C’est officiel, les États-Unis et le Royaume-Uni ont bien fait pression sur l’Ukraine pour qu’elle rejette l’accord de paix avec la Russie


Par Moon of Alabama – Le 25 novembre 2023

Nous savons déjà que l’Ukraine, au début du mois d’avril 2022, avait refusé de faire la paix avec la Russie. Nous le savons grâce aux dires de l’ancien premier ministre israélien Naftali Bennet, de l’ancien ministre turc des affaires étrangères, de l’ancien chancelier allemand Gerhard Schroeder, ainsi qu’aux informations en provenance d’Ukraine.

Mais ce n’est que maintenant que nous entendons la même histoire de la part d’un fonctionnaire ukrainien :

Lord Bebo @MyLordBebo – 21:45 UTC – 24 novembre 2023

🇺🇦🇷🇺🚨‼️ C’EST UNE BOMBE : L’Ukraine admet que la Russie voulait seulement la neutralité de leur part !

La Russie voulait que l’Ukraine soit neutre comme l’était la Finlande ! Mais l’Ukraine n’était pas sûre de pouvoir lui faire confiance et c’est alors que Boris Johnson est arrivé et a dit :

-> « Nous ne signerons rien, faisons la guerre ! »

Je le savais !

vidéo

La vidéo du tweet ci-dessus est sous-titrée en anglais. Il s’agit d’un extrait d’une interview réalisée par la journaliste Natalia Moseychuk pour la télévision ukrainienne avec le chef de la faction parlementaire des Serviteurs du peuple, David Arkhamia. En mars et avril 2022, David Arakhamia dirigeait la délégation ukrainienne lors des pourparlers de paix avec les Russes en Biélorussie et en Turquie.

Il y a une vidéo sur Youtube avec une annonce de l’interview, mais pas de l’interview elle-même.

Arnault Bertrand relaie ici ce qui a été dit :

– Il confirme que l’objectif principal de la Russie pour la guerre n’était pas d’envahir toute l’Ukraine mais de forcer l’Ukraine à devenir un pays neutre qui ne ferait pas partie de l’OTAN : « [La Russie] a vraiment espéré presque jusqu’au dernier moment qu’ils nous forceraient à signer un tel accord pour que nous nous engagions à être neutre. C’était la chose la plus importante pour eux. Ils étaient prêts à mettre fin à la guerre si nous acceptions – comme la Finlande l’avait fait autrefois – la neutralité et que nous nous engagions à ne pas adhérer à l’OTAN. En fait, c’était le point essentiel. Tout le reste n’était que rhétorique et « assaisonnement » politique sur la dénazification, la population russophone et bla-bla-bla« .

– Lorsqu’on lui demande pourquoi l’Ukraine n’a pas donné son accord, voici ce qu’il répond : « Tout d’abord, pour accepter ce point, il était nécessaire de modifier la Constitution. Notre chemin vers l’OTAN est inscrit dans la Constitution. Deuxièmement, il manquait la confiance en les Russes. Cela ne pouvait se faire que s’il y avait des garanties de sécurité. Nous ne pouvions pas signer quelque chose, nous retirer, tout le monde se détendrait, puis ils [nous envahiraient] encore plus préparés – parce qu’ils n’étaient en fait pas préparés à une telle résistance. Par conséquent, nous ne pourrions explorer cette voie que lorsque nous aurions la certitude absolue que cela ne se reproduira pas. Cette certitude n’existe pas. D’ailleurs, lorsque nous sommes rentrés d’Istanbul, Boris Johnson est venu à Kiev et a dit que nous ne signerions rien du tout avec eux, et que nous devrions simplement nous battre. »

Strana rapporte également, en russe, l’interview et les commentaires (traduction automatique) :

Pourquoi les autorités ukrainiennes ont-elles refusé un accord aussi intéressant au printemps 2022 ?

Arahamia avance deux arguments : Premièrement, il était nécessaire de modifier la Constitution, et deuxièmement, ils n’avaient pas confiance que les russes respecteraient les accords.

Les deux arguments sont ambigus, c’est le moins que l’on puisse dire. Oui, il est interdit de modifier la Constitution pendant la loi martiale, mais s’ils le voulaient, ils pourraient trouver une solution – après tout, il s’agit d’un problème technique s’il y a une volonté politique (et pendant que les autorités ukrainiennes négociaient à ce sujet, elles ont vu quelques options). Quant à la confiance, c’est une thèse encore plus étrange, puisque selon l’accord, ce n’est pas l’Ukraine qui était censée retirer ses troupes, mais la Russie. De plus, en échange seulement d’une décision sur le statut de neutralité, qui pourrait alors être reniée à tout moment. Par conséquent, dans ce cas, la question de la confiance se posait avant tout pour Moscou, et non pour Kiev.

Plus tard, les autorités ukrainiennes ont invoqué une autre raison pour justifier leur refus : la tragédie de Butcha. Toutefois, si l’on se souvient des déclarations de Zelensky à l’époque, il a déclaré immédiatement après la tragédie que les négociations avec la Fédération de Russie devaient être poursuivies.

« Chaque tragédie de ce type, chaque Butcha de ce type vous frappera sur les mains lors de certaines négociations. Mais nous devons trouver des opportunités pour de telles démarches« , a déclaré Zelensky le 5 avril 2022. Ce n’est que plus tard que ses déclarations sont devenues plus catégoriques.

Les arguments sont bidons et la véritable raison pour laquelle Zelenski a rejeté l’accord est autre :

Ainsi, habituellement, parmi les principales motivations du président pour refuser de conclure des accords avec Poutine en 2022, on invoque le fait qu’il (peut-être influencé par les arguments et les promesses des alliés occidentaux) est arrivé à la conclusion que la Russie n’est pas prête pour une grande guerre et que, par conséquent, l’Ukraine, avec l’aide de l’Occident, peut totalement vaincre l’armée russe et dicter à Moscou ses propres conditions de paix, qui prévoiraient le retrait des troupes russes aux frontières de 1991, le paiement de réparations, et ainsi de suite.

Autrement dit, Zelensky a choisi l’ombre plutôt que la proie.

En même temps, tous ceux qui se souviennent de la situation au début du mois d’avril 2022 ont du mal à croire que les autorités ukrainiennes aient pu être aussi optimistes à l’époque.

Dans de telles circonstances, il semble presque improbable que Zelensky ait pu refuser un accord extrêmement attrayant sous la forme d’un retrait des troupes russes de la quasi-totalité des territoires occupés de l’Ukraine, sans combattre, en croyant à la possibilité de d’attraper « l’ombre » sous la forme d’une reddition de Moscou (ce qui, comme on le sait, ne s’est pas encore produit).

Des circonstances de force majeure ont dû inciter Kiev à rejeter des conditions aussi favorables pour mettre fin à la guerre au printemps 2022.

La nature de ces circonstances apparaît clairement dans la même interview d’Arahamia.

Il a déclaré que le Premier ministre britannique de l’époque, Boris Johnson, était venu à Kiev et avait déclaré : « Nous ne signerons rien du tout avec eux, contentons-nous de nous battre. »

La question qui se pose est la suivante : que voulait dire exactement Boris Johnson par « nous ne signerons rien avec eux » ? La réponse peut être la suivante : les pays occidentaux ont refusé de donner des garanties communes sur la sécurité de l’Ukraine contre la Russie, garanties qui étaient censées être jointes au traité de paix et à l’accord sur le statut de neutralité.

Arakhamia l’a également dit directement dans une interview : « Les alliés occidentaux nous ont conseillé de ne pas accepter de garanties de sécurité éphémères, qui à l’époque ne pouvaient pas être données du tout. »

Rappelons que les garanties de sécurité prévues par le plan d’alors étaient censées être fournies par la Russie, les principaux pays occidentaux et un certain nombre d’autres grandes puissances mondiales. Mais si les pays de l’OTAN refusaient de donner des garanties et que seule la Fédération de Russie et, éventuellement, la Chine et la Turquie les donnaient, cela signifierait en fait une rupture totale des relations de l’Ukraine avec le monde occidental. Ce que Zelensky ne pouvait évidemment pas faire.

En d’autres termes, c’est la position des alliés occidentaux « continuons à combattre » qui a eu une influence décisive sur la décision des autorités ukrainiennes d’abandonner les accords avec la Fédération de Russie au printemps 2022.

Plusieurs centaines de milliers d’Ukrainiens et dix mille Russes sont aujourd’hui morts. Tout cela parce que des politiciens américains et britanniques, principalement Biden et Johnson, ont voulu « affaiblir la Russie« .

La Russie est aujourd’hui plus forte qu’elle ne l’était au début de l’année 2022. Son économie est en croissance alors que celle de l’Europe stagne, au mieux. Faire la paix maintenant avec la Russie coûtera à l’Ukraine environ 20% du pays. En avril 2022, elle aurait pu reprendre le contrôle de l’ensemble du pays, à l’exception de la Crimée.

Aujourd’hui, il est trop tard :

Quant à la position de Kiev, Arakhamia l’a réaffirmée dans la même interview, en déclarant que les négociations ne sont pas intéressantes pour le moment, car « notre position de négociation est très mauvaise« . Mais pour qui le temps travaille-t-il ? Si, en 2022, il était possible de mettre fin à la guerre en libérant sans combat la quasi-totalité du territoire du pays en échange d’un statut de neutralité, il n’y a plus d’options de ce type aujourd’hui. Et l’alternative est tout autre : une longue guerre avec toutes ses victimes et tous ses risques, ou la paix/la trêve le long de la ligne de front avec la consolidation effective du contrôle russe sur les territoires occupés (et, il est possible que cela comprenne également des exigences supplémentaires sous la forme du même statut de neutralité, par exemple). La principale question est de savoir quelles seront les conditions et les positions de négociation à l’avenir et si les autorités ukrainiennes comprennent clairement qu’elles seront encore pires qu’aujourd’hui.

La question que je me pose est la suivante : pourquoi tout cela apparaît-il maintenant ?

Qu’ont accepté Zelenski et le chef de la faction de son parti pour que le peuple ukrainien sache enfin ce qui s’est passé ? Espèrent-ils que les Ukrainiens rejetteront la faute sur l’Occident et non sur ceux qui, en Ukraine, ont décidé de le suivre ? Préparent-ils leur peuple à se tourner vers la Russie ?

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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