Ingérence des groupes de pression américains en Thaïlande, source d’inquiétude pour toute l’Asie

La nature décomplexée du lobbying états-unien et son ingérence dans les affaires thaïlandaises sont un avertissement de la plus haute importance pour le reste de l’Asie...

Par Tony Cartalucci Le 24 avril 2016 Source New Eastern Outlook


Dans son article intitulé Yingluck nie toute participation de Thaksin, le journal Bangkok Post fait référence au dictateur thaïlandais soutenu par les États-Unis Thaksin Shinawatra, destitué par un coup d’état militaire au terme de presque deux mandats présidentiels passés à piétiner les principes d’un état de droit, ainsi que la vie quotidienne du peuple thaïlandais ; l’article affirme que Thaksin s’est appuyé intensivement sur des groupes de pression étrangers pour tenter de revenir au pouvoir. 


Au cours de sa lutte pour revenir au pouvoir, il a placé plusieurs de ses lieutenants à sa place, en particulier son beau-frère Somchai Wongsawat, qui fut Premier ministre en 2008, ainsi que sa propre sœur Yingluck Shinawatra, qui fut Premier ministre de 2011 à 2014, avant d’être destituée par un nouveau coup d’état.

Au sujet des efforts de lobbying du clan Thaksin, l’article explique:

Le conseiller juridique de Thaksin, Noppadon Pattama, a réfuté cette accusation, déclarant que Thaksin n’avait pas engagé de groupes de pression, et n’est pas celui qui tirerait les ficelles, derrière les critiques de la junte militaire au pouvoir par des gouvernements étrangers ou des organisations internationales.

Madame Yingluck a confirmé vendredi les dires de monsieur Noppadon :

«Je suis convaincue que chaque pays prend en compte tous les faits et écoute les explications de toutes les parties en présence avant de prendre une décision. Un pays ne se fait pas dicter ses décisions par des groupes de pression. La vie en exil à l’étranger est suffisamment compliquée pour Thaksin, et il est hautement improbable qu’il soit celui qui manigance de telles opérations.»

Toutefois, aussi bien les déclarations de Pattama que celles de Yingluck Shinawatra sont des mensonges avérés, qui plus est aisément vérifiables. Selon la loi américaine, tout groupe de pression aux États-Unis doit s’enregistrer dans la base de données de la Chambre des représentants des États-Unis, appelée Déclaration de lobbying. Lorsqu’on entre Shinawatra dans le moteur de recherche du site, 49 résultats apparaissent, datant de 2006 lorsque Thaksin fut destitué, jusqu’à un résultat récent datant de 2016.

Ceci démontre que les déclarations de Pattama et Yingluck sont des mensonges patentés, et constituent une preuve supplémentaire de la nature de leur objectif et des moyens employés pour y parvenir, tout en faisant toute la lumière sur la raison pour laquelle le gouvernement actuel se bat aussi férocement pour empêcher cette machine de guerre politique de revenir au pouvoir.

Les groupes de pression soutenant la machine de guerre politique de Thaksin depuis 2006 sont Amsterdam & Peroff, Baker Botts, Barbour Griffith & Rogers (BGR), et Kobre & Kim. Les moyens employés sont notamment la coordination d’une agitation politique en Thaïlande par le biais d’ONG financées par le Ministère des affaires étrangères américain, et la diffusion d’une propagande positive dans les médias occidentaux, qui décrivent Thaksin, sans preuve à l’appui, comme un défenseur de la démocratie, et ceux qui l’ont destitué comme des anti-démocrates et des dictateurs, un ingrédient aussi essentiel que récurrent, dans la recette désormais connue de Washington du changement de régime.

En réalité, l’utilité que peut avoir Thaksin dans la défense d’intérêts particuliers de Wall Street et de Washington, est la seule raison pour laquelle il est soutenu par les États-Unis. Il a notamment fourni l’appui de l’armée thaïlandaise dans l’invasion illégale et l’occupation de l’Irak, accueilli sur le sol thaïlandais un infâme programme de la CIA d’extradition ou restitution extra-judiciaire [programmes de torture par procuration, NdT], et tenté de faire passer en force un très impopulaire accord de libre-échange américano-thaïlandais en 2004.

Thaksin, un multirécidiviste des attaques contre les droits de l’homme dans son pays, s’est maintenu au pouvoir non seulement grâce à l’aide de soutiens étrangers, mais également à l’aide d’une campagne d’intimidation, de violences, d’enlèvements, d’assassinats et de terrorisme. En 2009 et 2010, il a essayé de prendre possession des rues de Bangkok à l’aide de voyous acheminés en bus depuis tout le pays. En 2010, ces bandes de voyous incluaient 300 terroristes lourdement armés, agitant des AK47, des M16, des grenades et même des lance-roquettes. L’insurrection qui s’ensuivit fit presque 100 morts, et culmina dans une orgie de violence, du fait de ces supporters et autres mercenaires.

On comprend aisément pourquoi le peuple thaïlandais et l’armée ont été si enclins à destituer Thaksin et à l’empêcher, lui et ses hommes de paille, de revenir au pouvoir. A la lumière de son utilité aux intérêts occidentaux lorsqu’il était au pouvoir, il est aussi facile de comprendre pourquoi il a été capable de rassembler une capacité de lobbying si forte autour de lui.

Il ne s’agit pas tant d’un criminel milliardaire qui se paye la protection des États-Unis, mais plutôt des États-Unis s’offrant un pantin en Thaïlande. De toute les manières, l’existence de telles forces de pression autour de lui jette un sérieux doute sur la validité des critiques que les États-Unis, l’UE et l’ONU ont déversées sur la Thaïlande depuis qu’elle s’est débarrassée de Thaksin.

Même si les défenseurs de Thaksin en Thaïlande tentent d’expliquer que les États-Unis, l’UE et l’ONU seraient de toute façon très critiques de la Thaïlande sans l’existence d’intérêts privés en Occident, on peut là aussi démontrer que c’est un mensonge flagrant. Il suffit pour cela de se pencher sur les relations qu’entretiennent les États-Unis, l’UE et l’ONU avec l’Arabie saoudite, de loin le régime le plus dictatorial sur cette planète, coupable de monumentales violations des droits de l’homme , où l’on ne trouve même pas une tentative feinte de démocratisation. Malgré cette réalité, les États-Unis et l’UE vendent volontiers des armes à Riyad, lui dispensent un soutien politique inconditionnel, ainsi qu’une défense militaire par le biais de bases réparties le long de ses frontières, tout en offrant un soutien logistique aux opérations d’agression militaire saoudiennes contre ses ennemis dans la région.

Il apparait clairement que les États-Unis et l’UE ne s’embarrassent pas de principes, quand il s’agit de condamner des états pour de soi-disant violations des droits de l’homme et autres déficiences démocratiques, tout en excusant d’autres états qui font preuve des mêmes manquements, plaçant ainsi la realpolitik au-delà des principes démocratiques en question.

Il semble que ce soit la même mascarade qui se déroule dans le reste de l’Asie, où les groupes de pression et autres agitateurs financés par le Ministère des affaires étrangères américain, soutiennent les acteurs pro-américains un peu partout, de la Malaisie en appuyant Anwar Ibrahim, en Birmanie en soutenant Aung San Suu Kyi, mais aussi aux Philippines et au Laos, cherchant ainsi à effacer en Asie du Sud-est presque une génération de lutte pour rétablir l’indépendance nationale, vis-à-vis d’occupations et d’influences coloniales européennes et américaine qui ont perduré pendant des siècles.

La nature décomplexée du lobbying états-unien et son ingérence dans les affaires thaïlandaises sont un avertissement de la plus haute importance au reste de l’Asie. En l’absence de toute révélation de ces pratiques au grand public, et de condamnation de ces tentatives d’interférence extraterritoriale des États-Unis, le succès de cette campagne en Thaïlande assurerait aux pays voisins d’être les prochains dans la ligne de mire. C’est déjà le cas de la Birmanie.

Tony Cartalucci est un chercheur et essayiste en géopolitique, basé à Bangkok, travaillant en particulier pour le magazine New Eastern Outlook.

Traduit par Laurent Schiaparelli, édité par Wayan, relu par Diane pour Le Saker Francophone

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