Nadja Erb

Par Nadja Erb et Victor Funk – Le 18 janvier 2016 – Source Frankfurter Rundschau

Des milliers de réfugiés ukrainiens en Allemagne reçoivent des invitations à quitter le territoire, ils ont peu de chance d’obtenir l’asile. Voisins et amis luttent contre leur expulsion.

Des milliers de réfugiés ukrainiens en Allemagne sont menacés d’expulsion. Jusqu’ici, plus de 7 000 Ukrainiens ont fui leur pays à cause de la guerre à l’est et ont gagné l’Allemagne où ils ont déposé une demande d’asile. Beaucoup d’entre eux ont reçu ces dernières semaines des décisions de refus, dont la famille Nykonchuk et Hryhorii Demnychenko. Ils étaient arrivés dans le pays avec un visa Schengen et sont donc soumis à la réglementation de Dublin. Leurs demandes doivent être examinées par les États membres de l’UE qui ont émis les visas.

La région de Donetsk, redessinée par la guerre. Beaucoup d’Ukrainiens tournent le dos à leur patrie (Reuters)

Certains des fugitifs viennent directement de la zone de guerre, notamment la famille Nykonchuk. D’autres ne voulaient pas participer à une guerre qu’ils rejettent et ils ont fui. L’hiver dernier, surtout, lorsque le gouvernement de Kiev a appelé toujours plus d’hommes pour lutter contre les séparatistes et les Russes qui les soutiennent, beaucoup ont quitté le pays, dont Hryhorii Demnychenko. Il vit actuellement avec six autres Ukrainiens dans un foyer pour réfugiés à Kitzingen, en Bavière. Déjà peu après avoir déposé sa demande d’asile, en avril, l’autorité compétente pour les étrangers, à Zirndorf, lui a fait savoir que l’Allemagne n’était pas responsable de lui, mais que c’était la Pologne. En effet, Demnychenko était arrivé avec un visa de tourisme polonais.

Ils ne veulent pas participer à la guerre

Demnychenko a 27 ans, il a étudié l’électrotechnique et il représente une chance pour la PME d’électrotechnique FWZ à Bibergau. «Nous avons longtemps cherché quelqu’un, mais nous ne trouvions pas d’Allemand, alors le directeur a pensé que nous pourrions demander à des requérants d’asile», explique la responsable du personnel, Andrea Gumbmann. L’entreprise a engagé deux réfugiés ukrainiens et elle est satisfaite de leurs services. «Nous espérons qu’ils puissent rester chez nous.»

La famille Nykonchuk peut raconter une histoire semblable. Sergei, le père, Lena, la mère et leurs filles Albina (16 ans) et Ella (14 ans) sont arrivés en avril à Rauhenebrach, en Bavière, depuis la ville assiégée de Donetsk. Depuis lors, le père avait un emploi stable dans une entreprise du bâtiment, la famille ne dépendait pas des aides publiques, les filles fréquentaient normalement l’école – et pourtant l’expulsion vers l’Espagne menaçait en permanence. Car si les Nykonchuk sont arrivés directement en Allemagne, c’était avec un visa espagnol, plus facile à obtenir. Pour éviter l’expulsion, la famille vit entre-temps dans le refuge d’une paroisse protestante. Ils veulent tenir jusqu’à la fin de mars, ensuite la décision d’expulsion aura six mois et l’Allemagne sera de nouveau compétente pour eux.

Les Nykonchuk et Hryhorii Demnychenko sont des exemples de nombreux cas d’Ukrainiens qui peuvent servir de modèles d’intégration. Compte tenu, cependant, du débat actuel sur les réfugiés en Allemagne, ils doivent craindre d’être expulsés. La semaine passée encore, des politiciens membres de la CSU (Union chrétienne-sociale) ont demandé que l’Allemagne déclare l’Ukraine pays d’origine sûr. Aujourd’hui déjà, il est très difficile à un requérant d’asile ukrainien d’obtenir le statut de réfugié en Allemagne.

Requérants d’asile ukrainiens 

En 2014 et 2015, environ 7 000 Ukrainiens sont arrivés en Allemagne, où ils ont déposé une demande d’asile. La plupart sont venus l’an dernier, il y a un peu plus d’hommes que de femmes parmi les requérants.

Note sur les refus d'asile

5,3 pour cent des demandes ont été acceptées dans la dernière année ou on vu leur expulsion suspendue. Autrement dit, près de 95 pour cent des candidats doivent quitter l'Allemagne, car avec toute décision négative l'invitation à quitter le pays est prononcée. Les responsables de l'application de cette décision sont les autorités locales de l'immigration du pays. VF

Lorsque Demnychenko parle de sa procédure, ses paroles se bousculent, sa voix devient plus forte. Il ne craint pas seulement le renvoi mais aussi le risque d’être persécuté dans son pays. Selon ce que dit l’ambassadeur ukrainien en Allemagne, Andrij Melnyk, les déserteurs n’ont pourtant rien à craindre : «Ces hommes ne doivent craindre ni poursuites ni répression», a-t-il déclaré à la Frankfurter Rundschau à la fin d’octobre dernier.

Mais le cas de Ruslan Kotsaba témoigne d’une réalité différente. Le journaliste ukrainien avait, il y a un an, déclaré publiquement qu’il refuserait sa mobilisation pour la guerre. Depuis lors, il a été arrêté et sera accusé de trahison.

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Demnychenko lui-même fait également état d’une atmosphère empoisonnée dans sa ville natale de Nikopol, en Ukraine du centre. Deux de ses connaissances ont été attaquées parce qu’elles n’ont pas servi [dans l’armée]. «Celui qui a été au front menace maintenant ceux qui n’ont pas combattu, c’est un asile de fous», dit-il et il montre sur son téléphone portable des photos de connaissances blessées. Leurs visages ont été tailladés  avec des couteaux. Les Nykonchuk font aussi état de discriminations en Ukraine de l’Ouest après leur fuite de Donetsk. Ils n’y ont reçu ni domicile ni travail.

Juridiquement, le cas de Demnychenko et des autres est clair : à cause de leurs visa polonais ou espagnols, d’autres pays sont compétents en matière d’asile. À cela s’ajoute que la guerre n’est pas en soi un motif d’asile. En outre, la zone des combats est limitée localement. Lorsqu’on énumère ces motifs quand on discute avec Demnychenko, il respire profondément et raconte d’autres agressions dans son pays, les femmes injuriées parce que leurs maris n’ont pas servi dans l’armée, les amitiés brisées et son cousin qui est sur le front et lui envoie des photos de régions dévastées. «Je ne veux pas combattre, dit le jeune homme de 27 ans, je veux simplement vivre normalement.»

Nadja Erb et Victor Funk

Traduit par Diane, vérifié par jj, relu par Literato pour le Saker francophone

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