Dostoïevsky : l’argent c’est la liberté gravée dans le métal


Wolf Richter

Par Wolf Richter – Le 9 mai 2015 – Source 24hgold.com

« Le billet de banque, c’est de la liberté dans la poche » : la guerre contre l’argent liquide est officiellement lancée en Allemagne, elle séduit le G7 et nous prépare un avenir infernal.

C’est venu de quelqu’un qui est dans les petits papiers du gouvernement allemand. Peter Bofinger est membre du conseil allemand d’experts en économie – les Cinq grands sages de l’économie –, la fonction de ce dernier étant de fournir des avis au gouvernement et au parlement concernant les problématiques d’ordre économique. Et ces gens sont pris très au sérieux…

Donc, ce Bofinger a déclaré au magazine allemand Der Spiegel durant un entretien (disponible pour les abonnés) que le liquide [l’argent papier et les pièces de monnaies, NdT] devrait idéalement disparaître de nos porte-monnaie.

Au Danemark, une nouvelle loi a été proposée qui permettrait à des magasins de détail de pouvoir refuser les paiements en liquide. Officiellement, ce serait pour réduire les tracasseries administratives et de trésorerie dans la gestion de la caisse du magasin. Puisque c’est le commerçant qui décide d’appliquer cette règle ou pas, la loi semble inoffensive.

Mais elle représenterait en vérité une étape nouvelle vers un système faisant de l’argent une entité purement électronique, dont les mouvements peuvent être pistés de manière continue, où que l’on soit.

Cette loi tombe à pic. Une banque nationale danoise avait imposé un taux négatif sur les dépôts de l’ordre de -0,75%, avec l’intention de cravacher les épargnants et de confisquer leur argent tant que leur attitude n’évoluait pas, afin de limiter l’appréciation de la couronne danoise vis-à-vis d’un euro défaillant. Mais pour échapper au courroux des taux négatifs, les épargnants pouvaient toujours retirer leur argent, et le garder sous le matelas. C’est ce à quoi cette loi entend mettre un terme, en rendant l’argent liquide inutile.

Et Der Spiegel de demander : en quoi cette loi danoise est-elle une bonne idée ?

«Avec les possibilités techniques d’aujourd’hui, les billets et les pièces constituent un anachronisme, affirme Bofinger. Ils rendent les paiements incroyablement difficiles», avec des gens perdant du temps à la caisse à chercher dans leurs sacs un billet ou une pièce, et la caissière de s’efforcer de rendre la monnaie (plutôt que d’attendre que l’acheteur trouve sa carte au fond de son sac, de réaliser la transaction, et d’attendre sa confirmation, quel gain de temps en vérité !).

Ce projet à la pertinence douteuse, commandé par le gouvernement pour nous faire gagner du temps à la caisse, s’est révélé trop faiblard même pour Bofinger…

Mais gagner du temps à la caisse n’est en fait que secondaire, a-t-il précisé. Cette mesure permettra de faire disparaître le travail au noir et le trafic de drogue. Presque un tiers des euros en circulation consiste en billets de 500 euros. Personne ne les utilise pour aller faire ses courses ; les hommes de l’ombre les utilisent pour leurs combines.

Pour empêcher que ces éléments criminels ne convertissent leurs devises dans une autre monnaie, il a précisé que «ce serait mieux si l’eurozone, les USA, la Grande-Bretagne et la Suisse abandonnaient le liquide en même temps».

Et puis, il devait lâcher la vraie raison d’abolir l’argent liquide, de façon coordonnée, sur une large échelle :

«Il serait ainsi plus facile pour les banques centrales d’imposer leurs politiques monétaires. A ce jour, elles ne peuvent pas déterminer des taux d’intérêts peu ou prou négatifs sans que les épargnants ne se précipitent à la banque et n’amassent des devises sous leurs matelas. Sans billets ni pièces, la frontière du taux zéro est vaincue.»

Aussi, considérant que cela implique un effort multilatéral au niveau planétaire, est-ce que le gouvernement allemand est prêt à jouer de son influence sur la scène internationale pour que l’argent liquide disparaisse de nos portefeuilles ?
«Ce sera assurément un bon sujet de discussion au sommet du G7», a-t-il confié, lequel se tient les 7 et 8 juin en Bavière.

Mais le soutien à cette proposition n’est pas unanime au sein du conseil allemand des experts en économie. Lars Feld, un des Cinq sages, l’a littéralement cloué au pilori dans le journal Frankfurter Allgemeine, en paraphrasant de jolie manière la fameuse maxime de Fyodor Dostoevsky, «L’argent, c’est la liberté gravée dans le métal», et Feld de la détourner: «Le billet de banque, c’est de la liberté dans la poche.»

Feld devait aussi critiquer Bofinger pour avoir apparemment négligé les aspects constitutionnels de cette proposition. Non pas que les cours et tribunaux pourraient rejeter une telle législation, mais à ce jour, la Constitution – et pas seulement en Allemagne – constituerait un obstacle sévère.

Et il y a un autre problème : l’argent liquide permet aux citoyens d’échapper à l’emprise de l’État quand leurs comportements sont illégaux, comme dans le cas du travail au noir, qui constitue une sorte d’évasion fiscale, rappelle-t-il. «Mais le travail au noir est parfois pour certains la seule manière de gagner décemment leur vie.»

Et on va même les priver de ça ?

L’argent liquide est un des rares outils à notre disposition pour échapper, un court instant, aux multiples bras de cette pieuvre qu’est devenue progressivement notre société, sans espaces de liberté, sous surveillance illimitée. Et il incarne un des derniers verrous, quand bien même dérisoire, contre l’absolu pouvoir de la banque centrale. Et pour ça, il représente un aspect de notre liberté, comme le rappelle Feld. La guerre contre l’argent liquide a commencé : ses ennemis veulent le voir disparaître…

Un scénario dérangeant se joue pour les gens qui se tracassent au sujet de l’instabilité financière et il est écrit en jargon de Banque Centrale. Acheteurs, faites gaffe : le marché fonctionne à l’envers.

Traduit par Geoffrey, relu par jj pour le Saker Francophone

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