Haro sur le Venezuela


Par Stratediplo – Le 1er mars 2019 – Source stratediplo

On s’interroge sur les tenants et les aboutissants de l’imminente entrée en guerre des États-Unis d’Amérique contre le Vénézuéla.

Tout d’abord il faut remarquer que l’intention n’est pas nouvelle. On aurait des difficultés à recenser toutes les tentatives de coup d’État interne ou par des acteurs formés à l’étranger, de déclenchement de conflit frontalier, de déstabilisation post-électorale ou de provocation de soulèvement populaire, depuis une vingtaine d’années.

Envers ce pays les intentions des États-Unis sont plus constantes, par exemple, qu’envers l’Iran ; l’Irak ; la Corée du Nord ; la Libye ou d’autres puissances moyennes disposant d’alliés ou de moyens de rétorsion, ce que le Venezuela n’a pas. De plus les États-Unis peuvent toujours compter sur la rivalité voire l’inimitié traditionnelle du voisin occidental [la Colombie], dont ils continuent de contrôler la politique même si leur soutien militaire au gouvernement légal n’est plus « justifié » par leur soutien secret à la guérilla communiste, soutien qu’avait prouvé notamment le président Alberto Fujimori du Pérou – par lequel transitaient les armes étasuniennes destinées aux Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

Comme toujours, la politique des États-Unis est dictée par leurs intérêts économiques, à savoir la promotion et le soutien du dollar qui assure leur free lunch. Contrairement aux conclusions superficielles des journalistes, le pétrole n’intéresse pas directement les États-Unis, qui ne l’importent pas de ce pays et ne sauraient réalistement l’envisager. Pour mémoire en Irak l’une de leurs premières opérations, après l’abandon de la cotation du prix du pétrole en euro – motif réel de l’agression – et le rétablissement de sa cotation en dollar, fut non pas l’accaparement mais la destruction de la capacité de production pétrolière, pas encore restaurée quinze ans plus tard.

Là comme ailleurs ce qui intéresse les États-Unis est la déstabilisation des producteurs et donc du marché international du pétrole par l’introduction de facteurs de chaos ou de risques de réduction soudaine de la production mondiale. Pour mémoire, eux-mêmes ne paient pas leur pétrole au tarif Brent du marché international mais à un tarif privilégié, le West Texas Intermediate, négocié auprès du Mexique et du Canada. Avec la hausse des tarifs pétroliers payables évidemment – sous peine d’invasion – en dollars, le monde entier a besoin de toujours plus de dollars et doit donc exporter ses produits vers les États-Unis où sont « imprimés » – sous forme électronique et illimitée – lesdits dollars.

Il y a certes eu une suspension temporaire de cette politique de déstabilisation des marchés pétroliers, ou du moins de son orientation à la hausse des cours. En effet les États-Unis ont – régulièrement – déclaré la guerre à la Russie en mars 2014, en raison de son acceptation de la réunion de la Crimée, effrayée du programme de déportation des Criméens annoncé par le régime malorusso-galicien issu du coup d’État du 22 février en ex-Ukraine.

Dès lors, en complément du blocus économique de la Russie, les États-Unis ont sapé les cours du pétrole en achetant, et revendant, par le biais de leurs deux compagnies pétrolières installées en Turquie le pétrole volé à la Syrie par leurs supplétifs islamistes et acheminé en Turquie par la noria de milliers de camions, qu’interrompra finalement l’intervention russe en octobre 2015. Les cours mondiaux du pétrole ont été plus que divisés par deux, ce dont a évidemment souffert le premier exportateur mondial, la Russie, ainsi mise en difficulté économique.

Cependant cette politique de dommages à la Russie au moyen des cours pétroliers a montré ses limites. Tout d’abord la Russie a encore diversifié ses exportations, qui n’étaient d’ailleurs pas aussi monolithiques que les économistes étasuniens cherchaient à le croire et faire croire, et est redevenue un exportateur majeur, par exemple, de produits agricoles [hors OGM, NdT] grâce à une politique déterminée d’accroissement de sa production mais aussi de développement rapide d’une industrie de transformation agro-alimentaire. Accessoirement, elle a facilement augmenté ses exportations d’un armement plus moderne que celui de ses rivaux occidentaux, et qui a eu l’occasion de montrer son efficacité.

Et justement, le résultat inattendu des préparatifs de guerre contre la Russie a été, après le rétablissement du niveau de vie de sa population meurtrie par le choc économique initial, le développement de nouvelles générations d’armement dans à peu près tous les domaines, assurant au pays une supériorité qualitative durable puisque dans certains domaines l’état actuel de la technologie ne permet pas de concevoir de parade à ses armements – hypersonique par exemple.

D’autre part les armements russes modernes sont bien plus compétitifs et meilleur marché que les armements étasuniens périmés. Bien que le produit intérieur russe par tête soit encore, en termes de parité de pouvoir d’achat, inférieur de moitié à celui des États-Unis, et que la pression fiscale soit également inférieure – les États-Unis sont eux-mêmes un paradis fiscal en comparaison avec les autres pays développés notamment européens – l’État russe est un bien meilleur gestionnaire de fonds publics que les États-Unis où sévissent le gaspillage et la corruption institutionnelle [lobbying] pudiquement appelée « surfacturation » et dont un colossal exemple est le programme failli de l’avion F-35 [abondamment documenté sur le site du Saker Francophone, NdT].

Les mesures [de guerre] économiques de coercition fallacieusement appelées « sanctions » n’ont rien arrangé, et si en 2013 un dollar permettait d’acheter vingt fois plus d’armement en Russie qu’aux États-Unis, en 2019 il permet d’en acheter vingt-cinq fois plus. Il faut ajouter à cela qu’en se concentrant sur les programmes défensifs ou dissuasifs le gouvernement russe disperse moins son budget que les États-Unis dont les forces armées servent une stratégie agressive (porte-avions, bases à l’étranger…).

En fin de compte les États-Unis ont été obligés de constater – discrètement – l’échec et l’inutilité de leur politique d’affaiblissement de la Russie par la réduction forcenée des cours mondiaux du pétrole, et reviennent à leur politique, constante depuis 1971 hormis cette parenthèse 2014-2018, de poussée des cours à la hausse, au moyen de l’instabilité internationale, censée tirer la demande mondiale de dollars.

L’autoproclamation présidentielle de l’ex-président de l’assemblée nationale vénézuélienne au lendemain de sa révocation par la cour suprême et constitutionnelle a certainement été dictée par les pays qui n’attendaient que cela pour lui accorder leur reconnaissance officielle, et la retirer simultanément au gouvernement vénézuélien.

Mais la planification politico-militaire du conflit est antérieure, puisque certains pays membres de l’Union Européenne et de l’OTAN ont décidé dès l’année dernière d’enjoindre à leurs banques ne plus honorer les opérations interbancaires, par le système SWIFT, originaires ou à destination de toute banque filiale d’une banque vénézuélienne, et de spolier leurs clients.

Ainsi, il y a déjà six mois, à l’occasion d’une demande de virement entre deux banques, dont une filiale de banque vénézuélienne, des citoyens de pays membres du Mercosur se sont vus refuser l’acheminement, mais confisquer 23% du montant, par des banques européennes apparues comme « intermédiaires SWIFT » entre deux banques sudaméricaines, juridiquement personnes morales non vénézuéliennes enregistrées dans des pays hors Venezuela. La déstabilisation ou l’attaque du pays était donc déjà décidée, et connue de certains pays et de leurs banques, avant le prétexte de l’autoproclamation présidentielle de Juan Guaido.

Du côté des États-Unis la longue litanie des tentatives de coup d’État ou de déstabilisation s’est aussi accompagnée de mesures économiques de coercition s’apparentant à un véritable blocus économique, dont la population vénézuélienne a sévèrement souffert, la destruction de la monnaie locale et l’hyperinflation ayant amené la misère et la famine, avec pour seul avantage de ne laisser aucun doute sur le caractère humanitaire des intentions étasuniennes.

Le droit international n’ayant pas accepté de restreindre la souveraineté des États au nom d’un hypothétique « droit d’ingérence humanitaire » que la diplomatie française entendait instaurer dans les années quatre-vingt-dix, et le Venezuela ne menaçant aucun pays, la dernière manœuvre étasunienne a consisté à tenter d’obtenir un bain de sang sur la frontière colombo-vénézuélienne. C’était le rôle de l’incursion par effraction d’un convoi prétendu humanitaire mais escorté par des militants armés qui n’ont pas hésité à faire le coup de feu et à jeter des cocktails Molotov, contre la police des frontières tenue d’arrêter tout véhicule étranger cherchant à entrer clandestinement dans le pays sans visa ni soumission aux contrôles. La violation de la frontière par un tel convoi armé, qui plus est par une sorte de milice civile non identifiée ne portant pas l’uniforme de l’armée colombienne régulière – ce qui n’exonère pas la Colombie de sa responsabilité puisque ledit convoi venait de son territoire – ne pouvait être acceptée par un pays souverain.

Néanmoins il fut le prétexte à la saisine du Conseil de sécurité de l’ONU, compétent en matière de menace à la paix internationale, par le pays qui venait de menacer le Venezuela d’une agression armée, en l’occurrence les États-Unis, qui ont préparé un projet de résolution intimant au gouvernement du pays de révoquer son président élu et de convoquer des élections extraordinaires. Ce projet de résolution n’a aucune chance d’être accepté par le Conseil de sécurité mais permettra une fois de plus aux États-Unis de dénoncer une « obstruction »  russe, et de faire diffuser par les trois agences de presse monopolistiques de l’OTAN l’idée d’une « crise vénézuélienne » à résoudre, alors que c’est d’eux que vient comme d’habitude la menace à la paix internationale.

Les États-Unis n’obtiendront vraisemblablement pas d’appui militaire de leurs alliés européens dans cette campagne, et donneront un cachet multinational à leur entreprise grâce au moins à la Colombie, qui se prépare à ce conflit depuis des décennies, et à l’approbation diplomatique de quelque îlots caraïbes. Cette guerre présente peu de risques d’extension en Amérique, sauf volonté expresse de l’agresseur, et ne changera pas le monde.

Stratediplo

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