Ingratitude:
1953, la Grèce aide l’Allemagne
2010, l’Allemagne enfonce la Grèce

Par Einar Schlereth – le 31 janvier 2015 – Source vineyardsaker

C’est bizarre la façon dont l’Allemagne reprend les pires traits des Etats-Unis. Tout promettre et tout oublier immédiatement. Bon, naturellement, je ne pense pas à tous les Allemands – bien que je sois certain qu’il y a assez de gens chez nous qui approuvent cette attitude du gouvernement. Ici, je ne veux pas parler de dette de gratitude – ce serait vraiment trop demander – mais du comportement dégueulasse par en dessous, qui répond à de bonnes actions par des coups de pied.

1953: la grèce annule la dette de l’Allemagne

Hermann Josef Abs signe l’annulation de la dette allemande à la Grèce en 1953. Photo dpa

Ainsi donc, la Grèce a aidé l’Allemagne à réaliser son miracle économique. La Russie a aidé l’Allemagne pour sa réunification. Et comment c’était avec la Yougoslavie, qui a pardonné à l’Allemagne de l’avoir attaquée? Cela se fondait sûrement sur la formule creuse « plus jamais de guerre à partir du sol allemand et certainement pas de guerre d’agression ». Hahaha. Des clous. L’Allemagne a donné le départ de la joyeuse partie de chasse en reconnaissant la Croatie, où, en même temps, on installait ses vieux amis fascistes oustachis au gouvernement.

Et par rapport à la loi fondamentale allemande, qui stipule qu’on ne peut pas livrer des armes à des pays en guerre, on pourrait poser la question aux Palestiniens, aux Timorais, aux Irakiens et aujourd’hui à la population du Donbass. Eh oui, ce n’est pas pour rien que l’Allemagne occupe le troisième rang des plus grands producteurs d’armes au monde. Pas de réparations, mais des coups de poignard dans le dos.

Mais revenons aux Grecs. Vous apprendrez plus loin comment on en est venu à cette histoire. Mais n’oubliez pas que c’est un article de la Frankfurter Rundschau [grand quotidien allemand], qui n’est pas très pointilleuse avec la vérité. Et qui ne peut pas non plus s’empêcher de se faire couillonner par les États-Unis – «sich… an die USA anzuschmieren» – à chaque occasion. Ici aussi, de nouveau. Ne le prenez pas trop au pied de la lettre, avec le Merci aux USA et le plan Marshall. A ce sujet, il y aurait énormément à dire.

Mais un autre passage m’a particulièrement frappé:

« La question des réparations aux pays occupés par l’Allemagne nazie ne faisait pas partie de l’Accord sur les dettes allemandes de 1953. Parmi celles-ci figurait aussi la compensation des dettes du Troisième Reich qui, selon Titschl, représentaient 100% de la production économique de l’année 1938. Ces paiements devaient être réglés dans un accord de paix après la réunification. Cela aussi devait se révéler une aubaine pour l’Allemagne. Car la question des réparations a été omise dans le Traité deux plus quatre [nom officiel : Traité portant règlement définitif concernant l’Allemagne, NdT], et par conséquent les droits sont réputés irrécouvrables. »

C’est pas beau ça? Une aubaine, comme dit la Frankfurter Rundschau. Normalement, on appelle ce genre de choses escroquerie ordinaire.

Maintenant, chers Grecs, prenez votre crayon et biffez vos dettes envers l’Allemagne d’un trait épais. On vous a montré comment faire. On oublie les dettes et ensuite, elles sont réputées irrécouvrables. Et ne vous laissez pas intimider par ces bouledogues de Berlin. Ce qui vaut pour les jars vaut aussi pour les oies, comme dit le proverbe. Que doit donc faire Berlin? Peut-être tenter de mettre la main dans la poche d’un homme nu. Ou alors envoyer l’armée? C’est peu probable, car celle-là doit prochainement aider ses amis fascistes en Ukraine et s’affronter aux Russes. La Bundeswehr doit s’y préparer soigneusement et surtout s’habiller chaudement.

Ignorez tout simplement les criailleries de Berlin, mettez votre casque et écoutez Theodorakis.

Et maintenant je demande à tous mes lecteurs grecs de traduire ce qui suit le plus rapidement possible, afin que vos compatriotes aient des allumettes pour mettre le feu aux fesses de tous ceux qui veulent vous détourner de la voie souveraine de votre indépendance politique et économique. Faites particulièrement attention aux chevaux de Troie infiltrés depuis l’étranger dans le pays, ainsi qu’à la cinquième colonne dans vos rangs. Et pensez-y : vous avez maintenant une chance et si vous la foutez en l’air, elle ne reviendra pas de sitôt. Tout cela, vous devriez l’avoir appris de votre propre peuple et de tous les autres.

Et maintenant, voici l’article de Stephan Kaufmann, que Hartmut Bart-Engelbarth a le mérite d’avoir publié (en allemand): Wie Griechenland bei der Rettung Deutschlands half [Comment la Grèce a contribué au sauvetage de l’Allemagne, par Stephan Kaufmann]

Après la Deuxième Guerre mondiale, 65 États ont effacé une grande partie des dettes de la République fédérale allemande, et parmi ceux-ci, la Grèce. Cette annulation a rendu le miracle économique allemand possible.

Les négociations sur un allègement de la dette pour la Grèce en sont au dernier tour. Les créanciers d’Athènes doivent renoncer à 100 milliards d’euros. C’est une gigantesque faillite. Pour trouver un allègement similaire, il faut remonter 59 ans en arrière. A l’époque, le bénéficiaire était la République fédérale allemande. L’Accord de Londres sur les dettes allemandes de février 1953 – dans lequel la Grèce a aussi renoncé à son dû – a permis l’ascension économique de l’Allemagne de l’Ouest.

Le ministre des Finances Fritz Schäffer avait averti le responsable des négociations Hermann Josef Abs: en négociant le règlement des anciennes dettes, il assumait une tâche ingrate. « Monsieur Abs, a dit Schäffer, si vous échouez, vous serez pendu à un poirier, et si vous réussissez, à un pommier. »

Aujourd’hui, c’est clair: la République fédérale a remporté un succès extraordinaire, offert par les États-Unis. « L’Allemagne doit son actuelle stabilité financière à l’Amérique, qui a renoncé à beaucoup d’argent après la Première et après la Deuxième Guerre mondiale », affirme Albrecht Ritschl, historien de l’économie à la London School of Economics. D’une part, il s’agissait en 1953 de dettes d’avant guerre contractées à l’étranger, qui consistaient en grande partie en dommages de guerre de la Première Guerre mondiale, qui n’avaient pas été versés.

Déjà dans les années 1920 et 1930, les créanciers avaient réduit leurs prétentions sous la pression des États-Unis. L’Allemagne ne pouvait cependant pas payer, et le gouvernement a cessé pour l’essentiel de servir la dette à partir de 1933.

L’Accord de Londres réduit les dettes de l’Allemagne

L’Accord de Londres a d’abord réduit la dette d’avant-guerre de 15 milliards de marks, dans la mesure où les créanciers ont renoncé aux intérêts, dont le paiement était interrompu à partir de 1934. Il restait quand même environ 14 milliards à payer auxquels s’ajoutaient les emprunts d’après-guerre pour quelque chose comme 16 milliards de marks. En tout, cela faisait une créance de 30 milliards, par rapport aux 70 milliards que produisait l’économie allemande. Mais les contraintes qui en résultaient étaient « impossibles à satisfaire », a soutenu Abs.

Les 65 États créanciers avaient compris. A la fin, ils ont consenti au successeur du Troisième Reich une réduction de 50% de la totalité de la dette extérieure. A cela s’ajoutait la baisse massive des intérêts. Pour comparer: l’ensemble des dettes extérieures de la Grèce ne devrait baisser que de 18% au cours de la réduction actuellement en négociation. L’accord impliquait encore d’autres avantages. Le remboursement de la dette avait été étalé jusqu’en 1988.

Contrairement au cas de la Grèce, la remise de la dette n’a pas été soumise à l’application de programmes d’économies, mais prévoyait des mesures de soutien à la croissance économiques. Elles garantissaient à l’Allemagne la capacité de couvrir ses remboursements grâce à ses recettes à l’exportation et non – comme aujourd’hui Athènes – par de nouvelles dettes. Les remboursements exigés par l’étranger n’ont jamais représenté plus de 3,5% des recettes annuelles provenant des exportations allemandes. En comparaison, Athènes a dû dépenser en 2011, rien que pour les intérêts, environ 11% de ses recettes d’exportation.

Dernière tranche en 1988

En Grèce, la crise et les mesures d’économie ont conduit à une contraction catastrophique des performances économiques. Du coup, Athènes ne peut pas répondre aux exigences de l’Union européenne et du Fonds monétaire international (FMI) – elle est donc contrainte par le FMI et l’UE à des économies toujours plus drastiques. Cela n’aurait pas pu se passer en République fédérale : l’Accord stipulait que « le plan ne devait pas déséquilibrer l’économie allemande ».

Cela a marché. Propulsée par les aides du Plan Marshall et le boom économique de l’après-guerre, la performance économique ouest-allemande après la réduction de la dette a augmenté chaque année entre 8 et 9%. Après l’entrée en vigueur complète de l’Accord en 1958, les dettes sont tombées à 6% de la production économique. En 1988, la dernière tranche a pu être remboursée.

Ce succès était avant tout l’œuvre du gouvernement états-unien – qui pourtant poursuivait ses propres objectifs : l’Allemagne de l’Ouest devait être construite comme l’État qui se trouvait en première ligne de la guerre froide. En outre, Washington, qui à ce moment-là faisait la guerre en Corée, espérait qu’une République fédérale réarmée pourrait participer à la lutte contre le bloc de l’Est.

La question des réparations aux pays occupés par l’Allemagne nazie ne faisait pas partie de l’Accord sur les dettes de l’Allemagne de 1953. Parmi celles-ci figurait aussi la compensation des dettes du Troisième Reich qui, selon Titschl, représentaient 100% de la production économique de 1938. Ces paiements devaient être réglés dans un accord de paix après la réunification. Cela aussi devait se révéler une chance pour l’Allemagne. Car la question des réparations a été omise dans le Traité deux plus quatre [nom officiel : Traité portant règlement définitif concernant l’Allemagne, NdT], et par conséquent les droits sont réputés irrécouvrables. « Seuls de petits montants ont été payés », selon Ritschl.

Au milieu des années 1990, quelques Grecs ont toutefois fait une nouvelle tentative. Les héritiers des habitants du village de Distomo assassinés par les SS ont poursuivi l’Allemagne en justice pour obtenir des dédommagements. La plus haute cour de justice grecque leur a donné raison en mai 2000. Mais le gouvernement fédéral est intervenu : les personnes privées ne peuvent pas porter plainte contre les États, cela viole le principe de l’immunité étatique. Le ministre grec de la Justice a refusé d’exécuter le jugement et a mis en place un tribunal spécial. Peu de temps après, la Grèce a été intégrée à la zone euro. Le recours des héritiers de Distomo a été rejeté en septembre 2002. Jeudi dernier, une plainte des survivants du massacre perpétré en 1944 à Civitella, en Toscane, a été déboutée.

Les étapes de la crise de l’euro

Les effets de la crise s’atténuent en 2009, et la crise de l’euro déboule sur l’Europe. En octobre 2009, le gouvernement grec corrige considérablement à la hausse les données sur les dettes de l’État. L’euro s’effondre. 25 mars 2010 : l’Eurogroupe accorde à Athènes un paquet de crédits d’aide, le FMI participe. Une task force sous la direction du président du Conseil de l’UE Herman Van Rompuy est instituée pour réformer le Pacte de stabilité. 23 avril 2010 : la Grèce demande le plan d’aide. Les dettes du pays sont en hausse, elles ont grimpé à 300 milliards d’euro. C’est vite clair : les Hellènes ne pourront pas se sauver seuls.

Einar Schlereth

Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF