Par Peter Zeihan – Le 9 novembre 2016 – Source zeihan.com
Le titre original Scared New World est probablement un jeu de mot avec Brave New World, le livre d’Aldous Huxley.
Ce n’est pas uniquement pour me vanter, mais beaucoup m’ont accordé le crédit d’avoir prédit la montée de Trump. Pour être honnête, je n’ai jamais prédit l’entrée de Trump en politique, ni qu’il gagnerait la nomination du parti républicain ou assumerait la présidence.
Mais ça fait quand même un peu «Je vous l’avais bien dit».
Tout ce qui concerne la position américaine dans le système international est basé sur le fait que les Américains tiennent dans leurs mains ce que nous appelons actuellement l’ordre international. Les Américains s’en occupent depuis 1944. À ce moment-là, les Américains ont reconstruit le système mondial, le faisant passer d’une série de réseaux impériaux en guerre, à un système mondial qu’ils ont personnellement géré. Les Américains ont imposé l’ordre mondial – le premier ordre mondial – et créé le libre-échange, comme un moyen d’acheter la loyauté des alliés occidentaux et asiatiques, les puissances défaites de l’Axe et plus tard la Chine communiste. Il s’agissait de payer pour des réseaux d’alliances, afin de contenir et vaincre l’Union soviétique. Quand la guerre froide a pris fin, les Américains ont négligé de changer leurs politiques. Les Américains ont continué de fournir la sécurité mondiale et de contrôler le commerce mondial, mais ils l’ont fait sans la sécurité nécessaire quid pro quo.
Les gens l’ont remarqué. Le boom du quatuor Brésil / Russie / Chine / Inde ne pouvait se produire que dans un tel moment stratégique. L’euro ne peut exister que lorsque l’économie est protégée et que la sécurité est gratuite. Mais ce n’est pas seulement dans le monde que les gens l’ont remarqué. Le libre-échange n’est pas vraiment gratuit. Le libre-échange exige que quelqu’un fournisse la sécurité physique, le lest global et l’accès au marché pour subventionner indirectement le reste du système. Les Américains l’ont fourni pendant sept décennies, et lors des trois dernières décennies, ils l’ont fait sans rien demander en retour [Le pétro-dollar finançant les déficits publics quand même, NdT]. Avec la montée de Trump, tout ceci va maintenant prendre fin, c’est une question d’années, peut-être de mois.
La raison de l’accélération des échéances n’est pas seulement une question de tempérament, bien que je sois d’accord que Trump la colère jouera certainement un rôle. C’est beaucoup plus structurel que ça. Tout le réseau des relations d’élite qui maintient le système de libre-échange se trouve sans accès au leader du monde libre. Ce n’est pas tant que le nouveau président américain soit populiste, bien que ce soit certainement un aspect des choses, mais qu’il n’est pas vraiment affilié à un parti politique américain ou à l’ensemble de la communauté des affaires américaines ou à d’autres institutions liées au commerce international. Trump est une entité purement nationale, déconnectée de la gouvernance américaine à tous les niveaux. L’histoire présidentielle n’est pas mon point fort, mais je pense que les États-Unis n’ont pas eu un président avec ce profil depuis Andrew Jackson, un autre président fortement populiste, qui ne jonglait pas non plus très bien avec une vision mondiale. Mais Jackson n’a pas hérité de la responsabilité du système mondial. Trump l’a, de fait. Et s’il y a un point sur lequel Trump a été cohérent, c’est que cette responsabilité sera abandonnée.
Pourtant, ce n’est pas spécifique à Trump. Les États-Unis sont engagés sur cette voie depuis 25 ans et je ne doute pas que même une présidente Hillary Clinton aurait mis un terme au système mondial, d’une façon ou d’une autre. Je dis depuis des mois que la principale différence entre l’ordre international de Trump et celui de Clinton est une question de calendrier. Clinton allait relâcher l’emprise des États-Unis sur l’ordre international d’une manière relativement lente. Probablement 4 à 8 ans. Trump pourrait le faire en 4 à 8 mois.
Pour moi, le délai n’a jamais vraiment compté. D’une façon ou d’une autre, le système mondial allait se décomposer et nous nous retrouverions dans le désordre. Cela m’a permis de voir ce monde venir de loin et de me concentrer sur sa structure. Les détails prendront soin d’eux-mêmes avec le temps.
Eh bien, l’ancien mode de fonctionnement est maintenant aussi pertinent que la famille Clinton.
Avec une piste d’élan très raccourcie, quelques points sont à clarifier.
- Presque tout de la présidence d’Obama sera défait vers la fin de janvier 2017. Obama n’a montré aucune capacité / intérêt à discuter avec le Congrès, ni même avec des membres de son propre parti. La seule grande loi adoptée pendant toute la durée de son mandat a été l’Obamacare. C’est tout ce qui ne peut être défait par quelques coups de plume. La façon dont cette loi pourrait être modifiée ou annulée exige une participation du Congrès, et puisque le Congrès reste entre les mains des Républicains, ce sujet est bien d’actualité. Il faudra juste un peu plus de temps. Tous les traités internationaux négociés par Obama – qu’il s’agisse des Accords climatiques de Paris ou du Partenariat trans-pacifique – sont morts.
- L’Organisation mondiale du commerce a moins d’un an pour répondre à ce qui sera sans aucun doute un raz-de-marée des États-Unis. Si ces cas ne sont pas traités dans le cadre d’un arbitrage à un rythme et selon la façon dont la nouvelle Maison-Blanche le désire, les États-Unis commenceront à prendre des mesures unilatérales qui, en substance, contreviendront à l’ordre commercial mondial.
- L’un de ces premiers mouvements – qui ne va peut-être même pas attendre que l’OMC essaye d’agir – sera de déclarer que la Chine est un manipulateur de devises et de révoquer son statut d’économie de marché. Tous les pays qui tenteront de re-labelliser des produits chinois sont susceptibles d’être pris dans un filet. Cette poussée devrait suffire à jeter la Chine vers sa première récession depuis 30 ans. La question est maintenant de savoir si les efforts de consolidation politique du président Xi ont suffisamment progressé pour que la Chine puisse surmonter l’explosion politique et économique interne qui en résultera.
- L’OTAN est mort à tous les égards. Les mouvements de la Russie vers l’Ukraine s’accroîtront et les plans russes sur toute sa périphérie occidentale – de la Lettonie à la Pologne, de la Roumanie vers l’Azerbaïdjan – s’accéléreront. La seule voie à suivre pour l’Europe est de réarmer massivement la Suède et l’Allemagne [ou de commercer avec la Russie… NdT].
- Des pourparlers officiels entre les États-Unis et le Royaume-Uni sur une sorte d’accord commercial post-Brexit seront ouverts. (Techniquement, ces lois sont illégales en droit de l’UE, mais qu’est-ce que Bruxelles va faire ? Virer les Britanniques ?) La seule question est de savoir si ces négociations annoncent l’entrée britannique dans l’ALENA.
- L’alliance avec la Corée et le Japon n’aura plus besoin de troupes américaines dans ces pays, et cela suppose même que l’alliance soit potentiellement terminée. Les deux pays n’auront guère d’autre choix que de renforcer leurs capacités de projection de puissance, ce qui est hautement susceptible d’inclure des armes nucléaires. Un Japon beaucoup plus agressif mettrait fin à la projection rampante chinoise de puissance vers le nord-est.
- L’Alberta vient peut-être d’obtenir un nouveau bail avec la vie. L’un de ces ordres exécutifs d’Obama qui sera rayé, est celui sur le gel du pipeline Keystone. Sa construction permettra au pétrole albertien d’accéder au réseau de raffinage des États-Unis, où il sera mélangé avec du brut de schiste américain léger / doux. Le mélange résultant permettra aux raffineurs américains d’économiser quelques centaines de milliards de dollars dans la refonte technique des raffineries, ce qui entraînera une baisse du prix de l’essence pour le pays. Cela pourrait aussi fournir à l’Alberta suffisamment de revenus pour sortir de ce qui aurait été autrement une récession pluriannuelle. La question est maintenant de savoir quelle part de ces recettes prendra Ottawa et comment l’Alberta réagira à ces transferts fiscaux imposés.
- Le Mexique n’a plus d’autre choix non plus que de travailler avec Donald Trump. Étant donné que la majeure partie des migrants qui viennent aux États-Unis proviennent d’Amérique centrale et non du Mexique, l’option la plus efficace serait un mur frontalier pour lequel le Mexique paiera effectivement… mais sur sa frontière méridionale plutôt que sur celle du nord avec les USA. La façon dont la ville de Mexico traitera de cette question déterminera le succès futur du Mexique et de l’ALENA.
Et maintenant, si vous voulez bien m’excuser, je ferais mieux de revenir à ce livre en cours d’écriture. Apparemment, j’ai moins de temps pour finir ce projet que je ne le pensais.
Peter Zeihan
Note du Saker Francophone L'article est écrit par un écrivain qui a visiblement plus qu'un pied dans le système et est imprégné d'une vision américaniste du monde, mais son texte mérite quand même notre attention. Il y a un mouvement de fin de règne de cet Ordre Mondial ou de cet Empire, et la nature ayant horreur du vide, il aura un jeu de chaises musicales au Moyen-Orient, en Asie et en Europe. Une des questions reste de savoir si les USA pourront se retirer en bon ordre ou s'effondreront sur eux-mêmes brutalement. Que vont-ils faire d'une armée pléthorique, d'usines d'armement sans clients... Même les arguments finaux de l'auteur sont aussi discutables, mais la logique de son texte en lui-même est une grille de lecture qui porte en elle beaucoup de promesses.
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone