Cinq raisons pour lesquelles les gens justifient les violences policières


Par Caitlin Johnstone − Le 8 juin 2020 − Source Medium

Alors que les manifestations contre les violences policières se heurtent à un barrage incessant de violences policières, le cirage zélé et obséquieux des bottes de la maréchaussée dans les forums de discussion en ligne a été porté à son comble.

J’ai écrit quelques articles sur l’agression policière et l’hospitalisation du militant pour la paix Martin Gugino, 75 ans, et sur les arguments de caniveau visant à justifier cet événement manifestement injustifiable qui me laissaient littéralement bouche bée. Certains ont utilisé les arguments les plus stupides que j’aie jamais vus sur Internet pour prétendre que Gugino a mis en scène sa blessure. Ils ont spammé un article bidon par l’odieux blog de désinformation The Conservative Treehouse qui prétend, sans apporter la moindre preuve, que « Gugino tentait de pirater la signature des communications radio des policiers de Buffalo », en supposant de manière totalement gratuite que le septuagénaire devrait se trouver à portée de main de la police pour faire une telle chose.

Mais surtout, ces arguments avançaient que Gugino méritait d’être bousculé par les officiers.

« Il n’aurait pas dû se mettre sur leur chemin ! » objectent-ils.

Non, lèche-bottes de la maréchaussée, malgré votre réflexe pavlovien, ce n’est pas normal d’agresser une personne simplement parce qu’elle vous gêne et que vous portez un badge. Ne bousculez pas les gens, encore moins les personnes âgées qui pourraient être blessées et en mourir. Vous auriez dû apprendre à ne pas pousser les gens à l’école maternelle.

« Eh bien évidemment, si vous vous approchez trop de la police quand elle se déplace comme ça, elle va vous bousculer », argumentent-ils.

Note du traducteur

Il est amusant de voir les forces de police parler du [vidéo en français] « QI de la population inférieur à celui d'un poisson rouge », alors que même les OPJ — c'est l'expérience de garde à vue qui parle — sont incapables d'écrire sans fautes d'orthographe toutes les deux lignes...

Oui, oui, les policiers agressent souvent physiquement les gens pour des raisons inexcusables. Merci d’avoir confirmé le problème que les adultes essaient de résoudre. Arrêtez d’interrompre les conversations de grandes personnes conçues pour y parvenir.

Bingo du lèche-bottes

Pourquoi est-ce que les gens font ça ? Pourquoi est-ce que chaque fois qu’il y a une vidéo de violences policières, même si ces violences sont clairement et manifestement injustifiées, se trouve-t-il toujours des contorsionnistes qui essayeront de les justifier ou de les faire passer pour quelque chose d’acceptable ou d’illusoire ? Littéralement toujours, sans une seule exception ?

Eh bien, voici cinq raisons.

1. Le sophisme du monde juste

L’une des raisons est due à un problème de cognition humaine connu sous le nom d’hypothèse du monde juste ou de sophisme du monde juste, qui nous amène à supposer que si de mauvaises choses arrivent à quelqu’un, c’est parce que cette personne le mérite. Blâmer la victime est plus confortable psychologiquement que de voir que nous vivons dans un monde injuste où nous pourrions très facilement devenir nous-mêmes une victime un jour, et c’est pourquoi nous choisissons le confort plutôt qu’une analyse rationnelle. Cela nous permet de nous sentir aux commandes de notre destin.

Au début des années 1960, un socio-psychologue du nom de Melvin Lerner a découvert que les sujets de test avaient une curieuse tendance à attribuer la responsabilité d’un événement malheureux aux victimes − même lorsque cet événement ne pouvait logiquement pas être de leur faute − et à attribuer des attributs positifs aux personnes à qui il arrivait de bonnes choses − même si leur bonne fortune était due uniquement au hasard. Lerner a avancé la théorie suivante : les gens ont un besoin inconscient d’organiser leurs perceptions sous la prémisse fallacieuse que le monde est fondamentalement juste, et que de bonnes choses ont tendance à arriver aux bonnes personnes et de mauvaises choses aux mauvaises personnes. Rien dans une analyse rationnelle de notre monde ne nous dit que cette hypothèse est en aucune façon vraie, mais les tests de Lerner et des psychosociologues ultérieurs ont confirmé sa théorie selon laquelle la plupart d’entre nous ont de toute façon tendance à interpréter les événements à travers le prisme de cette hypothèse irrationnelle.

Tabassé sans raison par la police, il perd neuf dents

Les gens sont plus à l’aise en croyant qu’ils vivent dans un monde contrôlable et juste, alors quand un policier violente quelqu’un, ils doivent commencer à blâmer la victime pour maintenir cette perspective psychologiquement confortable. Reconnaître la réalité est moins confortable. C’est aussi la raison pour laquelle les gens commencent souvent à gloser sur le fait qu’une victime de viol n’aurait pas dû porter tels vêtements, aurait dû savoir que se saouler n’était pas une bonne idée, aurait dû utiliser des techniques d’autodéfense, ou d’autres arguments X, Y et Z. C’est la raison pour laquelle les gens justifient la brutalisation de Julian Assange, c’est la raison pour laquelle les gens excusent les actes abusifs que le gouvernement américain inflige aux nations qui osent désobéir à ses diktats, et c’est la raison pour laquelle chaque fois qu’une séquence vidéo d’un meurtre policier controversé devient virale, les commentaires sont toujours inondés de gens disant que la victime aurait dû se mettre au sol plus vite ou a eu tort de saisir son portefeuille si rapidement − donnant l’impression qu’elle allait saisir une arme, et justifiant les tirs mortels de la police.

L’alternative est d’être franc avec vous-même et d’accepter la réalité inconfortable que nous vivons dans un monde imprévisible et hors de contrôle où de mauvaises choses peuvent arriver à de bonnes personnes. Beaucoup de gens sont incapables de vivre avec autant de courage.

2. Propagande policière

Étant donné que les journalistes s’appuient souvent sur les déclarations des services de police pour rendre compte des événements d’actualité, il existe une relation beaucoup plus étroite entre les médias et la police qu’entre les médias et les militants ou la population civile de base. Cela place les agents de police responsables des relations publiques dans une position privilégiée pour promouvoir des récits qui donnent aux policiers un visage beaucoup plus positif que la réalité. Ceci, combiné à la dynamique du journalisme d’accréditation – plus un journaliste se conforme aux récits officiels, plus les portes & échelons lui sont ouverts – et au fait que les médias d’information appartiennent à des milliardaires ayant un intérêt direct à garder leur fortune et leurs actifs protégés par une force de police militarisée, ce qui permet à la police de contrôler le discours dominant à son sujet.

La plupart des occidentaux ont également été endoctrinés tout au long de leur vie par des films et des émissions de télévision montrant des policiers héroïques sauvant la situation face à d’horribles méchants. La classe riche qui produit ces films et séries a bâti ses fortunes sur le statu quo dont l’existence dépend d’une force violente contrôlant le monde internationalement et d’une force violente contrôlant la nation au niveau national, de sorte que la conscience dominante est constamment saturée d’histoires sur l’armée et la police présentées comme géniales et vertueuses.

Note du traducteur

Un petit rappel des Inconnus [en français] sur l’identité des « gentils » et des « méchants » dans la plupart des films…

Il n’est donc pas étonnant que nous voyions constamment cette même conscience du grand public se démener pour défendre les actes dépravés de personnes qu’ils ont été entraînés par la propagande policière à considérer comme des héros bienfaisants.

3. Privilège blanc

Nous nous mentirions si nous prétendions qu’il n’y a pas non plus de composante raciale majeure dans cette question. J’ai récemment partagé le récit de mon mari, Tim, qui a été témoin du meurtre par la police d’un homme noir nommé Oscar Grant en 2009, et qui a vu avec consternation les Blancs se précipiter pour excuser quelque chose qu’il savait être un fait complètement inexcusable alors que les Noirs – qui sont statistiquement beaucoup plus susceptibles d’être victimes de violences policières – ne se faisaient guère d’illusions sur ce qui s’est passé.

Note du traducteur

Voir l'indispensable Podcast d'Arte [en français] sur le racisme au sein des forces de police, raconté par un policier noir.

Ne nous leurrons pas sur la raison principale pour laquelle les conservateurs ont essayé frénétiquement de gérer le récit sur Martin Gugino plus que d’autres victimes de ces manifestations. Ils comprennent que les images d’un vieil homme blanc frêle agressé et blessé par la police ont un impact beaucoup plus important sur une grande partie de la population que de voir des personnes de couleur agressées. Pour de nombreux Américains, le fait que des Noirs se fassent violenter par la police est considéré − consciemment ou inconsciemment − comme normal. Consciemment ou inconsciemment, cela est considéré par beaucoup de gens comme ce qu’il faut faire avec les Noirs. Les lèche-bottes de la maréchaussée ayant une quelconque conscience de la gestion de la perception ont compris que leur programme de défense des policiers est beaucoup plus mis en péril par les images de Gugino que par les innombrables autres victimes de violences policières lors de ces manifestations.

Les gens de couleur essaient de changer cette inégalité de perception sous-jacente, et une grande partie de l’hostilité qu’ils reçoivent est due à un réflexe défensif autour du maintien de cette inégalité.

Si vous aviez garé votre voiture sur la place de votre voisin depuis très longtemps − si longtemps que vous oubliez que ce n’était pas votre place de parking au départ − , ce serait très difficile de s’entendre dire par le voisin qu’il est temps pour vous de trouver un autre endroit pour vous garer. Vous vous sentiriez comme la victime. C’est ainsi que de nombreux Blancs vivent les tentatives de lutte contre les inégalités raciales. Les personnes de couleur n’ont pas été autorisées à occuper un espace à taille humaine dans notre société, si bien que quand elles commencent à vouloir prendre possession de l’ensemble de leur propriété − c’est-à-dire de leurs droits − , cela ressemble à de nombreux Blancs comme une expulsion cruelle.

Note du traducteur

Bill Burr, comique encensé par un certain milieu apologiste de la police [bizarrement, elle est encouragée contre les « racailles » et dénoncée contre les Gilets Jaunes...], raille les « cerveaux olympiques » qui dédouanent la police du meurtre de George Floyd.

C’est ainsi qu’une phrase complètement anodine comme Black Lives Matterles vies des Noirs comptent – est interprétée comme quelque chose de menaçant comme « les vies des Noirs comptent plus que les vies des Blancs » ; lorsque vous n’avez connu que la position de puissance ascendante, voir s’élever ceux qui sont en position inférieure peut donner l’impression que quelque chose vous est ôté. Alors vous êtes sur la défensive.

4. Peur des autres

Beaucoup de gens sont généralement terrifiés par les autres et trouvent que l’autoritarisme est une protection apaisante contre les hordes effrayantes d’êtres humains que leur idéologie les a fait considérer comme différents. Nous avons le respect de l’autorité, forgé en nous depuis la petite enfance, et si nous ne grandissons pas vraiment, nous percevrons un manque de respect envers les figures d’autorité – comme la police – comme une menace existentielle.

5. Peur du changement

Enfin, les gens ont tout simplement peur du changement. La police joue un rôle crucial dans la consolidation de ce statu quo oppressif, et changer radicalement son rôle dans la société signifiera nécessairement la fin du statu quo. Ajoutez à cela le fait que nous sommes manifestement en train de plonger dans une période de grand changement pour le meilleur ou pour le pire, et les gens se démèneront instinctivement pour maintenir l’ordre ancien par peur de l’inconnu.

Le changement est toujours stressant, qu’il soit bon ou mauvais. Les gens subissent du stress lorsqu’ils perdent un emploi ou un être cher, mais ils le subissent également lorsqu’ils se marient ou commencent l’emploi de leurs rêves. Oui, les choses changent, et oui, nous avons un biais cognitif qui favorise la stabilité plutôt que le changement. Mais nous ne pouvons pas continuer à faire les choses comme nous les avons faites ; notre espèce se comporte de manière trop insensée et si nous ne changeons pas très bientôt, nous allons détruire notre écosystème si nous ne nous atomisons pas d’abord.

Je ne sais pas ce qui va se passer, et ce n’est pas grave. Il n’y a aucun sens à nous stresser en essayant de recoller les morceaux d’un statu quo condamné. Plongeons dans l’inconnu avec vigilance et enthousiasme.

Caitlin Johnstone

Notes du traducteur 

Voici une sixième raison [sous titres en français] avancée par Malcolm X lorsque ce sont des personnes issues de minorités qui défendent les violences policières et dénoncent avec zèle les « racailles » en reprenant tous les codes racistes, ne se rendant pas compte qu'aux yeux des « identitaires » et autres néo-chrétiens — un christianisme original complètement détaché des enseignements de Jésus-Christ, contrairement aux authentiques chrétiens qui voient dans l'Islam un allié naturel contre le laïcisme nihiliste —, tous les « étrangers » (Noirs, Arabes, musulmans, basanés...) sont des « négros », des « bougnoules » ou des « terroristes » qu'il faut « remigrer » : «Tant de ces soi-disant ‘noirs’ de la ‘classe supérieure’ sont si occupés à essayer d’impressionner l’homme blanc en lui montrant qu’ils sont ‘différents des autres’ qu’ils ne peuvent pas voir qu’ils aident seulement l’homme blanc à garder sa mauvaise opinion de tous les ‘noirs’.» (Autobiographie de Malcolm X)

Traduit par lecridespeuples.fr

   Envoyer l'article en PDF