Hongrie: prochaine station du Putsch-Express

Par Andrew Kahn – Le 25 janvier 2015 – Source Voice of America

Une fois, c’est une théorie du complot. Deux fois, c’est une coïncidence. Trois fois, et les gens commencent à se poser des questions. Quatre fois, et les dénégations polies commencent alors que la théorie du complot est devenue réalité néolibérale.

C’est comme ça dans les Balkans, en Europe centrale et de l’Est et dans les anciennes régions soviétiques. La Yougoslavie, la Croatie, la Tchétchénie, la Géorgie, l’Ukraine. À qui le tour? Le nombre a largement dépassé le chiffre quatre – celui des dénis polis. À ce point, il est vain de nier la conspiration, car elle n’est même plus dissimulée dans les têtes de charlatans casqués, elle est sous les yeux de tous; c’est-à-dire de quiconque a envie d’ouvrir les yeux sur ce qui se passe.

Les mots choisis de Victoria Nuland n’ont-ils pas suffi [fuck the EU]? Ni John McCain allant faire la fête chez les fascistes ukrainiens? Ni la duplicité permanente des discours de chaque responsable chargé de répéter en perroquet les principes de la démocratie conçue par le Machiavel géopolitique le plus antidémocratique qui soit? Alors que la duplicité et l’hypocrisie se mélangent dans le chaudron où mitonne le brouet de sorcières préparé dans la cuisine de Bruxelles et servi aux tables de Tbilissi, Kiev, Grozny, et maintenant Budapest.

Pourquoi Budapest? Pourquoi maintenant? Pourquoi la Hongrie? Peut-être George Soros voit-il ses jours comptés et a-t-il gardé son pays pour la fin [Soros est né à Budapest]. Une collusion avec les élites pour gouverner son propre pays. Il est assez ironique que les opérations de l’OTAN pour la liberté frappent aujourd’hui à la porte du pays de M. Soros. Ou peut-être, de façon moins conspiratrice – car qui veut colporter des complots? –, est-ce simplement la dernière salve dans la guerre destinée à prolonger la vie du pouvoir hégémonique États-Unis-Otan à l’agonie.

On se demande si les membres des usines à penser d’Europe et des États-Unis, lorsqu’ils cherchent le sommeil, se mettent à compter des Russes et des Chinois et tous les membres des pays du Sud, sautant par dessus des tas de dollars américains et d’euros en train de fondre rapidement. Un, le nationaliste russe, deux, les Chinois communistes, trois les scientifiques iraniens. Comme si un tambour battait le rythme, ils voient l’alliance de la Russie avec la Chine, de la Russie avec ses anciens alliés, de la Chine avec l’Afrique, l’Iran et l’Amérique du Sud – du monde avec lui-même, qui a cessé de se plier peureusement aux ordres des dirigeants (auto-promus) de la liberté après la Deuxième Guerre mondiale. Peut-être est-ce cela qu’ils voient lorsque leurs yeux se ferment sur leurs oreillers de plumes. Ils le voient et ils savent que le cauchemar est proche. Ils ont besoin d’une pilule. Une pilule nommée putsch, qui a sa propre marque de commerce, protégée par le droit d’auteur dont elle porte le sceau imprimé en gras : Société civile, Démocratie.

Mais je m’égare… pourquoi la Hongrie? Il y a quelques années seulement, le premier ministre Viktor Orban était en passe de devenir le chéri de Washington. C’était un centriste de droite, du genre dont les opinions sur les migrants feraient la fierté des républicains xénophobes, mais il était suffisamment d’accord avec l’Union européenne et le capitalisme mondial lorsqu’il s’agissait d’économie et de politique étrangère. Il était notre pote, sur lequel on pouvait compter pour servir de rempart contre une éventuelle montée en puissance de la Russie de Vladimir Poutine. Mais le temps a passé, et nous nous retrouvons à la mi-vingtaine du siècle nouveau avec l’Union européenne en chute libre, minée par l’effondrement de son économie, et des nations européennes de l’Ouest coincées entre des libéraux empotés et des droitiers xénophobes. Et pendant que le temps passait, le premier ministre Orban a décidé de regarder dans quel sens soufflait le vent; il soufflait en direction du Kremlin. Les gouvernements de centre droit en Europe sont débordés sur leur droite, mais continuent servilement à respecter le paradigme de l’UE – un suicide lorsque le populisme d’extrême droite les traite, à juste titre (même si c’est fondé sur la fausse logique idéologique), de marionnettes de Bruxelles. Le soutien public à l’austérité n’est pas à la mode chez les cols bleus, les classes laborieuses d’Europe, il faut le dire, et Orban y a été sensible.

Ainsi, soit par désir de se maintenir au pouvoir, soit parce que son intérêt présent est d’aider son électorat chrétien de droite – que l’Europe avait laissé pourrir dans le nouveau monde du libéralisme postsoviétique –, Orban a décidé de passer du statut d’allié du seul Occident à la protection de sa mise à l’Ouest et à l’Est à la fois. Le tournant s’est peut-être déjà produit en 2012, lorsqu’il a renoncé à son rôle de marionnette pour rejeter les demandes du FMI (davantage sur ce sujet plus loin) et commencer à se rapprocher du président Poutine, devenu la dernière épine dans le flanc de l’OTAN. L’Occident s’était toujours opposé à la renaissance de la Russie – que ce soit en Tchétchénie ou en Géorgie –, mais le jeu s’était soudainement durci avec la décision du président Poutine que la Syrie ne serait pas perdue, que la Crimée serait réunifiée à la Russie et que la Russie résisterait une fois de plus à l’Ouest.

Cette décision d’Orban d’entrer dans l’orbite russe – qui inclut n’importe quel pays refusant d’avaler n’importe quelle attaque contre la Russie non fondée sur des faits – a fait de lui une cible. Non seulement Orban parlait à la Russie et essayait de suivre une voie non alignée, mais en plus il était favorable à ce croquemitaine qu’est le gazoduc South Stream projeté par la Russie – un pipeline qui traverserait un territoire que l’Occident ne contrôle pas totalement. Pour un ancien pays communiste, agiter ce drapeau rouge devant l’Occident était, évidemment, verboten [interdit]. Peu importe si la Hongrie avait toutes les raisons économiques d’être non alignée et si elle trouve un avantage économique là où elle le peut face à l’effondrement de l’UE. En realpolitik, être non aligné signifie coucher avec l’ennemi – l’Ours russe.

Certains peuvent trouver insignifiants les choix de la Hongrie – tant le réchauffement de ses relations avec la Russie que son soutien au South Stream –, mais pour les États-Unis, chaque petit pays, chaque petit leader, chaque petit groupe de rebelles qui s’oppose à son hégémonie est une menace à contrer, qu’il s’agisse de vrais rebelles ou d’anciens alliés, comme Orban, qui demandent simplement une petite marge de manœuvre hors du FMI et des diktats de Bruxelles. Et si on se demande honnêtement si un pays envisageant de devenir un partenaire économique de la Russie est considéré comme une menace, il suffit de se rappeler le destin de l’autre Victor – Victor Ianoukovitch d’Ukraine.

En effet, même avant le mouvement d’Orban en direction de la Russie, ce sont d’abord ses choix en ce qui concerne le secteur bancaire qui ont mis le monde international à l’envers – en tout cas le monde défini par les frontières de l’Europe et des États-Unis.

À la fin de 2011, le Parlement hongrois a voté pour des changements bancaires qui placeraient la Banque nationale sous un contrôle plus étroit du gouvernement élu et en vertu desquels les vice-présidents de la Banque seraient choisis par le premier ministre au lieu de l’être par le président de la Banque. Il faut souligner que c’était un vote à 293 contre 4, et pas simplement un vote dominé par la ligne du Fidesz, le parti d’Orban. Lorsque l’opposition hongroise se plaint qu’Orban exerce un contrôle dictatorial, souvenez-vous de ce chiffre : 293 contre 4. En outre, une fusion entre la Banque nationale et son régulateur financier a été approuvée à la même époque ; pour l’essentiel, la Hongrie a décidé de placer la Banque sous contrôle civil plutôt que de le confier à un leader impartial, qui, nous en sommes conscients, n’est souvent pas guidé par son impartialité, mais par sa soumission aux vœux du capitalisme international.

C’est à ce moment que la Banque centrale européenne (BCE) a commencé à exprimer des inquiétudes à propos de l’indépendance de la Banque nationale hongroise et du fait que l’année précédente, en 2010, Orban n’avait pas renouvelé un prêt du FMI, « optant plutôt pour un financement sur le marché et pour maintenir le FMI éloigné des politiques économiques du gouvernement ».[1]

Pour les représentants du capitalisme occidental, c’était clairement un camouflet et un signe troublant que la Hongrie dirigée par Victor Orban utilisait le FMI comme ça l’arrange, et non l’inverse. Orban avait décidé que les taxes sur le secteur bancaire et la nationalisation des fonds de pension privés étaient plus importantes que le renouvellement des prêts du FMI.

Les gardiens de la démocratie colportent à ce propos les éléments de langage usuels. Orban détruit la société civile, il réprime les ONG, il s’oppose à la démocratie libérale et devient un dictateur. Bien sûr, et ce n’est pas la moindre raison de ce baratin occidental, il y a la décision d’Orban de repousser les suggestions du FMI de réduire les retraites et de supprimer une taxe sur les banques. Il faut de nouveau rappeler qu’Orban n’est pas anti-FMI par nature – il a entamé des négociations avec cette institution –, mais il comprend qu’à un certain point, le fumier est tout simplement du fumier. Il l’a noté en 2012 à propos des conditions de prêt du FMI, qu’il a rejetées : l’accord « contient tout ce qui n’est pas dans l’intérêt de la Hongrie. ».[2] En 2013, le directeur de la Banque centrale de Hongrie, Gyorgy Matolcsy, l’a suivi en écrivant une lettre à la directrice générale du FMI Christine Lagarde, dans laquelle il lui demandait de fermer la représentation du FMI à Budapest, car ses services n’étaient plus nécessaires. [3] La Hongrie rembourserait intégralement le prêt du FMI avec un Adios écrit en gras sur le chèque final.

Un article de 2013 du New York Times note, à propos du directeur de la Banque nationale récemment nommé, Gyorgy Matolcsy, que «les économistes sont aussi préoccupés par le fait que M. Matolcsy cherchera à imiter la stimulation de l’économie, connue comme l’«assouplissement quantitatif» utilisé par la Réserve fédérale américaine ou la Banque d’Angleterre, qui est essentiellement une manière de pomper de l’argent dans l’économie [en faisant marcher la planche à billets]. Cela pourrait s’avérer périlleux, avertissent les économistes, dans un petit pays comme la Hongrie, qui ne peut pas se financer elle-même sans capital étranger».[4]

En résumé, au nom de la liberté et de l’indépendance bancaire, l’Union européenne, le FMI et la BCE cherchaient à conserver leur propre contrôle monopolistique sur la Hongrie et à perpétuer la dynamique maître-serviteur qu’ils promeuvent et appuient d’une main de fer dans la plus grande partie du monde en développement et post-soviétique. La décision de la Hongrie de rompre a été vue par l’Occident (un regroupement qui ne devrait pas être considéré comme incluant ses beaux-fils et belles-filles d’Europe centrale et de l’Est) comme synonyme de révolte. Comme l’article du New York Times le mentionne, la Hongrie cherchait l’autonomie et avait commencé à tracer une voie qui ne l’obligerait pas à souscrire aux prêts du FMI ou aux prêts indépendants des pays européens, auxquels elle avait commencé à opposer un refus poli.

Non seulement la Hongrie avançait vers son indépendance économique – malgré les protestations voulant qu’elle perde ainsi son indépendance – mais elle avait décidé consciemment, comme je l’ai dit plus haut, d’adopter une position non alignée vis-à-vis des relations entre l’Ouest et la Russie, qui se dégradaient rapidement. Stratégiquement placée près de la Russie et au cœur de la région de l’élargissement de l’OTAN, c’était, cela aussi, inacceptable. L’encerclement de la Russie par l’OTAN n’allait tout de même pas se heurter à un sale gouvernement populiste de droite en Hongrie.

Et voici que Victor Orban est passé des louanges du sénateur étatsunien John McCain, qui saluait en 2008 un « héros national dans le sens le plus original du terme », aux déclarations actuelles du même John McCain à propos de la Hongrie sous Orban : c’est-à-dire « une nation au bord de céder sa souveraineté à un dictateur néo-fasciste ».[5]

Après le réchauffement des relations avec la Russie, les taxes sur les banques, la nationalisation des fonds de pension, le rejet du FMI, la défense de la morale traditionnelle… tout ce qu’il resterait à faire à Orban pour s’aliéner ses anciens alliés serait l’envoi de troupes pour soutenir le Hezbollah ou de commettre quelque autre affront de ce genre.

Aujourd’hui, il n’existe aucun pays ni aucun dirigeant qui puisse tenter de se sortir des politiques néolibérales et de s’associer aux ennemis de la liberté de l’Occident sans être visé par ce que l’on doit appeler un changement de régime à défaut de terme plus diplomatique. Ainsi, la question qui se pose est de savoir qui en Hongrie voudrait prendre la responsabilité d’être le réformateur désireux d’empêcher la Hongrie de foncer tête première – et de plein gré – sur la voie d’une démocratie illibérale. Selon les mots d’Orban lui-même : « … le nouvel État que nous sommes en train de construire est un État illibéral, un État non libéral. Il ne refuse pas les valeurs fondamentales du libéralisme, comme la liberté, etc. Il ne doit toutefois pas faire de cette idéologie un élément central de l’organisation de l’État, mais pratiquer plutôt une approche nationale qui lui est propre. »[6]

C’est le point qui crée des difficultés aux États-Unis et à Bruxelles. Trouver un apparatchik néolibéral en Hongrie sera un tout petit peu plus difficile que ça l’a été en Ukraine. Tandis que l’Ukraine avait des néolibéraux qui n’avaient pas de scrupules à utiliser le contrôle fasciste et l’argent du Département d’État américain pour arriver au pouvoir, ce n’est pas aussi simple en Hongrie. La Hongrie a ses fascistes sous la forme du parti qui monte, le Jobbik [Mouvement pour une meilleure Hongrie], qui pousse Orban sur sa droite, un parti Fidesz, dont Orban est membre, qui esquisse une voie illibérale autoproclamée, un parti socialiste qui rassemble péniblement 10 % de voix, et plusieurs petits partis jouissant d’un soutien minimal.

À ce point, la tentative probable consistera à former une coalition de responsables de Fidesz qui reviendront, stipendiés, pour appuyer les politiques libérales de droite qu’Orban avait autrefois soutenues, d’électeurs ouvriers de Jobbik « relookés » pour la télévision, de lycéens apolitiques mais opposés à la corruption, de membres choisis au hasard et issus de la société civile aux contours mal définis et de technocrates capitalistes des plus précieux pour ficeler le tout. Les cols bleus comme escadrons de tocards luttant pour une utopie dystopique, où les technocrates de la société civile dirigeront les ouvriers à coups de pied dans les fesses au nom de la responsabilité fiscale. Bienvenue au FMI.

Et voici qu’entrent en scène les deux V : Zsolt Varady et Gabor Vago, l’un entrepreneur, et l’autre politicien technocrate.

D’abord nous avons M. Varady, l’entrepreneur capitaliste technocrate et fondateur du défunt site internet iwiw.hu. Si son nom ne vous dit rien, gravez dans votre esprit que ce nom faisait tranquillement le tour des rapports sur les manifestations en Hongrie au début de 2015.

Sur le plan politique, M. Varady est arrivé à (im)maturité en octobre dernier, avec son feuilleton judiciaire contre tous les partis politiques hongrois coupables du crime de « création et maintien d’un système de taxes qui contraint les entreprises à pratiquer la fraude et l’évasion fiscales ». Pas de vraies plaintes contre le démantèlement des programmes de protection sociale qui ont suivi l’effondrement du bloc soviétique. Non. Simplement une action en justice accusant les partis politiques de contraindre les entreprises à la fraude et à l’évasion fiscales. Parmi toutes les plaintes qui auraient pu être déposées devant les gouvernements hongrois successifs, M. Varady a penché pour celle-ci.

M. Varady a indiqué que son but en recourant aux voies juridiques – dont il note qu’elles sont « d’importance secondaire… en comparaison des relations publiques connexes » – était d’améliorer la « morale fiscale ».[7] « Pour parvenir à un système fiscal optimal, l’État doit être radicalement réformé. Je ne peux pas le faire seul, a-t-il déclaré. Nous avons besoin de l’appui de secteurs importants de la société. Les activités de la société civile peuvent offrir la coordination dont nous avons tant besoin pour faire passer ces messages[8] Pour paraphraser, disons que le milieu des affaires n’aime pas les taxes d’Orban et que, par conséquent, la classe ouvrière – que nous appellerons société civile – sera au service de nos intérêts en étant la face démocratique de nos plans de changement du code des impôts au profit d’une minorité.

Un premier point donc en faveur de M. Varady aux yeux de l’Ouest et du FMI. Réformer le code des impôts. Et maintenant, qu’en est-il de ses projets politiques? Est-il un idéaliste qui veut promouvoir un programme politique éventuellement en conflit avec un soutien étranger à un putsch contre Orban ? Pas du tout. En effet, il promeut comme étape suivante de sa politique la création d’un « site internet qui aide les gens à organiser la société civile », qui sera financé de manière « participative ». Et c’est là que ça se corse: « Peut-être pourrons-nous aussi recevoir de l’aide de fondations étrangères, et il est probable que des émigrés hongrois donneront aussi un coup de pouce. »[9]

On peut voir l’engrenage tourner dans les yeux de M. Varady. Lui, l’homme des récentes manifestations de la société civile en Hongrie. Lui, l’homme au statut de chevalier blanc qui peut faire le pont entre tous les groupes nécessaires pour apporter la démocratie à la Hongrie et libérer la société civile du fascisme. La stratégie de la contestation de rue menée par la société civile est classique, qui peut s’opposer aux désirs des citoyens? Mais gardez le commentaire ci-dessus à l’esprit. « Nous » – il veut parler de sa classe d’entrepreneurs néolibéraux qui recherchent l’aide de fondations étrangères – « avons besoin de l’appui de secteurs importants de la société », qui constitueront « la couverture pour ces messages ». Oui, mes amis, les images de la société civile seront diffusées pendant que les véritables intentions resteront cachées. Le but, comme M. Varady l’indique, sera de jeter de « nouvelles fondations » sous la direction « d’équipes d’experts engagés compétents dans leur domaine respectif » [10], autrement dit, des technocrates malléables.

M. Varady se situera à l’opposé d’Orban : un gentleman non élu, pro-occidental, qui veut simplement aider la société civile contre un élu faisant figure de Mussolini des temps modernes, comme l’a décrit Newsweek. [11] M. Varady permettra d’inverser la soi-disant Poutinisation de la Hongrie et de faire revenir la nation à une démocratie au qualificatif trompeur de libérale .

De peur que quelqu’un ne pose la question à M. Varady sur sa bonne foi lorsqu’il se déclare prêt à la lutte, il a planté le décor de l’usage de la force en soulignant, malgré l’absence d’exemples concrets, que « l’establishment (lire : le gouvernement Orban) ne comprend que le langage de la force ».

Gabor Vago n’est pas en reste par rapport à M. Varady. Un technocrate au visage encore frais, mais apparemment fatigué de la politique. Il a décampé du parti La politique peut être différente (LMP) au début de 2014 après de prétendues bagarres internes. Comme M. Varady, il est convaincu que la politique est apparemment déclassée et qu’un mouvement non partisan est indispensable. L’antipolitique est le modus operandi de ces personnages de la société civile et joue ce jeu à la perfection dans les mains d’influences extérieures qui vont utiliser la feinte de l’antipolitique pour pousser à ce qui, finalement, devient un putsch purement économicopolitique.

Dans une interview donnée à l’hebdomadaire économique Figyelo, Gabor Vago a repris de nombreux points présents dans le discours de M. Varady. Parlant d’une manifestation qu’il avait organisée en décembre et qui comprenait un concert punk – qu’il a désigné comme un métamessage –, M. Gabo a souligné qu’elle avait pour but de promouvoir « un changement dans l’attitude de l’autorité fiscale » [12] en utilisant le mécontentement diffus des manifestants pour donner de la force à la protestation de rue.

Interrogé sur la prochaine étape, M. Vago a répondu : « L’accent devrait graduellement porter sur la construction de communautés…  Avec le temps, ces microcommunautés pourront former un réseau. » [13] En raison peut-être de son passé politique, M. Vago a été moins prudent que M. Varady en parlant du besoin de pouvoir. Interrogé à ce sujet, il a répondu : « C’est vrai, un changement exige du pouvoir. Mais cela ne deviendra une question pertinente que plus tard. » Lorsqu’on lui a demandé. « Quand ? », il a répliqué : « Peut-être dans une année, peut-être dans trois ou sept ans. Il faut attendre le moment opportun. » [14]

Comme nous l’avons déjà mentionné, l’amalgame que constitue le mouvement de résistance exige la présence de technocrates, ce que M. Vago a lui-même noté, sans prononcer le mot technocrate.

« Tout changement des élites exigerait la participation d’experts. Nous avons besoin du soutien de gens qui ont pris part à la transition (du communisme au pluripartisme), mais pas nécessairement en tant que politiciens. Des gens qui ont prouvé leurs talents dans quelque domaine que ce soit et qui pensent que le régime actuel n’est pas viable. Des gens qui pensent que leur intégrité les met dans une position défavorable et qui souhaitent faire de la Hongrie un pays où il est possible d’être à la fois honnête et compétitif. Construire à partir de la base ne signifie pas que nous nous organisions seulement dans des associations d’étudiants et des romkocsma (pubs d’artistes alternatifs). Nous voulons nous rapprocher des gens de toutes les couches de la société, depuis les hauts dirigeants jusqu’aux travailleurs agricoles non qualifiés. » [15]

Dans la même interview, il a été interrogé sur la manière dont ces groupes seraient coordonnés :

« Question : Pendant les manifestations contre la taxe sur internet vous étiez heureux d’avoir mobilisé des jeunes gens qui n’avaient pas encore été touchés par la politique. Mais après seulement quelques semaines, seule une petite partie de ces jeunes est descendue dans la rue. Comment pouvez-vous convaincre des gens qui ne s’intéressent que peu à la politique de participer à des démarches de longue haleine?

Réponse : Nous avons besoin d’identifier les leaders d’opinion dans les groupes existants et de les former à la gestion de ces communautés. Une fois que nous aurons gagné à notre cause ces leaders d’opinion, ils feront venir leurs amis et les amis de leurs amis. Notre objectif n’est pas les manifestations en tant que telles, mais plutôt la création d’une communauté politique démocratique dans toute la Hongrie. » [16]

Globalement, il y aura une élite politico-technocratique qui supervisera l’organisation et l’émergence dans la société de leaders d’opinion encore mal définis qui formeront les gens à diriger des communautés de la société civile. En théorie, cela sonne merveilleusement bien – la société civile ayant ses droits. Maintenant, si on met la rhétorique de côté, il faut regarder le bilan des bouleversements démocratiques téléguidés par l’Occident. L’image, nous le savons, n’est pas très belle à voir, ni en Géorgie, ni en Ukraine ni ailleurs dans la région.

La Hongrie est le prochain pays à devoir subir le changement démocratique apporté par les vents du National Endowment for Democracy états-unien, changement qui s’accompagnera d’une touche de tactiques de déstabilisation tirées du manuel CANVAS de Srda Popovic. [17]

La question n’est pas tellement de savoir « si » la Hongrie subira les foudres de Washington et de Bruxelles, mais plutôt « quand » cela se produira.

Une fois, c’est une théorie du complot. Deux fois, c’est une coïncidence. Et maintenant, c’est devenu la réalité.


[1] http://www.aljazeera.com/news/europe/2011/12/201112316843684157.html
[2] http://www.bbc.com/news/world-europe-19514325
[3] http://www.spiegel.de/international/europe/hungary-calls-on-imf-to-close-its-budapest-office-a-911250.html
[4] http://www.nytimes.com/2013/03/02/business/global/selection-of-hungarian-bank-chief-raises-fears.html
[5] http://budapestbeacon.com/politics/senator-john-mccain-calls-viktor-orban-neo-fascist-dictator/
[6] http://budapestbeacon.com/public-policy/full-text-of-viktor-orbans-speech-at-baile-tusnad-tusnadfurdo-of-26-july-2014/
[7] http://www.budapesttelegraph.com/news/814/zsolt_varady_on_demonstrations_and_plans_for_a_civil_website
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] Ibid.
[11] http://www.newsweek.com/hungarys-mussolini-vows-make-eu-member-illiberal-state-262127
[12] http://www.budapesttelegraph.com/news/830/“our_goal_is_a_democratic_political_community_”_an_organizer_of_demos_says
[13] Ibid.
[14] Ibid.
[15] Ibid.
[16] Ibid.
[17] http://www.occupy.com/article/exposed-globally-renowned-activist-collaborated-intelligence-firm-stratfor

Traduit par Diane, relu par Jacques B. et jj pour le Saker Francophone

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