La campagne russe aujourd’hui – Observations d’une « expatriée »


Par Peter Turchin − Le 9 mai 2025 − Source Cliodynamica 

Note de l’auteur : j’ai demandé à une amie qui a vécu aux États-Unis pendant plus de 30 ans, mais qui est revenue il y a quelques années dans son village natal en Russie, de me donner son avis sur la Russie rurale d’aujourd’hui. Voici ce qu’elle m’a écrit (j’ai utilisé Google Translate, puis j’ai légèrement édité le texte). Toutes les photos ont été prises par mon amie.

Mes observations se limiteront à un petit village de la région de Leningrad, qui n’est pas tout à fait représentatif. Le district de Luga, dans lequel se trouve le village, est depuis longtemps une région touristique et, malgré son éloignement de la capitale du nord (c’est-à-dire Saint-Pétersbourg), à 150 km, il est très apprécié comme lieu de villégiature estivale en raison de son environnement, de son climat et de son accessibilité relativement bonne. Il compte de nombreux lacs, rivières et forêts de pins.

Aujourd’hui, il existe encore plusieurs entreprises à Luga qui emploient la population locale et, bien sûr, il y a aussi beaucoup de main-d’œuvre importée. Hélas.

Mon village n’a pas toujours été pauvre. Depuis les années 1990, il s’est beaucoup développé. Je pense qu’il a presque doublé de taille. Cela est principalement dû à Saint-Pétersbourg, mais il y a aussi de nouveaux arrivants d’autres régions. Environ 120 personnes sont enregistrées comme résidents permanents, principalement des personnes âgées.

Il n’y a pas de travail officiel dans le village. Au printemps et en été, il est possible de gagner de l’argent en fournissant divers services, tels que la construction, le nettoyage du territoire, la tonte du gazon, l’entretien du jardin, etc. Cependant, tout cela représente un luxe assez coûteux.

Il est impossible de recruter des hommes en bonne santé pour ce travail, car il n’y en a pratiquement pas dans le village. Les quelques hommes qui y vivent en permanence sont des professionnels qui travaillent à distance et gagnent bien leur vie.

Les prix des terrains et de l’immobilier sont assez élevés, environ mille dollars pour cent mètres carrés. Ainsi, un terrain typique de 0,2 ha coûte plus de 20 000 dollars. Il s’agit uniquement du terrain, sans maison.

Personne ne se lance sérieusement dans l’agriculture commerciale, chacun cultive uniquement pour sa propre consommation. Je suis convaincu que s’il existe encore de petits agriculteurs dans notre pays, c’est qu’ils survivent contre toute attente…

La situation est très, très mauvaise pour les coopératives, mais un agriculteur seul ne peut pas résister au racket des intermédiaires. Les prix qu’ils proposent sont ridiculement bas. Dans le même temps, les prix de certains produits en magasin sont presque les mêmes qu’aux États-Unis.

Pendant la période soviétique, la ferme collective locale, qui regroupait également deux villages voisins, exploitait trois fermes laitières, une étable à veaux, plus d’une douzaine de champs où l’on cultivait divers légumes et céréales, un centre médical, un club, une bibliothèque, une école primaire et un magasin.

J’écris ces lignes et j’ai les larmes aux yeux, car tout a été détruit, abandonné et vendu.

Il s’avère donc qu’il est impossible de vivre de la terre avec la main-d’œuvre rurale. C’est pourquoi les fermes qui fonctionnaient parfaitement en URSS sont en ruines et les champs sont envahis par les mauvaises herbes. C’est l’horreur et la douleur de ce pays. Et quelles sont les perspectives de développement du village dans cet état ? Certaines perspectives n’existent qu’à proximité des grandes villes riches, où il y a des terrains pour des maisons de campagne ou la possibilité de travailler à distance.

Cependant, dans tous les cas, il n’y a tout simplement PAS d’infrastructure sociale pour une telle vie. Aucune. On comprend pourquoi les gens s’installent dans les grandes villes, où il y a des opportunités pour les jeunes, les enfants et les personnes âgées. Cependant, un grand nombre de personnes seraient plus heureuses de vivre dans de petites villes et villages s’il y avait les conditions pour une vie normale.

Du côté positif, la plupart des gens vivent mieux (par rapport à l’époque de l’URSS). Beaucoup ont de très belles maisons, presque toutes les maisons ont une voiture (voire deux). La ville de Luga est en cours de rénovation, elle devient plus propre et plus « soignée ». Malheureusement, nos routes sont toujours dans un état déplorable.

Peter Turchin

Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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