La dette historique est au cœur de notre déclin économique


Par Brandon Smith – Le 7 décembre 2018  – Source Alt-Market.com


Comme je l’avais prédit juste après l’élection présidentielle de 2016, un sordide théâtre de blâme a explosé sur l’état de l’économie américaine, les doigts pointant partout sauf (dans la plupart des cas) sur les véritables responsables de l’accident. Certains parlent de l’administration actuelle et de sa poursuite d’une guerre commerciale. D’autres évoquent la Réserve fédérale, avec ses hausses de taux d’intérêt défavorables malgré les faiblesses économiques et ses réductions de bilan.


Certains reprochent aux démocrates d’avoir doublé la dette nationale sous l’administration Obama et d’avoir créé d’énormes déficits commerciaux et budgétaires. Et d’autres se tournent vers les républicains pour ne pas encore avoir endigué l’augmentation continue de la dette et des déficits nationaux.

Dans le paysage économique actuel, la question de la dette est absolument cruciale. Bien qu’elle soit souvent soulevée dans le contexte de notre incertitude financière, elle est rarement explorée assez en profondeur.

Je crois que les événements de la crise économique sont conçus délibérément par l’élite financière afin de créer des conditions avantageuses pour elle-même. Pour comprendre pourquoi, il est important de connaître la racine de leur pouvoir.

Sans des conditions d’endettement extrêmes, il n’est pas possible de créer des ralentissements économiques (ou du moins de les soutenir pendant de longues périodes). Selon le montant de la dette qui pèse sur un système, les institutions bancaires peuvent prédire les résultats de certaines actions et influencer certains résultats finaux. Par exemple, si la Fed était intéressée à conjurer une bulle basée sur la dette, une stratégie classique serait de fixer des taux d’intérêt artificiellement bas pendant beaucoup trop longtemps. Inversement, augmenter les taux d’intérêt en phase de faiblesse économique est une stratégie qui peut être employée pour faire éclater une bulle. C’est ce qui a déclenché la Grande Dépression, c’est ce qui a déclenché le krach de 2008 et c’est ce qui se passe aujourd’hui.

Le fardeau massif de la dette rend le recouvrement difficile, voire impossible, et le système devient donc de plus en plus dépendant des élites bancaires pour résoudre le problème.

L’endettement est le carburant qui permet à la machine de centralisation de fonctionner. Je ne parle pas de prêts ordinaires, bien que cela puisse être un facteur. Ce dont je parle, c’est de la dette créée par les politiques ; de la dette créée en un instant par le recours à des mesures subversives et arbitraires, comme les initiatives des banques centrales en matière de bilan ou les taux d’intérêt. Et la dette créée par la collusion entre les banques centrales, les banques internationales, les agences de notation et le gouvernement par l’élimination de règlements ou la mise en œuvre de normes réglementaires injustes.

La dette est une drogue. Les banques le savent depuis longtemps et ont exploité l’opium de l’argent facile pour pousser des nations et des cultures entières à la servitude ou à l’autodestruction. Pour illustrer ce point, jetons un coup d’œil aux chiffres de la dette aujourd’hui.

La dette nationale se rapproche de 22 000 milliards de dollars, et plus de 1000 milliards de dollars par année sont actuellement ajoutés pour le contribuable américain.

La dette des entreprises n’a jamais atteint de tels sommets historiques depuis 2008, S&P Global ayant annoncé des dettes totales pour plus de 6 300 milliards de dollars avec les plus grandes sociétés ne détenant seulement que 2 100 milliards de dollars en liquidités à titre de couverture.

La dette des ménages américains s’élève actuellement à environ 13 300 milliards de dollars, soit 618 milliards de dollars de plus que le dernier sommet atteint en 2008, pendant la crise du crédit.

La dette américaine liée aux cartes de crédit a dépassé les 1000 milliards de dollars pour la première fois en 2018, le montant le plus élevé depuis 2007 (une fois de plus, nous constatons que les niveaux d’endettement dépassent les limites franchies juste avant le krach de 2008).

Alors, comment exploiter cette dette pour fabriquer une crise économique ? Commençons par l’endettement des ménages et des consommateurs.

On pourrait penser qu’avec autant de prêts et de dettes à la consommation, nous assisterions à une expansion massive des marchés de l’immobilier et de l’automobile. Et pendant un temps, c’est ce qui s’est passé. Le problème, c’est que la plupart des achats de maisons étaient effectués par de grandes sociétés comme BlackRock, qui dévoraient des milliers de prêts hypothécaires en difficulté, puis les transformaient en logements locatifs. Sur le marché de l’automobile, il y a eu une forte hausse des achats motivée par les prêts, mais ces prêts ont été réalisés au moyen de prêts automobiles de type ARM, le même genre de prêts avec des normes laxistes qui ont contribué à causer la crise hypothécaire en 2008.

Aujourd’hui, tant sur le marché du logement que sur le marché de l’automobile, un crash est effectivement en train de se produire, car la Fed relève les taux d’intérêt et rend la détention de ces prêts encore plus chère.

Les ventes de maisons en attente ont chuté à leur plus bas niveau en quatre ans, car un propriétaire de maison sur quatre sur le marché de la vente est maintenant forcé de baisser ses prétentions. La dette devient coûteuse et, par conséquent, la demande s’effondre.

Dans l’ensemble, les ventes d’automobiles aux États-Unis ont amorcé une baisse précipitée en septembre, qui s’est poursuivie jusqu’en novembre, surtout en raison de la hausse des taux d’intérêt.

Il est clair qu’un crash économique, que certains qualifient simplement de marché baissier, est indiqué par le déclin rapide des marchés logement et de l’automobile, deux des secteurs de consommation les plus importants.

Mais qu’en est-il de la dette des entreprises ? Utilisons General Electric (GE), General Motors (GM) et Ford comme tests du tournesol.

GE est actuellement dans le rouge pour plus de 115 milliards de dollars. Et cela n’inclut pas ses promesses de retraite aux employés, qui s’élèvent à plus de 100 milliards de dollars … de plus. Étant donné que seulement 71 milliards de dollars ont été mis de côté pour couvrir les paiements, toute hausse de taux de la Fed constitue un poids supplémentaire pour GE. Le résultat probable sera la poursuite des licenciements. En décembre dernier, GE a annoncé la suppression de 12 000 emplois jusqu’en 2018, et il est probable que ces réductions se poursuivront jusqu’en 2019.

GM, avec une dette à long terme de 102 milliards de dollars (en septembre) et des liquidités d’environ 35 milliards de dollars, est en train de supprimer plus de 14 000 emplois et de fermer plusieurs usines aux États-Unis, en partie à cause d’une combinaison de hausses de taux d’intérêt et de tarifs douaniers. Cependant, le véritable point de rupture est dû à la dette croissante dont GM est responsable. Sans une telle dette, ni les hausses de taux ni les tarifs de Trump n’auraient un effet aussi intense sur ces sociétés.

Ford, qui ne sera pas en reste pour GM, devrait annoncer jusqu’à 25 000 suppressions d’emplois, bien que la majorité d’entre elles puissent être mises en œuvre en Europe. Ford a qualifié ce rapport de Morgan Stanley de « prématuré », mais nous avons vu beaucoup d’autres cas similaires de ce genre de fuites d’informations pendant le crash de 2008, et la plupart d’entre eux se sont révélés vrais. Ford a vu sa cote de crédit abaissée par Moody’s plus tôt cette année à un échelon juste au-dessus de la camelote. Avec un passif à court terme d’environ 100 milliards de dollars et seulement 25 milliards de dollars en liquidités, Ford est une autre entreprise au bord de l’effondrement en raison d’énormes dettes sur lesquelles elle ne peut se permettre de payer plus d’intérêts.

Nous pouvons voir le stress que la Fed est en mesure d’imposer aux sociétés en examinant leurs dépenses de rachat d’actions au cours des dernières années. Jusqu’à récemment, ce sont les faibles taux d’intérêt, les prêts au jour le jour et les achats au bilan de la Fed qui permettaient aux entreprises de racheter leurs propres actions et ainsi de soutenir artificiellement les marchés. En fait, on pourrait dire que sans les rachats d’actions, le rally haussier qui a débuté en 2009 se serait éteint il y a longtemps et que nous serions revenus aux conditions de crash beaucoup plus tôt.

C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui.  Les rachats d’actions au second semestre de 2018 diminuent à mesure que la Fed durcit sa politique monétaire et que les taux d’intérêt se rapprochent de plus en plus du « taux neutre » de l’inflation. Il n’a fallu qu’une maigre augmentation de 2 % du taux d’intérêt pour créer une crise, mais compte tenu du niveau d’endettement qui étouffe le système, cela ne devrait surprendre personne.

En abaissant les taux d’intérêt proche de zéro, la Fed a créé une culture du risque irresponsable, et je crois qu’elle l’a fait sciemment. Même Donald Trump s’est lié à la performance du marché boursier et a embrassé la dépendance à la dette, demandant à la Fed d’arrêter ou de réduire les hausses de taux d’intérêt pour que la fête de la dette continue. Cependant, avec la Maison-Blanche de Trump qui grouille d’agents bancaires internationaux et de goules venant de think tank, il pourrait y avoir beaucoup plus qu’il n’y paraît au premier abord alors que Trump s’enchaine lui-même à la performance du Dow Jones.

La Fed ne va pas s’arrêter. Pourquoi le ferait-elle ? Elle a créé la bulle parfaite. Une bulle qui englobe non seulement la dette des entreprises, la dette des consommateurs et les marchés boursiers, mais aussi les marchés obligataires et le dollar américain lui-même. Si l’objectif est de centraliser le pouvoir, les élites bancaires ont l’arme parfaite pour faire face à la crise, et elles n’ont pas besoin de lever le petit doigt (ou de relever les taux) pour déclencher l’événement.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, ce ne sont pas seulement les investisseurs boursiers qui dépendent des taux d’intérêt de la Fed, mais aussi le gouvernement américain, car la dette du Trésor devient moins désirable pour les acheteurs étrangers. Plus la barrière des intérêts potentiels est élevée pour les États-Unis, plus le coût est élevé et moins les acheteurs étrangers ont confiance en notre capacité à couvrir nos dettes pendant que la Fed continue à resserrer son bilan.

La Chine et le Japon ont tous deux réduit discrètement leurs avoirs en bons du Trésor et leurs achats. Depuis le début de 2018, l’échec des adjudications d’obligations a été cité comme un facteur déclenchant des hausses de rendement de ces bons du Trésor. Encore une fois, même la dette américaine et le dollar sont mêlés à la « bulle de tout ».

La dette en soi n’est pas nécessairement simplement un outil pour gagner plus de richesse ; c’est aussi un outil pour changer et modeler les sociétés par l’effet de levier financier et les catastrophes. Pour comprendre qui est à l’origine d’un ralentissement économique et à qui profite la crise économique, il suffit de se demander qui contrôle la dette.

Brandon Smith

Traduit par Hervé pour le Saker Francophone

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