Par Ron Unz – Le 19 septembre 2016 – Source Unz Review
Je pense qu’au cours des dernières décennies, le Ku Klux Klan, ou KKK, est l’organisation politique étasunienne ayant fait l’objet de la couverture la plus négative de la part de nos médias nationaux, qu’il s’agisse des médias d’information ou de divertissement. À titre d’exemple, bien que l’activiste blanc David Duke ait quitté ce groupe il y a plus de 35 ans, les médias continuent de l’identifier comme l’un des anciens dirigeants du KKK, en conséquence de quoi le soutien de Duke à Trump lors de la campagne présidentielle de 2017 a fait l’objet des gros titres, et ce de manière répétée.
On peut facilement faire la preuve de cette couverture massive de la part des médias. Chercher « KKK » sur Google renvoie 72 millions de réponses, beaucoup plus que la somme des réponses renvoyées par « Communiste » ou « Communistes », et deux fois plus que « Communisme ». Une telle prédominante apparaît tout à fait excessive, si l’on considère qu’au cours du XXème siècle, le communisme a contrôlé environ un tiers de la population mondiale, et que le conflit politique qui s’ensuivit a menacé plusieurs fois de déclencher une guerre thermonucléaire mondiale. Des nos jours encore, le parti au pouvoir en Chine, nation de plus d’1,4 milliards de personnes ayant selon certaines métriques dépassé les USA économiquement, se nomme lui-même « communiste ». Et à tout bien considérer, la dernière fois que le KKK a disposé d’un pouvoir politique significatif remonte 100 ans en arrière, lors de son apogée dans les années 1920 dans la région du Middle West.
Et si nous considérons les conséquences meurtrières des deux mouvements, le déséquilibre est encore plus conséquent. Le célèbre Livre Noir du communisme, publié en 1991, affirmait qu’au fil du XXème siècle, les régimes communistes auraient cumulé la somme de 100 millions de pertes humaines en temps de paix. Quant bien même ce nombre est très contesté et souvent considéré comme fortement exagéré, l’on peut sans doute le revoir en dizaines de millions, les famines causées par la politique maoïste du Grand Bond en avant, entre 1959 et 1961, ayant à elle seule causé la mort d’au moins 35 millions de personnes. [Pour le capitalisme certains parlent de 100 millions de morts, NdT]
En comparaison, le décompte des victimes du tristement célèbre KKK apparaît comme assez faible. La fiche Wikipédia s’intéressant au KKK est deux fois plus longue que celle portant sur le communisme, et elle semble s’employer surtout à dépeindre poussivement les méfaits commis par cette organisation violente ; pour autant elle ne parvient à répertorier que 15 victimes de meurtres, dont les noms de chacune est listé, et issues des années 50 et 60, période d’apogée du pouvoir moderne du KKK. L’écart mesurable entre ces 15 victimes d’un côté, et quelques 70 millions de l’autre, apparaît comme plutôt considérable.
Non seulement le total établi par le KKK apparaît-il bien pâle en comparaison avec Staline et ses monceaux de cadavres, mais ce n’est pas tout : au cours des vingt dernières années, les quelques centaines ou milliers de membres armés du Klan ont fait moins de victimes que n’en enregistre la morgue de Chicago en un week-end prolongé, mais l’on pourrait également compter les victimes des tueurs à la chaîne adolescents, qui font par exemple un carnage soudain dans leur école : leurs noms sont rapidement oubliés, à ceux-là. Par exemple, il y a dix ans, Seung-Hui Cho, étudiant mécontent de Virginia Tech a tué 33 personnes en 2 heures environ, et l’on se souvient à peine de son nom aujourd’hui. Rappelons que le dernier des meurtres raciaux infâmes perpétré par le Ku Klux Klan remonte à plus d’un demi-siècle.
L’existence d’une immense disproportion entre les événements et l’attention que leur accordent les médias semble avérée.
Certes, plusieurs facteurs viennent pondérer cette critique. Le communisme n’a jamais fait son chemin de manière sérieuse aux États-Unis, et les fondations idéologiques de notre culture contemporaine nous font considérer les crimes raciaux perpétrés par des bandes organisées comme des crimes particulièrement atroces, et ce d’autant plus qu’ils ont pour but d’instiller la terreur. En contraste, les crimes commis par des lunatiques massacrant leurs camarades d’école ou des trafiquants de drogue s’affrontant pour tenir un territoire apparaissent comme plutôt banals. Et si l’on se plie à ce standard de victimologie particulier, les 15 victimes de deux décennies de meurtre commis par le KKK à partir de 1950 justifient un peu mieux l’attention massive dont ils ont fait l’objet.
Les USA, en outre, ont toujours connu une certaine fascination pour les meurtres commis sur une période de temps se comptant en mois ou en années, surtout si ces meurtres reproduisent des schémas inhabituels, et les surnoms donnés à tel ou tel tueur en série peuvent continuer de résonner pendant des décennies. On a ainsi connu Richard Ramirez, le Harceleur de nuit [Night Stalker, NdT] de Los Angeles, un sataniste avoué, qui a massacré au moins quatorze personnes en 1985, principalement dans les environs de Los Angeles. Et qui pourrait oublier Jeffrey Dahmer, le Cannibale du Milwaukee, qui a tué et dévoré quelques 17 jeunes hommes sur une période d’une douzaine d’années ? Les circonstances inhabituelles ou les motivations sous-jacentes à de tels meurtres peuvent assez facilement compenser un nombre de victimes relativement faible, et sans doute cela contribue-t-il à expliquer l’attention immense que l’on accorde au KKK, nonobstant sa liste de victimes plutôt congrue.
Autre exemple extrême de l’importance accordée au caractère qualitatif plutôt que quantitatif des meurtres, on peut citer le fameux tueur du Zodiaque, qui sévit en Californie du Nord autour de 1970, et ne fut jamais pris. Bien que l’on ne puisse lui attribuer que cinq maigres victimes, la nature sensationnelle de cette affaire a inspiré plusieurs films et des dizaines de livres, et le scénario voyant un tueur en série envoyer des lettres pour narguer les journaux s’est sans doute vue répétée dans de très nombreux films et épisodes de séries télévisuelles. Pour avoir vécu mon enfance en Californie du Sud, je peux affirmer que le terme « tueur du Zodiaque » m’est resté familier.
Mais, chose étrange, une autre longue suite de meurtres, commis dans les mêmes temps et sur les mêmes lieux, a reçu beaucoup moins d’attention. La première fois que j’ai vus mentionnés les « meurtres du Zèbre », il y a quelques années, je n’en avais sans doute jamais entendu parler, et du fait que le nom lui ressemble un peu, et que les lieux des meurtres soient les mêmes, j’ai même commencé par me demander s’il ne s’agissait pas là d’une autre dénomination des meurtres du Zodiaque. Mais en dépit du fait que les dates et les lieux présentent des concordances, l’affaire Zebra est bien totalement distincte, et les détails explosifs qu’elle contient rendent la quasi totale absence de couverture par les médias tout à fait étrange.
L’avantage de s’intéresser au sujet des meurtres du zèbre est qu’il n’en existe qu’un seul récit détaillé, relativement contemporain des faits. Il y a un ou deux ans, ma curiosité l’emporta, et je commandai ce livre sur Amazon. Zebra se vit publié en 1979 par Clark Howard, un auteur de romans noirs moultes fois récompensé, qui s’est basé fortement sur les archives des journaux, les témoignages du procès, et diverses interviews des personnes concernées, et son texte court sur plus de 400 pages.
L’histoire des tueurs du Zèbre semble sortir tout droit d’un film, mais aucun film ne s’en est pourtant jamais inspiré. Pendant des décennies, la nation d’Islam – les auto-proclamés « musulmans noirs » – avaient répété dans leurs sermons que les blancs étaient « des diables », le produit d’une expérience de reproduction contrôlée par quelque scientifique fou, et que le meurtre de ces « diables » constituait un acte de foi religieuse. Et, courant 1972, certains membres de la secte décidèrent de mettre le dogme religieux en pratique, et lancèrent une campagne organisée visant à tuer autant d’hommes, de femmes et d’enfants blancs qu’ils le pouvaient. Ils sévirent un peu partout en Californie, mais avec une préférence pour la région de la Baie et de la ville de San Francisco. L’un de leurs objectifs énoncés était de terroriser les habitants blancs pour qu’ils finissent par quitter la ville, afin de permettre l’établissement d’une cité dominée par les noirs.
Les assaillants noirs sortaient le plus souvent seul ou à deux pour perpétrer leurs meurtres. Il s’en prenaient le plus souvent à une victime apparaissant comme vulnérable, dans la rue, dans l’obscurité ou la pénombre, avec diverses armes allant du pistolet, à la hache, ou à la machette. Certaines victimes étaient kidnappées et amenées dans quelque lieu isolé, où elles étaient torturées et tuées en groupes, leurs corps étaient alors ensuite démembrés et jetés.
À en croire le dernier témoignage fait à la barre du procès, les membres noirs de la secte devaient chacun démontrer l’assassinat de neuf hommes blancs pour se voir octroyer le titre d’« Ange de la Mort », titre qui leur octroyait le droit d’avoir leur photo dans les lieux de rencontre des Musulmans noirs. Les assassinats de femmes et d’enfants blancs comptaient peu ou prou double, ces meurtres étant considérés comme psychologiquement plus difficiles à réaliser. Sur la base des critères permettant de qualifier ces assassinats – des hommes noirs bien habillés s’en prenant au hasard à des blancs – la direction de la police établit une estimation fixant à 70 le nombre minimum de victimes de ces crimes en Californie. Mais Howard, sur la base des ses recherches fouillées, a chiffré son estimation pour l’État de Californie plus proche de 270 morts.
Ces meurtres se déroulèrent sur presque six mois, et après que les journaux et le public prirent conscience de la situation, la ville de San Francisco se retrouva empreinte d’un sentiment de terreur, et les responsables politiques locaux désespérés d’en finir avec cette affaire. Il arrivait même qu’une personne en lien avec les milieux politiques figurât au nombre des victimes, Art Agnos, le futur maire de la ville en personne, échappa de peu à une attaque au pistolet qui le cibla comme victime prise au hasard. De désespoir, le maire Joseph Alioto, libéral acharné, lança une campagne de patrouilles de contrôles et fouilles ciblant la majorité des hommes noirs adultes comme tueurs possibles. En fin de compte, huit suspects furent arrêtés grâce à un informateur, quatre d’entre eux se virent condamnés à la prison à vie, et les attaques cessèrent à ce moment-là. Mais il semble bien que la majorité des participants à ces crimes ne fut jamais inquiétée, et donc jamais punie.
On peut acheter le livre Zebra pour la modique somme de 4 dollars sur Amazon, frais de port compris, et on peut en trouver une version PDF en ligne, ainsi que dans divers autres formats, sur archive.org. Mais pour qui n’aurait pas le temps de lire ce livre, on peut trouver un résumé très court de l’histoire dans un article de 2001, publié par le conservateur James Lubinskas, sous le titre « souvenons-nous des meurtres du zèbre » [Remembering the Zebra Killing, NdT]. La présentation qu’il relate des événements est très proche de celle exposée par le livre, et le San Francisco Chronicle a également publié une courte rétrospective de ces événements en 2002, à l’époque des attaques du Sniper de DC. Il reste également quelques sites internet pour, ça et là, discuter de cette affaire et republier des articles de journaux, dont certains couvraient les événements d’autres villes de la région.
Mais les événements en soi semblent avoir totalement disparus de la mémoire commune. Quand le célèbre auteur David Talbot a publié La saison de la sorcière [Season of the Witch, NdT], couvert d’éloges, couvrant l’histoire générale de San Francisco, il y intégra une discussion des meurtres du zèbre, et divers habitants pourtant bien informés et natifs de San Francisco déclarèrent découvrir cette affaire pour la première fois à cette occasion. En fait, l’absence totale de toute couverture par les médias, ou de toute enquête ultérieure, força Talbot, libéral s’il en est, à citer un blog racialiste obscur dédié à l’affaire Zebra, faute de disposer de meilleure source documentaire sur cette vague de meurtres.
Les meurtres du zèbre représentent non seulement la principale occurrence de meurtres raciaux dans l’histoire de l’Amérique moderne, mais le nombre de victimes qu’ils ont fait dépasse même de beaucoup le total combiné de tous les autres exemples que l’on retrouve dans les 100 dernières années de notre histoire. Quand on prend conscience de cette réalité, le trou noir quasiment absolu des médias sur cette affaire apparaît comme proprement orwellien, et il est profondément dérangeant. Avant le développement d’internet, ni moi ni quiconque n’aurait pu retomber sur cette histoire importante, et je soupçonne que quiconque nous aurait mis sous le nez les faits tels qu’ils se sont produits à l’époque aurait été vite fait catalogué comme lunatique délirant.
Notre inclinaison naturelle est de penser naïvement que nos médias présentent de manière fiable les événements actuels et passés de notre monde. Mais au lieu de cela, l’image qu’ils nous en donnent est bien souvent une suite d’images totalement distordues venant d’un miroir déformant au beau milieu d’un cirque. Les petits événements peuvent être présentés comme immenses, et de grands événements sont présentés comme insignifiants. Les contours de la réalité historique peuvent se voir entourés de formes presque impossibles à reconnaître, des éléments importants disparaissant totalement du récit, tandis que d’autres éléments venant du néant s’y voient ajoutés. J’ai souvent émis l’idée que nos médias créent notre réalité, mais au vu de telles omissions et de telles distorsions, la réalité qu’ils produisent est bien souvent très empreinte de fiction. Il est relativement commun de critiquer la propagande absurde qui sévissait au plus haut des purges de Staline ou lors de la famine en Ukraine, mais nos propres médias, à leur façon, nous servent des récits tout aussi malhonnêtes et absurdes. Et jusqu’à l’arrivée d’internet, la plupart d’entre nous ne pouvait pas même entrevoir sans difficulté l’énormité de ce problème.
Il y a une dizaine de jours à peine, j’ai découvert qu’une adolescente blanche s’était fait kidnapper par une bande d’hommes noirs en Floride, qui l’avaient gardée captive pendant plusieurs jours, l’avaient pendant cet intervalle violée en groupe, et avaient fini par la tuer et se débarrasser de son corps en le jetant aux alligators. Je n’ai trouvé de mention de cette histoire grotesque dans aucun journal d’envergure nationale, alors que le New York Times, au moment-même, publiait tel ou tel article signalant qu’Hollywood préparait trois films distincts sur l’affaire de meurtre horrible d’Emmett Till il y a 60 ans. Notre appareil médiatique, en laissant certains événements dans l’ombre et en braquant le projecteur sur d’autres, peut faire apparaître l’image du monde comme il la souhaite. Et jusqu’il y a peu, nul d’entre nous ne pouvait même s’en rendre compte.
Le mouvement Black Lives Matter [les vies des Noirs comptent, NdT] domine notre discours politique depuis quelques années, et les manifestations qu’il a menées ont amené à des changements majeurs dans nos politiques, et certaines voix critiques affirment que ces changements sont responsables de fortes montées de taux d’homicides dans les centre-villes de certaines villes fortement peuplées par les Noirs. Mais pour autant que je puisse en juger, nombre d’événements majeurs à la source de ce mouvement étaient montés par les médias, à des degrés divers, et il est d’ailleurs assez facile à quiconque s’intéresse au sujet même occasionnellement de consulter les informations non filtrées à la source, disponibles sur Internet, pour s’en rendre compte. Ici encore, il suffit d’éviter les gardiens du temps que sont devenus les médias traditionnels.
Par exemple, Trayvon Martin semble avoir un passé de jeune voyou violent, et son antagoniste, George Zimmerman, un Dudley-Do-Right [il s’agit d’un personnage de bande dessinée qui ressemble de loin à l’Inspecteur Gadget : soucieux de bien faire, mais vraiment pas futé, NdT], semi-hispanique, semble avoir eu pour principal tort de vouloir se défendre alors qu’il était attaqué dans son propre quartier, sans provocation de sa part, et que l’on voulait le battre à mort. De même, le célèbre Michael Brown de Ferguson était un immense criminel, qui commettait des vols à main armée quand bon lui semblait dans les épiceries de nuit, et qui s’en prit à l’agent de police local qui voulut l’arrêter et lui poser des questions.
Ces incidents, et beaucoup d’autres derrière le mouvement Black Lives Matter, ne sont pas de nature à provoquer l’indignation du public que l’on a connue, parmi les populations de quelque couleur qu’elle soit, si n’était la transformation qu’en ont opérée nos médias malhonnêtes qui relatent des choses qui ne se sont pas produites, qui agitent ainsi les ignorants et les crédules ; certains pontes au sein même de ces médias en viennent d’ailleurs eux-mêmes à s’étonner de l’évitement total qui est pratiqué autour des faits tels qu’ils se sont produits. Pour ma part, je n’ai guère de doute sur le fait qu’au cours des années 1930, la Pravda soviétique ait réussi à instiller de tels sentiments de révolte au sein de la population en russe, en fabricant tous les crimes monstrueux et toutes les trahisons horribles commises par ces naufrageurs de trotskystes et divers autres déviants politiques.
En fait, les preuves suggèrent que la majorité frappante des agressions violentes sur fond de haine raciale commises aux USA chaque année est perpétrée par des Noirs, le plus souvent envers des Blancs, mais parfois envers des Asiatiques ou des Hispaniques. Mais ces attaques sont presque systématiquement ignorées par les médias, et les présentateurs et les hommes politiques semblent au contraire empressés de braquer le projecteur dès lors qu’une agression se produit dans le sens opposé, même si cela constitue la minorité des faits. En fait, j’avais déjà fait le constat il y a quelques années qu’un travail de corrélation statistique mené sur nos centres urbains établissait un lien entre la prévalence de Noirs et la prévalence de crimes graves, et que cette corrélation était l’une des plus élevées que l’on puisse mesurer dans le domaine des sciences sociales, ce qui suggère fortement que le crime urbain constituerait une phénomène principalement noir.
Un schéma reproduisant une malhonnêteté patente et répétée pendant trop longtemps finit par porter à conséquences. Les médias étasuniens, sur toute une gamme de sujets, comprenant sans aucun doute les sujets raciaux, approchent rapidement du point où leur crédibilité devient négative, et de plus en plus de gens tendent à penser que les faits sont exactement opposés à ce que décrivent les médias.
Ce n’est en rien un phénomène nouveau. Au cours des années 70, je lisais les livres fascinants d’Edgar Snow sur la Chine maoïste, qui relataient la réplique perspicace qu’un paysan fit à l’auteur pour lui indiquer avec quelle facilité on pouvait déduire la réalité du récit officiel : si les médias lançaient une grande campagne de propagande vantant la sûreté sans égale des chemins de fer chinois, sans doute quelque terrible accident de train s’était-il produit récemment. Il est triste de réaliser que de nombreux Américains sont sans doute en train d’adopter ce type de règle de pensée.
Prenons une métaphore biologique. Quand la chair molle subit une blessure importante, la cicatrisation produit, pour se protéger, un nouveau tégument souvent plus dur et plus résistant que l’original. Et, longtemps après que les dégâts en soient réparés, reste le dessin permanent qui témoigne de la surcompensation opérée par l’organisme pour surcompenser la blessure. Les récits des médias s’employant à cacher des faits déplaisants semblent parfois suivre le même schéma de surcompensation, et produisent une réalité inversée qui peut constituer en soi un indice utile de la réalité supprimée.
L’an dernier, par exemple, j’avais publié un article s’intéressant aux preuves impressionnantes que le passé de guerre de John McCain au Vietnam aurait été celui d’un collaborateur notoire de l’ennemi, mais que les tentatives malhonnêtes d’obscurcir ou de couvrir la réalité de sa trahison avaient pris une vie propre, et, croissant avec le temps, l’avaient porté dans l’esprit du public comme l’un des héros de guerre les plus patriotes des USA.
Ou prenons l’affaire historique fascinante d’Emmett Till, que nous avons déjà mentionné un peu plus haut, dans le meurtre en 1955 était devenu l’archétype d’un jeune homme noir innocent lynché par des blancs meurtriers du Sud, ayant peut-être même inspiré le célèbre classique de Harper Lee, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur. Le meurtre de Till avait fait l’objet d’une intense couverture de la part des médias nationaux, qui avaient tous expliqué que l’enfant noir, âgé de 14 ans, n’avait fait qu’émettre des remarques provocantes à la jeune épouse d’un propriétaire de magasin blanc – il l’aurait sifflée – et que cela avait suffi à le faire enlever et brutalement assassiner. Mais assez bizarrement, on n’apprit que bien plus tard que son père, un criminel violent, avait été exécuté pour de multiples viols et pour meurtre, et que Till lui-même, pesant 70 kg et plutôt grand et musclé pour son âge, présentait également un historique de violence. Ces éléments m’étaient restés inconnus jusqu’il y a peu.
Quand nous découvrons que les médias ont, toute honte bue, laissé dans l’ombre divers détails d’importance, nous en venons naturellement à nous demander quels autres éléments ont pu être cachés hors de notre vue pendant tous ces temps pré-internet. J’en suis venu à me demander si les actions de Till n’auraient pas pu aller significativement plus loin – et plus grièvement – qu’un simple « sifflet », peut-être même jusqu’à quelque agression sexuelle, auquel cas son assassinat apparaîtrait comme l’exécution d’une sorte de justice brute pas si rare dans les communautés rurales. Dans ce scénario hypothétique, sans doute le mari de la victime de Till n’aurait-il pas souhaité faire étalage de l’indignité terrible que la première agression faisait porter à son épouse. Il est très possible que tout ce scénario dérangeant ne soit qu’imagination, mais au vu des schémas de mensonge que nous connaissons, je ne pense pas qu’un tel scénario apparaisse comme délirant. Dans les temps précédent internet, Trayvon Martin et Michael Brown auraient fort bien pu le rejoindre sur la liste des jeunes martyrs tragiques.
Une longue histoire de répétitions de malhonnêtetés par les médias peut produire des conséquences importantes, que nombreux trouveront inquiétantes. Les remarques faites en public par Donald Trump apparaissent souvent comme plutôt ignorantes, voire même ridicules, et sans doute aucun candidat à la présidence n’a-t-il au cours des cent dernières années subi une couverture aussi fortement hostile de la part des médias unanimes. Mais les membres isolés de ce quatrième pouvoir ont été ébahis de voir leurs attaques et dénonciations sans fin ne plus avoir qu’un impact marginal sur l’opinion publique, et Trump a repris du poil de la bête dans divers sondages récents. Les journalistes doivent bien comprendre à un moment que des décennies de tromperie ont fortement réduit leur crédibilité sur toute une gamme de sujets sensibles, et que de nombreux électeurs refusaient de prendre pour argent comptant ces commentaires sur Trump de la part de ce qu’ils considèrent désormais comme « la presse menteuse ».
Une fois que les américains ont compris que nos médias supposément objectifs ne fonctionnent guère que comme une machine de propagande corrompue, pourquoi les affirmations de pontifes ou de journalistes issus de l’establishment devraient-elles peser plus de poids que les Tweets sarcastiques de quelque blogueur anonyme et en colère ? Ceux qui ont permis le dévoiement total de toute intégrité journalistique n’ont qu’eux-mêmes à qui se plaindre que le grand public n’en veuille plus.
Traduit par Vincent pour le Saker Francophone
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