Corée du Nord : le bobard de la grande construction


Par Konstantin Asmolov – Le 21 août 2016 – Source New Eastern Outlook

Le 10 août 2016, un certain nombre de médias ont répercuté l’information à sensation du journal The Telegraph : « Le nouveau crime du régime – les constructeurs nord-coréens qui érigent un gratte-ciel de 70 étages à Pyonyang sur ordre de Kim Jong-un sont nourris de force avec un médicament à la méthamphétamine pour accélérer le processus de construction et tenir les délais. »

Le gratte-ciel – un complexe d’immeubles de hauteurs variables situé sur la rue Ryomyong – est construit par des centaines de milliers (oui, l’article d’information livre exactement la même citation) de gens à un rythme vraiment accéléré. Mais ce qui arriverait aux constructeurs s’ils ne tenaient pas le délai est « généralement connu ». Par conséquent, les contremaîtres sur les sites du chantier sont soumis à forte pression, et les ouvriers sont très fatigués et n’ont juste pas assez de force pour terminer le travail dans les temps.

De cette manière, selon les auteurs de l’article d’information, les méchants contremaîtres donnent ouvertement la drogue interdite aux ouvriers, dans l’espoir que cela les aidera à accélérer la construction du bâtiment, puisque les utilisateurs de méthamphétamine en cristaux présentent un sentiment d’euphorie, des performances accrues et une diminution de l’appétit. L’effet de cette drogue peut durer plus de 12 heures et sa production est soutenue au niveau de l’État.

Selon la « source d’information à Pyongyang », les ouvriers qui construisent souffrent terriblement, puisque les conséquences de l’usage de l’amphétamine sont très dangereuses : épuisement, dépression, destruction des organes internes. « Il est difficile de confirmer que de telles choses se produisent, mais si c’est le cas, nous les condamnons vigoureusement », écrit le journal, citant Phil Robertson, le directeur de l’organisation de défense des droits humains Human Rights Watch en Asie, ajoutant que selon des militants des droits humains, les conditions dans lesquelles les ouvriers du bâtiment nord-coréens travaillent ne sont pas différentes de l’esclavage et que c’est une raison suffisante pour introduire de nouvelles sanctions contre la Corée du Nord, et contre Kim Jong-un personnellement.

La première question à poser lorsque de telles nouvelles à sensation apparaissent est d’où est venue cette information, et pourquoi les sites d’information de Corée du Sud n’ont pas de renseignements à ce sujet. Parce que s’il y avait une chance qu’ils en aient, ils en feraient sûrement usage. Hélas, c’est simple. The Telegraph fait référence à Radio Free Asia, et j’ai déjà expliqué ce que c’est à de nombreuses reprises auparavant. C’est un bureau privé basé aux États-Unis engagé dans des activités de propagande explicites, qui est pire que Free Europe, puisqu’il est aussi contrôlé par l’Église de l’unification fondée par Sun Myung Moon.

Le texte original émanant de la RFA est encore plus remarquable. Il est clair que la nouvelle à sensation a été rapportée par des sources anonymes, mais la principale preuve de son authenticité est que l’inscription révélatrice a été découverte le 27 juillet sur le mur d’un bâtiment non terminé, près de mégots de cigarettes et de bouteilles vides. C’est pourquoi le gouvernement souffle les flammes de l’enfer et que les autorités compétentes sont à la recherche des coupables. Que le mur soit à Pyongyang est vrai, mais la source qui a rapporté l’information réside dans la province montagneuse et frontalière de Ryanggang. Cependant, selon les sources de la RFA, « il y a même des inscriptions injuriant personnellement Kim Jong-un, ce qui indique la présence d’une forte résistance dans le pays ».

Quel est le principal problème dans cette histoire excitante ? Il réside dans le fait que l’effet de la méthamphétamine décrit par les rédacteurs du faux est principalement inspiré de la série TV Breaking Bad. En effet, la drogue commence certainement par provoquer un peu d’euphorie. Mais tout d’abord, de l’euphorie et une réticence à dormir ne sont pas identiques à une efficacité et une productivité élevées, en particulier quand il ne s’agit pas de travail créatif, mais routinier et monotone, ce qui est typique de la construction. Ensuite, le moment d’euphorie est suivi par un sentiment de fatigue, lorsqu’une personne est totalement incapable de travailler. Donc, fournir de telles drogues aux ouvriers n’a pas de sens même pendant un travail urgent à court terme. Permettez-nous de laisser tomber la question de combien il faut de méthamphétamine pour fournir régulièrement des milliers de gens.

Cela soulèverait moins de questions si les propagateurs de fictions qui ont reçu personnellement les drogues sur le chantier de construction avaient inventé le constructeur. Mais non, si nous lisons attentivement l’article publié par Radio Free Asia, nous verrons qu’il ne porte même pas sur les «sources qui ont rapporté la distribution de méthamphétamine», mais sur le fait que quelqu’un a écrit quelque part à ce propos et que les autorités ont tout effacé.

Par ailleurs, les États-Unis ont eu suffisamment d’exemples similaires de conspirations. Qu’il suffise de mentionner par exemple les gens qui affirment que de l’eau fluorée a été utilisée comme moyen secret de contrôler les gens en ajoutant des additifs chimiques, ou les adeptes de ce qu’on appelle les chemtrails – il se trouve que les traces dans le ciel laissées par les avions sont aussi un type particulier de produits chimiques que les joueurs en coulisse utilisent pour décourager les citoyens de se rebeller contre les pouvoirs en place.

Il est possible que ce bobard soit destiné aux gens accoutumés à écouter ce genre de choses, mais l’auteur y voit un aspect de plus associé à la diabolisation fondamentale de la RPDC comme Pays des Ténèbres. Après tout, du point de vue des propagandistes de la diabolisation, un tel État est fondamentalement incapable de créer quoi que ce soit de positif, en particulier quelque chose destiné à améliorer le niveau de vie de la population. L’Empire du mal ne peut démontrer des progrès que dans le domaine militaire ou dans des méthodes de répression. Si quelque chose est remarqué là-bas qui va dans le sens d’améliorer les conditions de vie de la population, c’est de la propagande, et dans la situation actuelle ce n’est pas ainsi que les choses se passent. S’ils inventent quelque chose d’utile, ce n’est en fait pas leur propre invention, ils n’ont fait que la voler. Si quelque chose est construit là-bas, alors le bâtiment a été bâti sur les os d’innombrables prisonniers, ou il a quelque chose à voir avec les villages Potemkine.

Mais que faut-il faire si, tandis que la construction en cours est visible, il n’y a pas de prisonniers ? Devrions nous croire à un mouvement spontané ? Bien sûr que non. Il est plus facile d’imaginer que les gens travaillent si dur et si rapidement parce qu’ils sont drogués – comment un habitant de la RPDC peut-il s’engager dans une construction avec la plus profonde affection pour son pays et de tout son cœur ?

Néanmoins, tout le monde ne connaît pas les subtilités des effets des drogues, et la jurisprudence Stonefish marche parfaitement – toute absurdité sur la RPDC sera reproduite sans critique uniquement parce qu’elle est sur la RPDC. C’est un Pays des Ténèbres patenté et, par conséquent, tout, et pas seulement les choses ordinaires, est possible là-bas.

Konstantin Asmolov, docteur en Histoire, premier chercheur associé au Centre d’études coréennes de l’Institut pour les études sur l’Extrême-Orient de l’Académie des sciences de Russie, exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.


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