Le 18 juillet 2016 – Source Moon of Alabama
On commence à faire le tri entre les fausses preuves et les vraies, et il ressort de tout cela que le coup d’État en Turquie a été soit complètement mis en scène, soit une provocation orchestrée pour pouvoir procéder à une grande purge bien planifiée.
Des officiers subalternes impliqués dans le coup d’État ont pu penser qu’il était vrai, mais Erdogan et son appareil du pouvoir savaient qu’il allait y avoir un coup et ils avaient tout sous contrôle. On se demande comment on a fait pour tromper des officiers subalternes et les entraîner dans cette malheureuse tentative, hâtive et mal préparée. Ont-ils eu peur d’une enquête qui devait soi-disant bientôt avoir lieu?
Erdogan a admis aujourd’hui à la télévision qu’il savait qu’il allait y avoir un coup:
19:47 −17 juillet 2016 Mahir Zeynalov @MahirZeynalov
Erdogan reconnaît qu’il a eu connaissance d’une activité militaire au moins 7 à 10 heures avant le coup d’État (vidéo)
09:34 −18 juillet 2016 Borzou Daragahi @borzou
Officiel turc: « Les Gülenistes (partisans de Fethullah Gülen, NdT) de l’armée sont surveillés depuis un certain temps. Le groupe a agi en urgence lorsqu’il s’en est aperçu. »
Ces Gülenistes étaient plus probablement les kémalistes séculiers nationalistes, que le New York Times qualifie maintenant d’extrémistes.
Le fait qu’il s’attendait au coup explique pourquoi Erdogan a quitté l’hôtel de Marmaris, où il était en vacances, des heures avant que les soldats ne viennent l’arrêter:
21:12 − 15 juillet 2016 (((Garrett Khoury))) @KhouryGarrett
#Turquie : Erdogan confirme que les forces putschistes ont encerclé son hôtel à Marmaris … 4 heures après qu’il l’a quitté. Quelle incompétence !
Cela explique aussi pourquoi deux avions de combat F-16, qui faisaient soi-disant partie du coup d’État, avaient l’avion d’Erdogan en ligne de mire mais ne l’ont pas abattu :
« Au moins deux F-16 poursuivaient l’avion d’Erdogan alors qu’il était en route vers Istanbul. Ils avaient son avion dans leurs radars, ainsi que les deux F-16 qui l’escortaient », a déclaré à Reuters un ancien officier militaire, au fait des événements.
« Pourquoi ils n’ont pas tiré est un mystère » a-t-il dit.
Ces pilotes n’étaient pas de vrais putschistes. Ils avaient dû recevoir l’ordre de ne pas tirer. Les enregistrements des radars ont montré que l’avion d’Erodgan a fait des cercles dans le ciel, au sud-ouest d’Istanbul, pendant des heures. Il aurait été très facile de l’éliminer.
Dans le même communiqué de Reuters :
L’ancien officier a déclaré que les putschistes semblaient avoir déclenché leur tentative prématurément, parce qu’ils avaient réalisé qu’ils étaient sous surveillance, une information confirmée par des officiels d’Ankara.
Le colonel Pat Lang, qui a été responsable du renseignement militaire des États-Unis en Turquie pendant des années, a contacté de vieilles connaissances:
Je sais de source turque sûre, qu’Erdogan et des officiers supérieurs qu’il avait nommés, ont manipulé des officiers subalternes pour créer un coup d’État qui pouvait être facilement écrasé, dans le but de consolider son pouvoir.
C’est déjà arrivé en Turquie:
L’incident bienvenu ou événement − turc : à Istanbul, Vaka-i Hayriye « heureux incident » ; dans les Balkans, Vaka-i Şerriyye, « Incident malheureux » − fut la dissolution forcée du corps séculaire des janissaires par le sultan Mahmud II, le 15 juin 1826. La plupart des 135 000 janissaires se sont révoltés contre Mahmud II, et après que la rébellion a été réprimée, ses dirigeants tués, et de nombreux membres exilés ou emprisonnés, le corps des janissaires a été démantelé et remplacé par une force militaire plus moderne.
[…]
Les historiens pensent que Mahmud II a fomenté lui-même la révolte et ils l’ont appelée « le coup d’État contre les janissaires du sultan. »
Ce coup est l’incendie du Reichstag d’Erdogan, le soi-disant incendie du bâtiment du parlement allemand en février 1933, qui a été utilisé par Hitler pour se débarrasser des communistes et des autres ennemis de son pouvoir.
Le faux coup d’État est maintenant suivi d’un vrai, dans lequel Erdogan abat tous ses ennemis présumés.
Quelques heures après le coup d’État contre Erdogan, 2 750 juges ont été relevés de leurs fonctions. Des centaines de juges, y compris des juges de la Cour suprême nommés par Gul, le prédécesseur d’Erdogan à l’AKP, ont été jetés en prison. Hier soir, 7 899 policiers et 631 gendarmes ont été relevés de leurs fonctions et leurs armes ont été confisquées. 30 gouverneurs et 47 gouverneurs locaux ont été suspendus. Le Conseil de l’enseignement supérieur a annoncé le prochain nettoyage des écoles et des universités. Vingt sites d’information indépendants turcs ont été fermés. Les hommes d’affaires et les banquiers qui ne soutiennent pas Erdogan sont les prochains sur la liste. Les listes utilisées pour ces grandes purges ont forcément été préparées bien avant le coup d’État.
Trois mille conscrits qui ont reçu l’ordre de participer au coup d’État, mais aussi de nombreux officiers de haut rang ont été emprisonnés. Ils comprennent 103 généraux et amiraux, dont beaucoup n’avaient pas pris part au coup d’État et s’étaient explicitement prononcés contre lui. D’autres officiers de haut rang ont été relevés de leurs fonctions. Toutes les grandes unités de l’armée turque ont perdu certains de leurs commandants. Les soldats capturés ont été humiliés par les forces de police spéciales, les plus fidèles à Erdogan. Ils ont dû se déshabiller et ont été filmés recroquevillés au sol. Les images de ces humiliations ont été largement diffusées. Cela brisera le moral de tous les rangs de l’armée !
Les mesures prises contre l’armée rappellent la purge des officiers opérée par Staline dans l’armée soviétique en 1937-1941. Le désastre militaire soviétique de la guerre hivernale de 1939 entre l’Union soviétique et la Finlande et les terribles pertes des premières années de la guerre contre les Allemands et leurs alliés ont été le résultat de ces purges. L’armée turque, la deuxième plus grande de l’OTAN, est maintenant une coquille vide et ne sera plus en mesure de lancer une opération de grande envergure qui se tienne.
Erdogan a demandé à ses partisans de rester dans les rues une semaine entière pour « défendre l’État ». Les purges ne sont pas terminées.
Certains pensent que ce coup d’État et les purges d’Erdogan, assureront son indépendance en matière de politique étrangère et lui permettront de sortir de la sphère États-Unis/OTAN pour se rapprocher de la Russie, la Chine et l’Iran. Les partisans d’Erodgan accusent les États-Unis d’être derrière le coup d’État. La menace de bloquer la base aérienne d’Incirlik, le centre des opérations américaines en Syrie contre le flanc sud de la Russie et la principale zone de stockage d’armes nucléaires tactiques américaines au Moyen-Orient, neutralisera Washington, et empêchera toute mesure directe de l’Occident contre lui.
L’État turc est maintenant mutilé. L’expérience et la connaissance de tous ceux qui ont été écartés est irremplaçable. Tout événement inattendu, militaire ou civil, recevra une réponse confuse et désordonnée. Malgré le succès actuel d’Erdogan, l’hubris va exiger son dû et le triomphe de M. Erdogan sera bientôt suivi d’une grande chute.
Quels sont les vrais amis qu’Erdogan a laissés à la Turquie, au plan international ? Quelques dirigeants édentés des Frères musulmans et les dictateurs du Qatar sont les seuls qui me viennent à l’esprit. Privée de la solidarité internationale, l’économie de la Turquie sera bientôt en encore plus grande difficulté. Les islamistes radicaux, incités par Erdogan à se battre contre le peuple syrien, vont revenir mordre la Turquie. Erdogan croit peut-être qu’il peut contrôler ces extrémistes. Il sera le prochain apprenti sorcier à s’apercevoir que c’est impossible.
Ces djihadistes radicaux qu’Erdogan a importés et ravitaillés en Syrie sont aussi la raison pour laquelle nous devons tous être heureux que le coup n’ait pas réussi. Si Erdogan avait été tué, la guerre civile n’aurait pas pu être évitée en Turquie. Des Islamistes lourdement armés auraient attaqué l’armée et d’autres forces gouvernementales. Divers groupes ethniques et religieux se seraient battus entre eux. La guerre par procuration menée par ces extrémistes dans les pays voisins de Syrie et d’Irak serait revenue en Turquie, tout comme la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan est revenue au Pakistan.
Cela pourrait encore se produire. Mais les chances qu’un faux pas d’Erdogan conduise à un changement moins brutal du pouvoir sont maintenant plus élevées qu’avant.
Traduction : Marie Staels