Par Konstantin Asmolov – Le 20 juillet 2016 – Source New Eastern Outlook
En plus des sanctions contre le gouvernement de Kim Jong-un, la Corée du Nord a été accusée d’un autre crime qui peut paraître plausible au citoyen moyen du monde civilisé. La traite des êtres humains !
Le Rapport annuel sur la traite des personnes, publié le 30 juin dernier par le Département d’État américain, place la Corée du Nord au troisième rang de son classement (fondé sur le degré auquel elle néglige le problème), pour la 14e fois de suite. Cette catégorie inclut des pays extrêmement défavorisés, qui ne répondent même pas au minimum des exigences de la Loi américaine sur la protection des victimes de la traite et de la violence et font donc l’objet de sanctions. Outre la Corée du Nord, il s’agit de l’Algérie, du Myanmar, de la Gambie, de Haïti, de l’Iran, de la Russie, du Soudan, de l’Ouzbékistan, de la Syrie et d’un grand nombre d’autres pays.
Le rapport établit que la Corée du Nord est un pays source pour les hommes, les femmes et les enfants qui sont soumis au travail forcé et au trafic sexuel : la situation terrible des droits humains à l’intérieur du pays contraint les citoyens nord-coréens à fuir à l’étranger, ce qui est une des raisons pour lesquelles le problème de la traite empire. Selon les données disponibles, environ 10 000 personnes ont fui la Corée du Nord. Elles aboutissent finalement en Chine, où beaucoup d’entre elles sont victimes d’enlèvements, d’esclavage sexuel et de travail forcé. En plus, les jeunes filles qui entrent en Chine avec des visas d’artistes (une sur huit d’entre elles est mineure) sont activement recrutées pour le service à la clientèle dans des restaurants en Chine. C’est rapporté par une autre source totalement anonyme connaissant la situation.
Il convient de rappeler que le rapport contient des informations sur les « camps de concentration », qui détiennent plus de 120 000 prisonniers politiques, qui se sont retrouvés là sans procès ni enquête pénale. Leurs conditions de détention sont terribles : ils sont soumis à la torture, aux abus sexuels et au travail forcé (évidemment, cette information vient de Shin Dong-hyuk et autres, pas de sources normales). De plus, les travailleurs nord-coréens en Chine et en Russie souffrent de conditions de travail pénibles et de maigres salaires, alors que Pyongyang ne prend aucune mesure pour résoudre les problèmes mentionnés ci-dessus.
En même temps, la Corée du Sud a été classée dans le premier groupe pour la 14ème année consécutive. Ce classement dans le premier groupe indique qu’un gouvernement fait des efforts pour traiter le problème et se conforme aux normes étasuniennes.
Voici un exemple très clair de double standard, lorsque toutes les tentatives sont mises en œuvre pour diaboliser le régime nord-coréen − compte tenu de ses caractéristiques spécifiques − aussi longtemps que ceux qui jettent des pierres paraissent bons. Ce n’est plus une surprise que les témoignages accablants viennent de sources anonymes (et le niveau d’exagération va de soi). Le nœud du problème est ailleurs.
La traite des êtres humains fait l’objet d’une définition spécifique, et il n’y a pas eu de preuve directe que les autorités nord-coréennes la pratiquaient. L’accusation est basée sur le fait que la Corée du Nord a un régime tellement épouvantable, que les gens fuient et deviennent victimes de traite. Cependant, les bandes criminelles qui contrôlent la traite des êtres humains ne sont ni composées d’agents de sécurité nord-coréens, ni dirigées par eux. Elles ne peuvent pas être directement liées au fait que des femmes franchissent la frontière de la Corée du Nord, puis finissent dans les bordels est-asiatiques.
La Corée du Nord ne pratique pas non plus, comme certains autres pays le font, l’exil forcé lorsqu’une personne est expulsée du pays, dans un délai de 24 heures sans moyens pour survivre. Dans de tels cas, la jeune fille jetée à la rue d’une autre ville par l’État pourrait bien être victime d’un crime, et donc la responsabilité incombe à l’État qui l’a jetée dehors. Mais il s’agit d’autre chose ici.
Même si on jette un filet considérablement plus large, envoyer des travailleurs à l’étranger, qui vivent ensuite dans de véritables casernes et envoient une partie de leur salaire au profit de leur pays d’origine, ne correspond pas encore à la définition de la traite des êtres humains. Après tout, les travailleurs retournent chez eux, et le salaire qui reste dans leur poche est suffisant pour vivre de toute façon. Par conséquent, travailler à l’étranger est vu comme une affaire bénéfique et rentable, pour rentrer dans la compétition ou pour avoir le CV adéquat qui permet de continuer. C’est totalement différent de la situation où l’État envoie de force ses travailleurs quelque part où les conditions de travail et de vie sont bien pires que dans leur pays d’origine. Si nous évaluons la situation avec les travailleurs nord-coréens, alors les immigrés vietnamiens ou tadjiks pourraient aisément être ajoutés à la même liste et leurs gouvernements faire l’objet de sanctions. Alors pourquoi eux n’en font-ils pas l’objet ?
Dans ce contexte, je voudrais attirer l’attention sur le Global Slavery Index [Index de l’esclavage mondial] publié le 31 mai par l’organisation australienne de défense des droits humains Walk Free Foundation. Sa définition des esclaves désigne les personnes qui ont été trompées ou forcées à s’engager dans une certaine forme de travail. L’inde a été classée première avec 18.4 millions de personnes. Après elle, les cinq premiers, qui représentent 58% de tous les esclaves du monde entier, sont la Chine, le Pakistan, le Bangladesh et l’Ouzbékistan. Cependant, en proportion de la population totale, la Corée du Nord a été classée première avec 4.37% (suivie par l’Ouzbékistan – 3.97%, le Cambodge – 1.6%, l’Inde – 1.4% et le Qatar – 1.36%). Les compilateurs de l’index notent aussi le bas niveau des efforts entrepris pour lutter contre ce problème au niveau gouvernemental.
La responsabilité d’une certaine action peut être soit symbolique, soit directe. Par exemple, le chef de l’État détient une responsabilité symbolique pour tout ce qui se passe sur son territoire, y compris, par exemple, un groupe criminel parmi les agents de sécurité. Il est cependant faux d’accuser le chef de l’État d’organiser pratiquement un tel groupe criminel, à moins qu’il y ait une preuve que lui ou elle ait détourné les yeux de ces criminels et de leurs actes. Sinon, si nous suivons la même logique, le président Obama pourrait être accusé de consentement tacite à la fusillade dans le club gay à Orlando.
Il est particulièrement intéressant dans ce cas, que les auteurs directs de la traite des êtres humains n’en soient pas incriminés. Tout le blâme retombe sur Kim Jong-un, mais pas sur les groupes criminels effectivement impliqués dans la tromperie des citoyens de Corée du Nord, qui les forcent à croire qu’ils choisissent la liberté, alors qu’ils échouent en fait dans des bordels étrangers. Assez souvent, ce sont des Chinois ou des Chinois coréens, contre lesquels le gouvernement chinois prend des mesures assez sévères pour les combattre, sans laver leur linge sale en public. Mais il y a des situations beaucoup plus complexes, où il s’avère que des représentants d’ONG sud-coréennes sont impliqués dans ces affaires. De cette manière, ils collectent des fonds supplémentaires pour le travail missionnaire ou de défense des droits humains.
À peu près 70% des transfuges sont des femmes. Cela coûte une certaine somme d’argent pour les faire sortir clandestinement, et si une femme ne vient pas d’une famille assez riche ou s’il est impossible de faire connaître publiquement sa fuite comme un choix de la liberté, alors elle peut payer les frais avec son corps. Comme l’auteur en a été informé par quelques collègues chinois, cette pratique est plus répandue que vous ne pourriez le penser – c’est seulement qu’il n’y a personne pour la dénoncer. Occasionnellement, des éléments de cette pratique émergent, quand encore un autre pasteur est arrêté en Chine ou en Corée du Nord, et que la traite des êtres humains est incluse dans la liste des charges contre lui. Et en Corée du Sud même, de nombreuses femmes réfugiées souffrent de la violation de leurs droits, sont victimes de violences domestiques ou sont recrutées pour l’industrie du sexe. Cela a été rapporté par Kim Hwa-sung, un employé de l’Institut Hanshin Eurasia à l’Université Hanshin, dans une communication lors d’un forum à ce sujet.
Même si ce n’était pas le but des auteurs de ce rapport, le Département d’État américain a souligné que ces données serviraient de base pour intensifier encore la pression sur le Nord avec des sanctions. Sauf qu’en réalité le nœud du problème de la traite des êtres humains réside ailleurs, et les médias sud-coréens le révèlent souvent. Voici un exemple typique de ce genre d’articles :
Les recettes de la Corée du Nord en devises étrangères augmentent sous Kim Jong-un, en raison du travail forcé à l’étranger. C’est révélé dans le rapport préparé par une équipe de chercheurs de l’Université de Leyde aux Pays-Bas. Il analyse le travail forcé des citoyens nord-coréens en Pologne. On estime qu’ils ont gagné un total de plus de la moitié du volume des échanges entre l’Union européenne et la Corée du Nord, atteignant le montant de 30 millions d’euros.
C’est exactement pour cela que l’hystérie croît hors de toute proportion. Le but principal de l’hystérie autour de la traite des êtres humains est de tarir la source en devises étrangères gagnées par les Coréens du Nord travaillant à l’étranger pour Pyongyang. Cependant, voyant qu’il n’est pas possible de couper simplement la source (il n’y a pas encore de résolution de l’ONU interdisant l’exportation de main d’œuvre), et que le thème des droits humains a été terni par le scandale de Shin Dong-hyuk, la recherche porte sur de nouvelles manières de faire souffrir la Corée du Nord.
Du coup, la question suivante se pose : quelle a été l’efficacité du nouveau paquet de sanctions, si les États-Unis et leurs alliés cherchent à les renforcer de toutes les manières possibles ? Cette question sera traitée dans un prochain article.
Konstantin Asmolov, docteur en Histoire, premier chercheur associé au Centre d’études coréennes de l’Institut pour les études sur l’Extrême-Orient de l’Académie des sciences de Russie, exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Catherine pour le Saker francophone
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