Par Oleg Tsarev – Le 16 mars 2015 – Source Fort Russ
Oleg Tsarev, ancien candidat à la présidence ukrainienne et président du Parlement novorusse, parle de la redistribution forcée des biens de l’Ukraine
On m’a raconté, une fois, l’histoire d’un requin que des pêcheurs avaient rejeté à la mer après lui avoir ouvert le ventre. Le requin a continué à nager autour du bateau. Les requins sont très vivaces. L’eau était claire, les pécheurs ont vu le requin avaler un poisson et ses propres entrailles que les pécheurs venaient de rejeter dans l’océan. La nourriture s’est échappée de son estomac ouvert, alors le requin l’a avalée encore une fois, puis encore et encore.
Ce qui se passe aujourd’hui dans ma patrie me fait penser à cette horrible histoire. Dans les coulisses de la tragédie qui se déroule en Ukraine, les oligarques et leurs sbires se livrent à une grande, et même à une épique dernière bataille pour les biens ukrainiens. Le pillage est total: ils pillent le pays, ils se pillent les uns les autres, ils pillent les entreprises, ils pillent les simples particuliers.
A l’époque soviétique, on avait l’habitude d’appeler requins du capitalisme ceux qu’on nomme aujourd’hui oligarques. Pragmatiques, cyniques et sanguinaires, les requins et nos oligarques ont le même réflexe de base: avaler. C’est automatique. On dit qu’un requin ou un crocodile peuvent mordre, même si leur cerveau est mort. C’est un réflexe…
Le pays est en ruines. Les gens fuient l’Ukraine pour chercher refuge dans le monde entier. Rien qu’en Russie il y a près d’un million de réfugiés. Le pays est en phase terminale. Des milliers de gens blessés, mutilés et tués. Peu à peu, le pays se rapproche de la faillite. Il est encore en vie, mais tout le monde sait que la catastrophe est imminente.
Pendant ce temps, sous les yeux de ceux qui n’ont pas encore repris leurs esprits, qui n’ont pas encore réalisé à quel point le pays avait changé au cours de l’année dernière, nos oligarques organisent, avec une impudence cynique, le dernier redécoupage de notre pays: Kolomoisky, Firtash, Pinchuk, Akhmetov, Grigorishin, Novinsky… La bataille pour s’approprier les biens ukrainiens fait rage sur tous les fronts. A la Verkhovnaya Rada [parlement ukrainien, NdT], à la cour de justice de Londres, dans les tribunaux ukrainiens, sur le territoire de l’Ukraine au moyen des bataillons territoriaux et des organisations radicales.
Igor Kolomoisky, Vadim Novinsky et Konstantin Grigorishin ont subi les premières pertes:
– Le bureau du procureur général a recherché et saisi environ huit millions de dollars dans les bureaux de Smart-Holding de Novinsky, au prétexte qu’ils étaient destinés à financer les séparatistes. Une saisie de l’usine métallurgique Ingulets GOK de Novinsky à Makeevka est en préparation.
– Konstantin Grigorishin est en train d’être dépossédé de Turboatom, ainsi que de Frunze NPO et d’Oblenergo (Énergie régionale).
– Les prochains biens en ligne de mire sont ceux de la famille de M. Ianoukovitch.
– La guerre avec Sergey Kurchenko est depuis longtemps sortie du cadre légal pour devenir une guerre où tous les coups sont permis, les oligarques pulvérisent les actifs l’un de l’autre à Odessa.
– Une usine de titane et l’usine Rovnoazot sont sur le point d’être arrachées à Dmitry Firtash; la base idéologique se prépare à saisir la chaîne de télévision Inter, détenue par Firtash.
– Venons-en à Victor Pinchuk. En raison du fait que Kolomoisky est en train de perdre son procès à Londres contre Victor Pinchuk, une pression sans précédent est exercée sur le beau-père de Pinchuk, Koutchma: on l’accuse de corruption, on ressuscite l’affaire Gongadze, et il ne fait aucun doute que, si cela ne fonctionne pas, on trouvera autre chose.
Apparemment, le temps est venu, et le 14 mars, Igor Kolomoisky a décidé de tripler le nombre des soldats de son bataillon. Pour cela, il a ordonné d’intensifier le recrutement, et a alloué des fonds pour l’achat d’armes. Apparemment, la bataille décisive des oligarques est imminente, mais il est peu probable qu’il y ait un gagnant. Le perdant par contre ne fait pas de doute: c’est le peuple ukrainien.
Les requins sont guidés par leur instincts, ils ne pensent pas que le coup d’État qu’ils ont organisé et la guerre qui s’en est suivie sont en train de détruire les institutions de l’État et l’État lui-même. Ils n’ont pas pensé qu’en soutenant Maïdan, ils avaient déjà sérieusement réduit la valeur de leurs entreprises et qu’elle va continuer à baisser. Dans un pays livré au chaos, les affaires et les biens se déprécient rapidement. Il est bien sûr plus facile de piller les biens dans un pays après l’avoir réduit au chaos. Il y a un an, l’État n’aurait pas autorisé le millième des méthodes employées aujourd’hui pour faire changer les biens de mains. Maintenant, on peut faire ce qu’on veut. Il y a encore beaucoup d’actifs à saisir. Ils ne se demandent même pas à quoi vont leur servir tous ces biens dans un pays où la vie humaine ne vaut plus rien. Car bientôt, être riche ou avoir tout simplement un peu plus qu’un autre, va vous mettre en danger de mort. A n’importe quel moment, des gens armés peuvent venir vous tuer, vous et votre famille, pour vous prendre ce que vous avez. Est-ce qu’ils croient qu’ils vont pouvoir vivre à l’étranger, en faisant fructifier les biens qu’ils détiennent en Ukraine? Mais à quoi vont leur servir ces entreprises et ces usines, si elles ferment? Pourquoi se battre pour des biens qui n’auront bientôt plus de valeur? Voilà les questions que ceux qui ne sont pas sous l’empire de leurs pulsions et qui réfléchissent encore se posent sans doute, pendant que ceux que leurs pulsions dominent continuent à piller, à razzier, à accaparer, accaparer, accaparer…
Ils n’ont pas conscience que, pour amasser ce butin, ils ont commis tant de crimes et versé tant de sang qu’ils finiront forcément mal. L’ombre d’une mort violente plane sur eux. Mais ce sera pour plus tard; pour le moment, le requin tourne autour du bateau dans une danse mortelle, en avalant ses propres entrailles avec sa nourriture.
Commentaire de Kristina Rus – Traductrice du russe à l’anglais
Ce qui se passe en Ukraine depuis vingt-trois ans est tout simplement une anomalie historique. Je fais référence aux conditions historiques actuelles où le nouveau système ne s’est intéressé qu’aux ressources laissées par l’ancien système grâce, en grande partie, au généreux soutien du grand frère de l’Est. Les oligarques ukrainiens, ivres d’être désormais indépendants de Moscou, ont établi de nouvelles règles. Voilà leur première règle : c’est le plus fort qui gagne, et cela a conduit le pays à la catastrophe.
Il faudra que le pays touche le fond avant de remonter la pente. Mais on n’a pas encore touché le fond.
Article original en russe.
Traduit de l’anglais par Dominique Muselet, relu par jj pour le Saker Francophone