, suivie du chancelier allemand Olaf Scholz, du secrétaire d’État américain Antony Blinken et enfin du président français Emmanuel Macron, à 17h28.
En seulement deux heures, les hommes politiques et les médias occidentaux ont pu « obtenir les résultats d’une expertise médico-légale qui n’avait pas encore été réalisée, mener une enquête, blâmer Moscou et rendre un verdict », a noté le ministère russe des Affaires étrangères, suggérant que les réactions devaient avoir été préparées à l’avance et selon un modèle consistant à « blâmer la Russie quoi qu’il arrive ». »
Il faut dire que, à la suite de l’interview de Poutine par Carlson, l’image de Poutine « grand méchant loup » risquait de diminuer dans les esprits du public occidental alors la mort de Navalny est l’occasion parfaite pour la remettre en place. De plus, sa mort donne l’occasion aux États-Unis d’annoncer de nouvelles sanctions contre la Russie, suivis comme d’habitude par l’Europe.
Nous attendrons donc les résultats de l’enquête russe pour en savoir plus sur ce sujet. C’est aussi la position du gouvernement chinois qui contraste fortement avec la position occidentale :
« Le ministère chinois des Affaires étrangères a refusé de commenter la mort de l’opposant russe Alexeï Navalny avant que les médecins légistes n’aient déterminé la cause exacte du décès, affirmant que Moscou peut gérer ses propres affaires intérieures sans ingérence étrangère.
« C’est une affaire intérieure de la Russie. Je ne ferai aucun commentaire », a déclaré samedi le porte-parole du ministère en réponse à une question de l’agence de presse AFP.
Cette réaction a été immédiatement critiquée par le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, qui a accusé Pékin de soutenir Moscou.
« Aujourd’hui, nous avons reçu la déclaration du ministre chinois des Affaires étrangères disant que la mort de Navalny est une ‘question interne à la Russie’. Eh bien, ce n’est pas une question interne à la Russie », a déclaré Stoltenberg aux journalistes lors de la conférence sur la sécurité de Munich samedi, tout en rejetant la faute de la mort de Navalny sur le gouvernement russe. »
Pour ceux qui voudrait aller plus en profondeur que ce rapide résumé sur qui est Navalny et pourquoi il fait la une des journaux grand public occidentaux, voici quelques extraits d’ancien textes ou vidéos :
Cet entretien en français avec Jacques Baud, datant de 2021 qui explique qui est vraiment Navalny.
Ce texte de Wsws datant de 2018 :
« Pourtant, il existe un fossé frappant entre le soutien massif qu’il [Navalny] reçoit des médias occidentaux, et notamment américains, et son manque quasi total de popularité en Russie même. Malgré une couverture médiatique massive en Occident et dans les médias russes pro-opposition, un récent sondage a indiqué que seulement 2 % de l’électorat voterait pour lui.
Il y a de bonnes raisons à cette hostilité. Navalny n’est ni un démocrate ni un libéral, mais un entrepreneur et actionnaire mécontent avec des tendances fascistes distinctes. À plusieurs niveaux, il représente la saleté politique accumulée qui a fait surface en Russie après la dissolution de l’URSS en 1991…
Il a commencé à travailler en bourse et dans une société immobilière. Mais il n’y est pas parvenu. Navalny a rappelé plus tard : « Pour les fondamentalistes du marché comme moi, il semblait que nous allions tous devenir millionnaires. Tout le monde pensait que si nous étions intelligents, nous deviendrions bientôt riches… mais il est soudain devenu évident que les riches sont ceux qui sont liés d’une manière ou d’une autre au gouvernement ».
On peut supposer que cette reconnaissance l’a motivé à s’engager en politique. Tout en travaillant encore en bourse, il s’est aligné sur le parti libéral pro-marché « Yabloko » (La Pomme), dirigé par diverses personnalités, notamment Boris Nemtsov et Garry Kasparov, connus pour leurs relations permanentes avec le Département d’État de Washington et la CIA. »
Cet article de RT, publié en février 2021 :
« Des images de surveillance, enregistrées au début des années 2010, montrent un proche associé d’Alexeï Navalny cherchant de l’argent et des renseignements auprès d’un espion britannique présumé et suggérant que son travail anti-corruption pourrait profiter aux entreprises de Londres.
L’enregistrement, qui a été rapporté pour la première fois par la télévision RT lundi, aurait été filmé par le Service fédéral de sécurité (FSB) en 2012 et montrerait une rencontre entre Vladimir Ashurkov et un employé de l’ambassade britannique à Moscou. Ashurkov est le directeur exécutif du FBK, l’organisation anti-corruption d’Alexeï Navalny.
La personne qu’il a rencontrée dans un café de Moscou a été identifiée comme étant James William Thomas Ford, alors deuxième secrétaire aux affaires politiques de l’ambassade du Royaume-Uni en Russie. Le FSB soupçonne qu’il s’agit d’un agent du MI6 travaillant sous couverture diplomatique. La discussion présente une optique problématique pour Navalny et l’équipe du FBK, et semble soutenir l’affirmation du gouvernement russe selon laquelle ils méritent d’être considérés comme des agents étrangers. »
Voici la vidéo de cette entretien, sous-titrée en anglais.
En 2020 il y avait déjà eu une tentative d’empoisonner Navalny. Dans cette vidéo [en français] Asselineau expose les bizarreries entourant cette barbouzerie.
C’est d’ailleurs en tant que barbouze au service d’intérêts étrangers que Navalny a finalement, en aout 2023, été condamné à 19 ans de prison.
Pour ceux qui veulent approfondir le sujet des psyops, voici un lien sur « l’affaire Skripal » quand, en 2018, un agent double russe et sa fille ont été trouvés empoisonnés dans un parc londonien.
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Puisque nous parlons guerre psychologique, celle menée par les gouvernement et médias occidentaux pour cacher l’horreur se déroulant à Gaza, bat son plein :
« TF1, FRANCE 2 : 29 heures de JT, seulement 5 minutes pour les gazaoui.es. Depuis une dizaine de jours, seul le 20 h de France 2 a consacré quelques minutes au sort des civil·es à Gaza. »
Cette séquence tirée d’une TV anglaise où la présentatrice met les points sur les i en prévenant que « Si vous ne dites pas que les Hamas sont des terroristes, je ne peux plus vous parler ». Alors son interlocuteur lui répond « ok. Alors au revoir » et la séquence est coupée. Comment ne pas voir que les journalistes sont les chiens de garde de la pensée collective.
Il devient alors évident que la sphère politico-médiatique donne beaucoup plus d’importance à la mort d’un seul russe dans une prison russe qu’aux dizaine de milliers de gazaouis massacrés dans la prison à ciel ouvert qu’est Gaza. On n’a pas encore entendu Biden s’offusquer et dire que « Netanyahou et sa bande de voyous allaient être tenus pour responsables ». Par contre on le voit apporter son inconditionnel soutien aux crimes israéliens, à l’ONU :
« Les États-Unis ont opposé mardi leur veto à une résolution de l’ONU, soutenue et largement soutenue par les Arabes, exigeant un cessez-le-feu humanitaire immédiat dans la guerre entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza assiégée, affirmant que cela interférerait avec les négociations sur un accord visant à libérer les otages enlevés en Israël.
Le vote au Conseil de sécurité, composé de 15 membres, a été de 13 contre 1, le Royaume-Uni s’abstenant, reflétant le fort soutien des pays du monde entier pour mettre fin à la guerre…
…Il s’agissait du troisième veto américain à une résolution du Conseil de sécurité exigeant un cessez-le-feu à Gaza et survenait un jour après que les États-Unis aient diffusé une résolution rivale qui soutenait un cessez-le-feu temporaire lié à la libération de tous les otages. »
Comme à la CIJ :
« Les États-Unis se sont de nouveau éloignés de leurs alliés mercredi pour soutenir Israël devant la Cour internationale de Justice, malgré les tensions croissantes entre le président Biden et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu au sujet de la guerre à Gaza.
Lors d’une présentation à La Haye, des responsables américains ont averti qu’un avis consultatif du plus haut tribunal de l’ONU, s’il n’était pas correctement rédigé, pourrait faire échouer les efforts de paix. « Un mouvement vers le retrait d’Israël de la Cisjordanie et de Gaza nécessite la prise en compte des besoins très réels d’Israël en matière de sécurité », a déclaré au tribunal Richard Visek, responsable du Département d’État. »
Les Etats-Unis font semblant d’oublier que le droit international n’autorise que l’occupé à se défendre, le « droit à la sécurité » de l’occupant n’existe pas. Or, tant qu’un véritable Etat palestinien n’existera pas, les palestiniens seront considéré comme vivants sur des « terres occupées ». Le point de vue étasunien sur Gaza est une démonstration in vitro que le fameux « système international basés sur des règles », proposé par le bloc occidental, n’est qu’un système ou les lois internationales seraient modifiées « à la tête du client ».
Un autre exemple le montre. Le fameux génocide des ouighours, que personne ne voit sauf la sphère politico-médiatique occidental (car c’est une autre psyop), est régulièrement condamné dans les médias grand public alors que le génocide palestinien, que le monde entier peut voir sur les réseaux sociaux, est considéré comme « nécessaire à la sécurité d’Israël » et caché à la vue des lecteurs des médias grand public. D’ailleurs, si ce fameux « génocide des ouighours » existait vraiment, il y a longtemps que les Etats-Unis auraient porté l’affaire devant la CIJ. Mais non.
Pour éclaircir ce volontaire brouillard médiatique sur le massacre des gazaouis, voici une vidéo qui rappelle que ce qui se passe là-bas restera une tache sur la conscience collective occidentale.
Et ce récent rapport des Nations-Unis le confirme :
« Des experts de l’ONU ont exprimé aujourd’hui leur inquiétude face aux allégations crédibles de violations flagrantes des droits humains dont les femmes et les filles palestiniennes continuent d’être soumises dans la bande de Gaza et en Cisjordanie.
Selon les informations reçues, des femmes et des filles palestiniennes auraient été arbitrairement exécutées à Gaza, souvent avec des membres de leur famille, y compris leurs enfants. « Nous sommes choqués par les informations faisant état de ciblage délibéré et d’exécutions extrajudiciaires de femmes et d’enfants palestiniens dans les endroits où ils cherchaient refuge ou alors qu’ils fuyaient. Certains d’entre eux auraient tenu des morceaux de tissu blanc lorsqu’ils ont été tués par l’armée israélienne ou des forces affiliées », ont indiqué les experts.
Les experts ont exprimé leur vive préoccupation face à la détention arbitraire de centaines de femmes et de filles palestiniennes, notamment des défenseurs des droits humains, des journalistes et des travailleurs humanitaires, à Gaza et en Cisjordanie depuis le 7 octobre. Beaucoup auraient été soumises à des traitements inhumains et dégradants, privées de serviettes hygiéniques, de nourriture et de médicaments, et rouées de coups. À au moins une occasion, des femmes palestiniennes détenues à Gaza auraient été enfermées dans une cage, sous la pluie et dans le froid, sans nourriture.
« Nous sommes particulièrement affligés par les informations selon lesquelles des femmes et des filles palestiniennes en détention ont également été soumises à de multiples formes d’agressions sexuelles, telles que le fait d’être déshabillées et fouillées par des officiers masculins de l’armée israélienne. Au moins deux détenues palestiniennes auraient été violées tandis que d’autres auraient été menacées de viol et de violences sexuelles », ont indiqué les experts. Ils ont également noté que des photos de femmes détenues dans des circonstances dégradantes auraient également été prises par l’armée israélienne et mises en ligne. »
La folie provocatrice du gouvernement israélien ne veut pas se calmer :
« Le ministre israélien d’extrême droite, Itamar Ben Gvir, veut interdire aux Palestiniens de Cisjordanie l’accès à l’esplanade des Mosquées pendant le mois du ramadan. »
Il semble de plus en plus évident que le gouvernement israélien veut provoquer l’exaspération et la colère des palestiniens. Pour avoir une excuse pour les massacrer, comme à Gaza ?
D’ailleurs Netanyahou vient de se vanter d’avoir bloqué toute possibilité d’une solution à deux Etats et va même l’inscrire dans la loi israélienne :
« Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré qu’il présenterait ce soir à la Knesset une législation qui correspondrait à une décision du cabinet prise hier de rejeter les « diktats internationaux » cherchant à promouvoir la création d’un État palestinien – se vantant de ses décennies passées à contrecarrer une telle démarche.
Dans une déclaration vidéo, Netanyahu affirme qu’Israël est confronté à de nouvelles pressions ces derniers jours, en particulier « une tentative de nous imposer la création unilatérale d’un État palestinien qui mettrait en danger l’existence de l’État d’Israël ».
Netanyahu se dit certain que la législation de la Knesset recevra un large soutien après son adoption à l’unanimité au sein du cabinet, « et elle montrera au monde qu’il existe un large accord en Israël contre les efforts internationaux visant à nous imposer un État palestinien ».
Le Premier ministre a ajouté que « tout le monde sait que c’est moi qui ai bloqué pendant des décennies la création d’un État palestinien qui mettrait en danger notre existence ». »
Effectivement la Knesset a voté pour cette loi à une très large majorité :
« La Knesset a voté mercredi en faveur de la déclaration du Premier ministre Benjamin Netanyahu s’opposant à toute reconnaissance « unilatérale » d’un État palestinien, alors que les appels internationaux se multiplient pour relancer les efforts visant à parvenir à une solution à deux États à un conflit qui dure depuis des décennies.
Publiée dans le contexte de la guerre à Gaza entre Israël et le groupe terroriste du Hamas, la déclaration symbolique a également reçu le soutien des membres de l’opposition, avec 99 des 120 législateurs votant pour, a déclaré le porte-parole de la Knesset.
La position israélienne affirme que tout accord permanent avec les Palestiniens doit être conclu par le biais de négociations directes entre les parties et non par des diktats internationaux. »
Comme Israël ne veut pas d’une « solution à deux Etats », il ne reste plus guère de choix. L’exil pour les palestiniens qui y sont près, l’apartheid pour ceux qui acceptent de s’y soumettre ou la révolte pour les plus courageux.
Alors l’armée israélienne prévient :
« Les renseignements militaires israéliens ont distribué cette semaine un document aux dirigeants israéliens avertissant que même si Tsahal réussissait à démanteler le Hamas en tant que force militaire organisée à Gaza, il survivrait en tant que « groupe terroriste et groupe de guérilla », selon un reportage diffusé par la Douzième chaîne, jeudi soir.
Le document, rédigé par la division de recherche du renseignement militaire de Tsahal, indiquerait également qu’un « soutien authentique demeure » au Hamas parmi les habitants de Gaza.
Étant donné qu’aucun effort pratique n’est actuellement fait pour mettre en place un plan pour Gaza au « lendemain » de la guerre, le document prévient en outre que « Gaza deviendra une zone en crise profonde ». »
Il semble que ce soit l’objectif du gouvernement israélien, faire de Gaza une zone inhabitable pour les palestiniens. Pour faire de même en Cisjordanie ensuite ?
Alors l’une des premières étapes de cet objectif est de détruire l’UNRWA :
« Le chef de la principale agence des Nations Unies soutenant la population de Gaza a affirmé qu’Israël avait l’intention de « détruire » l’organisation ainsi que l’idée selon laquelle les Palestiniens sont des réfugiés et ont le droit de rentrer chez eux un jour.
Philippe Lazzarini a accusé Israël dans une interview au journal suisse Tages-Anzeiger d’avoir un « objectif politique à long terme » consistant à éliminer l’agence humanitaire des Nations Unies qu’il dirige, connue sous l’acronyme UNRWA. Elle avait été créée il y a plus de 70 ans pour aider les Palestiniens qui fuyaient ou étaient forcés de quitter leurs foyers lors de la guerre au Moyen-Orient de 1948 contre la création d’Israël.
« Pour le moment, nous avons affaire à une campagne israélienne forte et concentrée, qui vise à détruire l’UNRWA », a déclaré Lazzarini dans l’interview publiée samedi. Ses remarques constituent sa réaction la plus radicale à ce jour contre les accusations israéliennes selon lesquelles l’agence aurait ignoré les tentatives présumées du Hamas d’infiltrer ses opérations à Gaza.
Lazzarini, qui est commissaire général de l’UNRWA depuis 2020, a déclaré qu’Israël pensait apparemment que « si l’agence humanitaire est abolie, le statut des réfugiés palestiniens sera résolu une fois pour toutes – et avec lui le droit au retour ». »
Finalement Netanyahou a proposé son plan pour « l’après Gaza », un plan qui est une voie directe pour un système d’apartheid dans lequel les citoyens de seconde zone que sont les palestiniens n’auraient qu’un droit, celui de subir sans se rebeller :
« Un certain nombre de principes sont énoncés dans le document, allant des changements aux niveaux sécuritaire et civil aux plans à plus long terme concernant la gouvernance du territoire.
Sur le plan de la sécurité, le plan envisagé comprend la fermeture par Israël de la frontière sud de Gaza avec l’Égypte, donnant à Israël le contrôle total des entrées et sorties de l’enclave. À l’heure actuelle, l’Égypte contrôle l’accès à la frontière sud de Gaza via le terminal de Rafah…
…Le plan affirme, comme Netanyahu l’a déjà dit, qu’« Israël exercera un contrôle sécuritaire sur toute la zone située à l’ouest de la Jordanie », qui comprend toute la Cisjordanie et Israël, ainsi que Gaza.
Israël sera responsable de « réaliser et superviser » la démilitarisation de la bande de Gaza, indique le plan, à l’exception de ce qui est nécessaire au maintien de l’ordre public.
Au niveau civil, Netanyahu détaille une refonte de l’administration civile et des systèmes éducatifs de Gaza, y compris une interruption apparente du financement du Qatar à Gaza – qu’un précédent gouvernement de Netanyahu avait approuvé et facilité.
Les entités locales qui dirigent la fonction publique « ne seront pas identifiées avec des pays ou des entités qui soutiennent le terrorisme et ne recevront aucun paiement de leur part », indique le plan.
Bien qu’il s’agisse probablement d’une référence au Qatar, il n’est pas clair si cela s’appliquerait également à l’Autorité palestinienne, une version revitalisée dont les États-Unis ont déclaré qu’elle devrait diriger Gaza à l’avenir.
Le plan de Netanyahu appelle également à la « déradicalisation » du système éducatif, qu’Israël et ses alliés accusent depuis longtemps de promouvoir l’antisémitisme et la haine d’Israël.
Le plan répète qu’Israël s’efforcera de fermer l’UNRWA, la principale agence des Nations Unies soutenant les réfugiés palestiniens, et de la remplacer « par des agences d’aide internationale responsables ».
Enfin, le plan réitère l’insistance d’Israël sur le fait qu’il ne sera pas contraint par la communauté internationale à reconnaître un État palestinien, une possibilité que le Royaume-Uni et le président américain Joe Biden ont commencé à envisager.
« Israël rejette catégoriquement les diktats internationaux concernant un règlement permanent avec les Palestiniens », indique le communiqué de Netanyahu, affirmant que la reconnaissance d’un État palestinien serait désormais « une énorme récompense pour un terrorisme sans précédent ». »
Un plan totalement irréaliste. D’ailleurs, même les Etats-Unis ne l’ont pas endossé :
« Le porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain, John Kirby, a déclaré que Washington avait été « toujours clair avec nos homologues israéliens » sur ce qui était nécessaire dans la bande de Gaza d’après-guerre, un jour après que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a présenté son plan au cabinet de sécurité et l’a ensuite rendu public.
« Le peuple palestinien devrait avoir une voix et un droit de vote… grâce à une Autorité palestinienne revitalisée », dit-il, faisant valoir la position américaine en faveur d’une Autorité palestinienne réformée pour prendre en charge la gouvernance de Gaza. Netanyahu a rejeté cette idée à plusieurs reprises. »
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La guerre économique, dont les sanctions sont l’équivalent des missiles dans une guerre militaire, lancée par les Etats-Unis et suivie par l’Europe touche, une fois de plus, plus l’Europe que les pays visés :
« Des milliers de voitures de luxe du groupe Volkswagen ont été saisies par les douanes américaines en raison de violations présumées des lois sur le travail forcé, a rapporté cette semaine le Financial Times.
Plusieurs milliers d’Audi et environ 1 000 Porsche, ainsi que plusieurs centaines de Bentley, sont saisies dans les ports américains après que les autorités ont découvert dans les véhicules un composant qui aurait été fabriqué grâce au travail forcé dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang, dans l’ouest de la Chine.
Les marques de voitures de luxe ont une propriété commune au sein du groupe Volkswagen. Le constructeur automobile allemand a décidé de retarder ses livraisons le temps de remplacer les composants électroniques soupçonnés d’enfreindre la loi, a indiqué le média, citant des personnes proches du dossier. »
Voici le point de vue chinois sur cette affaire :
« Volkswagen fait face à des pressions croissantes pour abandonner une coentreprise au Xinjiang, a rapporté jeudi le Wall Street Journal, alors que deux incidents semblent avoir placé le constructeur automobile allemand à nouveau sous la surveillance géopolitique occidentale au nom du « travail forcé ».
Après qu’un journal ait affirmé que le « travail forcé » avait été utilisé pour construire une piste d’essai dans l’usine Volkswagen du Xinjiang, un autre rapport a été publié indiquant que les États-Unis avaient saisi des milliers de véhicules Volkswagen Bentley, Porsche et Audi dans les ports américains parce que les voitures contenaient une pièce fabriquée par un fournisseur chinois inscrit sur une liste de sanctions pour avoir recours au « travail forcé » au Xinjiang.
Alors que Volkswagen est actuellement confronté à des défis importants pour équilibrer les tensions géopolitiques et les décisions commerciales, ce n’est un secret pour personne que la pression renouvelée sur le constructeur automobile cible principalement l’industrie manufacturière du Xinjiang. L’accusation de « travail forcé » au Xinjiang est le plus grand mensonge international concocté par certaines forces occidentales au XXIe siècle. Leur objectif est de supprimer des industries clés du Xinjiang en diffusant de fausses déclarations et en empêchant les entreprises mondiales de s’engager dans des échanges commerciaux normaux avec la région, conduisant ainsi à un chômage forcé.
Cependant, la raison pour laquelle Volkswagen a eu le courage de construire une usine au Xinjiang malgré la pression occidentale va au-delà du fait que la Chine est un marché important. Les livraisons de Volkswagen ont augmenté de 13,3 % sur un an en janvier pour atteindre 698 200 unités, la Chine étant la principale région de croissance, selon Reuters. Mais plus important encore, le constructeur automobile est suffisamment pragmatique pour reconnaître les mensonges et tente de prouver son innocence par divers moyens, notamment en mandatant un tiers indépendant pour enquêter sur les faits connus au Xinjiang.
Que Volkswagen puisse ou non résister à la nouvelle vague de pression occidentale, cela n’empêchera pas la Chine de renforcer et de consolider l’avantage manufacturier du Xinjiang dans l’intérêt de la prospérité et de la stabilité de la région. Il est faux de croire que l’on peut intimider les investisseurs intéressés par le Xinjiang en faisant pression sur Volkswagen. En effet, les opportunités de développement au Xinjiang sont sans précédent et évidentes pour tous ; sinon, il n’aurait pas attiré un afflux toujours croissant d’investissements étrangers. Volkswagen n’est que l’un des nombreux investisseurs qui voient la valeur de l’investissement dans l’industrie manufacturière du Xinjiang. »
Les entreprises européennes une nouvelle fois victimes collatérales de attaques étasuniennes contre la Russie et la Chine. L’Europe étant elle-même un potentiel concurrent des Etats-Unis, il se pourrait bien que ceux-ci essayent de faire d’une pierre trois coups :
« Les nouvelles sanctions britanniques visant les entreprises chinoises en raison de la crise ukrainienne constituent un unilatéralisme qui n’a aucun fondement en droit international, et la Chine y est fermement opposée, a déclaré jeudi un porte-parole de l’ambassade de Chine au Royaume-Uni, avertissant que toute action susceptible de nuire aux intérêts fondamentaux de la Chine serait se heurter à une contre-attaque ferme.
Ces remarques ont été faites en réponse à l’annonce récente par le Royaume-Uni de nouvelles sanctions contre un certain nombre d’entités et d’individus de différents pays, dont trois sociétés chinoises, pour « soutien au conflit Russie-Ukraine ».
Jeudi, le ministre britannique des Affaires étrangères, David Cameron, a annoncé plus de 50 nouvelles sanctions visant des particuliers et des entreprises dans le cadre du conflit russo-ukrainien. Selon le site officiel du gouvernement britannique, les nouvelles cibles incluent des fabricants de munitions, des sociétés d’électronique et des négociants en diamants et en pétrole. »
Car si les Etats-Unis punissent l’Europe et d’autres pays pour ne pas respecter leurs sanctions, ils sont pourtant les premiers à les outrepasser quand cela les arrange. Toujours leur fameux « système international basé sur des règles » :
« Les États-Unis ont importé l’année dernière pour 1,2 milliard de dollars d’uranium russe, un record jamais enregistré, a rapporté jeudi RIA Novosti, citant des statistiques officielles.
En décembre, le Congrès américain a tenté d’interdire les importations d’uranium russe dans le cadre de la campagne de sanctions contre Moscou à cause du conflit ukrainien.
Le projet de loi est resté bloqué au Sénat, mais les achats d’uranium russe ont doublé au cours de ce mois pour atteindre 193,2 millions de dollars, écrit RIA Novosti. En conséquence, la valeur totale des expéditions pour l’année a augmenté de 43 %, atteignant un nouveau record de 1,2 milliard de dollars, a ajouté l’agence.
Selon le rapport, la Russie reste le premier fournisseur d’uranium des États-Unis en termes de valeur monétaire. En termes de volume, il s’agit du quatrième fournisseur des États-Unis, le Canada occupant la première place, selon les calculs fournis par S&P Global. »
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Nous finirons par ce texte publié par la revue étasunienne National Interest qui, pour une fois, tente de faire comprendre à ses lecteurs la responsabilité des Etats-Unis dans les trois crises géopolitiques qui alimentent les colonnes « internationales » des médias grand public : l’Ukraine, Taiwan et Gaza :
« Qu’ont la guerre en Ukraine, Taiwan et Gaza en commun
Par Paul Heer – Le 20 fébrier 2024 – National Interest
Washington est aux prises avec des dilemmes de politique étrangère apparemment insolubles, impliquant la guerre russe en Ukraine, les tensions qui s’accroissent dans le détroit de Taiwan et le conflit à Gaza entre Israël et le Hamas. Dans chaque cas, les États-Unis ont échoué ou ont refusé d’assumer pleinement leur part de responsabilité dans la création du problème. Cela a de profondes implications pour l’établissement d’une paix stable dans ces trois points chauds.
Dans le cas de l’Ukraine, beaucoup d’encre a coulé dans le débat sur la mesure dans laquelle l’expansion de l’OTAN au cours des décennies qui ont suivi la guerre froide a alimenté la décision de Poutine de déclencher la guerre. La réponse de Washington à l’invasion a largement considéré ce débat comme non pertinent. Au lieu de cela, elle a essentiellement adopté le principe selon lequel Poutine n’a jamais supporté l’effondrement de l’Union soviétique et a toujours eu l’intention de réincorporer l’Ukraine à la Russie par la force. Cette perspective a largement ignoré les preuves et la logique historique selon lesquelles l’invasion n’était pas inévitable et dépendait de variables externes, notamment des actions américaines.
Dans son essai fondateur de 2021 « Sur l’unité historique de la Russie et des Ukrainiens », Poutine a écrit qu’après l’effondrement de l’Union soviétique, Moscou « a reconnu les nouvelles réalités géopolitiques et a non seulement reconnu, mais a en réalité fait beaucoup pour que l’Ukraine s’établisse en tant que pays indépendant ». En effet, « de nombreuses personnes en Russie et en Ukraine croyaient et supposaient sincèrement que nos liens culturels, spirituels et économiques étroits dureraient certainement. . . . Cependant, les événements – d’abord progressivement, puis plus rapidement – ont commencé à évoluer dans une direction différente. Ces « événements » comprenaient des développements politiques ukrainiens qui ont conduit à un rapprochement entre Kiev et l’Occident. Pas à pas », a écrit Poutine, « l’Ukraine a été entraînée dans un jeu géopolitique dangereux visant à faire de l’Ukraine une barrière entre l’Europe et la Russie ». Mais l’Occident a détourné les inquiétudes de Moscou concernant cette trajectoire.
Dans sa récente interview avec le journaliste américain Tucker Carlson, Poutine a réitéré ce récit. Il a déclaré que la Russie avait « accepté, volontairement et de manière proactive, l’effondrement de l’Union soviétique » parce qu’elle « croyait que cela serait compris . . . comme une invitation à la coopération et à une association » avec l’Occident. Cela aurait pu prendre la forme d’un « nouveau système de sécurité » qui inclurait les États-Unis, les pays européens et la Russie – plutôt que d’un élargissement de l’OTAN qui (selon Poutine) Washington avait promis qu’il ne s’étendrait « pas d’un pouce » à l’est. Au lieu de cela, il y a eu « cinq vagues d’expansion » et « en 2008, tout à coup, les portes de l’OTAN se sont ouvertes » à l’Ukraine. Cependant, Moscou « n’a jamais accepté l’expansion de l’OTAN, et nous n’avons jamais accepté que l’Ukraine fasse partie de l’OTAN ». Poutine a ensuite imputé la guerre qui a suivi à ce qu’il a qualifié de « révolution du Maïdan » anti-russe soutenue par les États-Unis en Ukraine en 2014, à l’adhésion de l’Occident à Kiev aux dépens de la Russie et au mépris persistant de Washington à l’égard des préoccupations de sécurité de Moscou.
Il est facile de considérer le récit de Poutine comme une propagande égoïste et fallacieuse. Il s’agit en effet d’un personnage monstrueux, comme le démontre la mort récente du dissident russe emprisonné Alexeï Navalny. Mais cela ne répond pas – au contraire, cela élude – à la question historique de savoir si la politique américaine en faveur de l’expansion de l’OTAN en général et la candidature de l’Ukraine en particulier ont contribué à la décision finale de Poutine d’envahir l’Ukraine.
En tant qu’historien de la diplomatie, je pense que les faits démontrent clairement que c’est le cas. Cela ne veut pas dire qu’il s’agissait « uniquement » d’expansion de l’OTAN ; ce n’était évidemment pas le cas. Cependant, il est tout aussi évident qu’« un ensemble différent de politiques américaines au cours des dernières décennies aurait rendu [l’invasion] moins probable », comme l’a écrit l’universitaire Stephen Walt il y a deux ans. Il ne s’agit pas ici de relancer le débat sur l’expansion de l’OTAN, mais seulement de souligner que nier sa pertinence en faveur de l’affirmation selon laquelle Poutine a toujours prévu d’atteindre un objectif revanchard d’annexion de l’Ukraine ignore les preuves historiques et la logique du contraire – probablement du moins en partie pour absoudre les États-Unis de toute responsabilité dans les circonstances historiques qui ont conduit à la guerre.
Dans le cas de Taïwan, le discours dominant à Washington est que les tensions entre les deux rives du détroit se sont intensifiées parce que le dirigeant chinois Xi Jinping a également des objectifs revanchards. Il est déterminé et impatient de parvenir à la « réunification » de Taiwan avec le continent au cours de son mandat et se prépare à attaquer l’île s’il le juge nécessaire. Selon le secrétaire d’État Antony Blinken, les dirigeants chinois ont décidé que « le statu quo n’était plus acceptable [et] qu’ils voulaient accélérer le processus par lequel ils poursuivraient la réunification ». Cela implique « d’exercer davantage de pression sur Taiwan » et de « donner la possibilité, si cela ne fonctionne pas, de recourir à la force pour atteindre leurs objectifs ».
Cependant, cela ignore ou nie la mesure dans laquelle l’approche dure de Pékin est une réponse aux actions et déclarations de Taiwan et des États-Unis. Depuis 2016, sous la présidence de Tsai Ing-wen, Taipei s’est progressivement retiré du cadre d’« une seule Chine », avec notamment le renoncement à un prétendu accord préalable avec Pékin pour « accepter d’être en désaccord » sur la définition d’« une seule Chine » et l’adoption du principe d’« une seule Chine » selon laquelle Taiwan est « déjà un pays souverain et indépendant ». Les dirigeants chinois considèrent cette redéfinition du « statu quo » comme un changement unilatéral. Peut-être plus important encore, Pékin interprète l’acquiescement tacite de Washington à ce changement comme indiquant que les États-Unis eux-mêmes se retirent de leur propre « politique d’une seule Chine » et s’orientent vers une politique de facto « une Chine, un Taiwan », en violation de l’accord de normalisation entre les États-Unis et la Chine.
Bien que Washington insiste sur le fait que sa « politique d’une seule Chine » reste intacte, la crédibilité de ces assurances s’érode à mesure que Washington continue de repousser les limites des relations « non officielles » entre les États-Unis et Taiwan – comme lors de la visite à Taiwan de la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, en août 2022 – et avec les déclarations antérieures d’un responsable du Pentagone sur l’importance stratégique de Taiwan qui ont apparemment fourni la justification du soutien à sa séparation permanente d’avec la Chine. Mais, comme elle nie toute culpabilité dans les origines de la guerre en Ukraine, Washington tient Pékin pour seul responsable de l’escalade des tensions et des risques de conflit dans le détroit de Taiwan.
Dans le cas de Gaza, les États-Unis sont confrontés à l’extension du conflit au Moyen-Orient à la suite des attaques terroristes du Hamas contre Israël le 7 octobre et de la réponse militaire forte et soutenue de Jérusalem. La violence s’est déjà étendue aux attaques des militants yéménites Houthis contre des navires commerciaux occidentaux dans la mer Rouge et aux attaques directes contre les forces militaires américaines par des militants soutenus par l’Iran en Irak et en Syrie. Bien que Washington se concentre sur la responsabilité du Hamas dans l’éclatement et la propagation de la violence, les groupes arabes de la région voient le rôle des États-Unis à travers le prisme du soutien de longue date de Washington à Jérusalem, qui a facilité ou du moins n’a pas limité l’occupation du territoire palestinien et la résistance par Israël à une « solution à deux États » – cette dernière solution étant pourtant défendue depuis longtemps par Washington.
Bien que le président Biden ait récemment qualifié la poursuite de la guerre par Israël d’« exagérée », cette critique a été marginale et lente à venir. Dans le même temps, Washington risque de renforcer le ressentiment historique des Palestiniens et des autres Arabes face au soutien implicite des États-Unis aux actions israéliennes et au manque de progrès vers un État palestinien. Plutôt que d’affronter cette responsabilité, Washington est enclin – comme pour Poutine et Xi, évoqué plus haut – à attribuer la crise à Gaza presque exclusivement au Hamas.
Rien de tout cela ne vise en aucune façon à excuser Poutine, Xi ou le Hamas pour leur grande part de responsabilité dans les circonstances qui prévalent respectivement en Ukraine, à Taiwan et à Gaza. Ils méritent tous d’être condamnés pour leurs actions et politiques épouvantables. Cependant, leur culpabilité n’efface pas l’implication des États-Unis dans l’élaboration de ces circonstances. La promotion par Washington de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, l’érosion progressive de sa « politique d’une seule Chine » et son incapacité ou son refus de contrôler l’empiétement d’Israël sur les territoires palestiniens sont des facteurs incontournables qui ont contribué à ces trois crises. À des degrés divers, les États-Unis ont été indifférents ou ont ignoré les perspectives de la Russie, de la Chine et des Palestiniens. Un manque d’empathie stratégique a ainsi limité la capacité de Washington à reconnaître, ou du moins à admettre, dans quelle mesure la décision de Poutine de faire la guerre en Ukraine, le comportement coercitif de Xi à l’égard de Taiwan et la décision du Hamas de frapper violemment Israël étaient motivés, au moins en partie, par ce qu’ils percevaient comme un mépris des États-Unis pour leurs préoccupations en matière de sécurité, ou une négligence des engagements antérieurs des États-Unis pour répondre à ces préoccupations.
L’examen progressif par Washington de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN – qui s’est essentiellement développée comme une alliance conçue pour exclure et cibler la Russie – reflétait une indifférence à l’égard des perceptions historiques de la menace russe, et en particulier de l’importance pour la Russie d’avoir une partie vitale de son ancien empire alignée contre elle comme protection à une intrusion étrangère hostile. Elle a négligé ou nié la possibilité que Moscou soit prête à laisser l’Ukraine indépendante tant qu’elle reste neutre.
De même, l’adhésion croissante de Washington à Taïwan, d’une manière sans doute incompatible avec les engagements envers Pékin dans les Trois Communiqués – essentiellement basée sur le retrait des États-Unis de toute implication dans la guerre civile chinoise – reflète un retrait apparent de ces engagements et une négligence de la pertinence de cette histoire antérieure. Il ignore ou nie également la possibilité que le comportement ultérieur de Pékin ait été – au moins dans une certaine mesure – une réponse à ces actions des États-Unis et aux mesures séparatistes de Taiwan qu’ils ont implicitement encouragées.
Enfin, le soutien de Washington au droit d’Israël à se défendre contre les attaques terroristes du Hamas, bien que tout à fait approprié, élude la question de la nature et de la portée de la réponse « exagérée » de Jérusalem. Plus important encore, cela évite la possibilité que, ou la mesure dans laquelle, les attaques du Hamas trouvent leur origine dans des décennies de politiques israéliennes d’occupation et de contrôle qui ont contraint ou privé les Palestiniens tout en retardant indéfiniment leurs espoirs d’avoir leur propre État – et qui, de du point de vue palestinien, ont été facilitées par le soutien américain à Israël.
Washington porte donc une certaine responsabilité dans les origines historiques de ce qui se passe dans ces trois endroits. Les États-Unis, bien entendu, doivent réagir avec force contre la barbarie de Poutine, les rafales de sabres de Xi et le terrorisme du Hamas. Pourtant, pour trouver des solutions à long terme aux problèmes qui se posent en Ukraine, à Taiwan et à Gaza – ou même trouver des moyens de les désamorcer et de les gérer – il faudra reconnaître et affronter leurs multiples sources. Et ces sources incluent le rôle joué par les États-Unis dans chaque situation.
De plus, le déni – ou le révisionnisme – de Washington à l’égard des politiques américaines qui ont contribué à alimenter les crises actuelles ou potentielles ne fait que les rendre plus insolubles en ignorant un élément central de chaque crise et en inhibant ainsi une compréhension honnête et objective de sa nature. Cela bloque ou ferme la possibilité de réévaluer la politique américaine, ce qui pourrait être vital pour identifier des solutions. Washington, par exemple, pourrait reconsidérer l’idée d’une architecture de sécurité européenne alternative qui ne relancerait pas une nouvelle guerre froide.
Même si la Russie est vaincue en Ukraine, le problème ne va pas disparaître. De la même manière, les États-Unis pourraient envisager de donner à Pékin des assurances crédibles qui rétabliraient la confiance dans les accords de normalisation « d’une seule Chine » qui ont soutenu la stabilité entre les deux rives du détroit pendant des décennies. Pékin ne cherche pas d’excuse pour attaquer Taiwan ; elle demande toujours des raisons de ne pas le faire. Enfin, Washington pourrait envisager d’inciter Israël à désamorcer la guerre à Gaza et son occupation de la Cisjordanie et à relancer les progrès vers une solution à deux États. Même si le Hamas est vaincu, la question palestinienne ne disparaîtra pas.
Face à ces trois dilemmes de politique étrangère, Washington doit comprendre et reconnaître les actions des États-Unis qui y ont contribué. Notre réticence à le faire dans le passé a conduit, comme on pouvait s’y attendre, à notre échec – ou à notre refus – de voir ce qui allait arriver. À moins que nous ne parvenions à surmonter ces angles morts volontaires, Washington ne parviendra pas à voir ce qui va suivre – et rejettera encore une fois la faute sur les méchants.
Paul Heer est chercheur principal non-résident au Chicago Council on Global Affairs. Il a été officier national du renseignement pour l’Asie orientale de 2007 à 2015. »
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