Par NIKOLAJ NIELSEN – Le 20 mai 2015 – Source euobserver
Les lobbies industriels des multinationales font tout pour retarder les régulations européennes sur les produits chimiques toxiques
Un rapport édité ce mercredi 20 mai (en anglais) montre comment l’industrie pressure les institutions européennes pour empêcher les régulations sur les produits chimiques toxiques utilisés dans les produits de tous les jours.
Réalisé par le Corporate Europe observatory (CEO), basé à Bruxelles, et le journaliste français Stéphane Horel, ce rapport montre comment les associations d’industries chimiques et les entreprises elles mêmes réussissent à bloquer les restrictions d’utilisation concernant les perturbateurs endocriniens (PE).
Ces PE, qui interférent sur les systèmes hormonaux, entrent dans la composition de nombreux pesticides, plastiques, cosmétiques, ordinateurs et matériaux de construction.
En 2011, l’Union européenne a interdit l’utilisation d’un PE, le bisphénol A (BPA), dans la fabrication des biberons à cause des risques pour le système endocrinien du bébé.
Nina Holland, la présidente de CEO et co-auteur du rapport, dit avoir obtenu des centaines de documents de la Commission européenne par l’intermédiaire de demandes faites dans le cadre de la liberté de l’information.
«Ils montrent sans ambigüité comment la science est manipulée pour défendre des intérêts privés, créer le doute et retarder toutes régulations potentielles», nous dit-elle.
L’affaire a commencé en 2009 lorsque la Direction générale à l’environnement de la Commission européenne a lancé une enquête indépendante pour étudier la toxicité des PE sur les humains.
La conclusion du rapport, qui était assez critique envers les PE, a poussé la Direction générale a commencer à mettre en place un cadre de régulation pour l’Union européenne.
Les conclusions du rapport et les mesures de la Direction générale ont entrainé, en 2012, des ripostes de la part de compagnies américaines, des autorités britanniques et allemandes et de l’intérieur même de la Commission européenne.
Paola Testori Coggi, la directrice du département santé et sécurité de la Commission à cherché à écarter la Direction générale à l’environnement en lançant une nouvelle étude, réalisée par l’Autorité européenne pour la sécurité alimentaire (AESA) qui est parvenue à des conclusions différentes.
Un scientifique de l’AESA, dans un courriel, décrit son embarras envers ce nouveau rapport qui contredit ceux de l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) et du Programme des Nations unies pour l’environnement.
«Il est assez gênant de comparer notre rapport avec celui de l’OMS. Les problèmes que ce rapport met en évidence comme étant spécifiques aux PE sont ceux que nous essayons de minimiser voire même d’éviter dans le notre», écrit-il dans ce courriel.
Le rapport de l’OMS, publié en 2013, conclut que les PE sont «un problème global qui doit être résolu».
De son côté, le Parlement européen a édité son propre rapport qui soutient les conclusions du premier rapport, celui de la Direction générale à l’environnement.
L’industrie, dont le géant chimique Bayer, a alors mis en place des stratégies pour retarder toute régulation en demandant à la Commission européenne de conduire une étude d’impact environnemental sur douze mois.
Elle a aussi fait pression sur le département santé et sécurité, celui de l’entreprise et du commerce, jusqu’au secrétaire général de la Commission.
Puis elle a ciblé le Partenariat pour le commerce et l’investissement transatlantique (TTIP).
Du côté américain, le Conseil de la chimie américaine (ACC), CropLife America, la Chambre de commerce américaine à Bruxelles ont tous fait pression pour essayer d’empêcher toute future régulation sur les produits chimiques dans le cadre du TTIP.
En juin 2013, un toxicologue allemand, soutenu par cinquante autres scientifiques, a aussi remis en question le rapport de la Direction générale à l’environnement dans une lettre adressée à Anne Glover, la responsable du conseil scientifique à la Commission européenne.
Une trentaine de ces signatures ont des liens avec l’industrie. Trois d’entre eux, qui ont aussi des liens avec l’industrie, travaillent pour l’AESA, éditrice du rapport niant la toxicité des PE.
Cette lettre a été considérée comme desservant totalement la santé publique, dans un article signé par cent scientifiques et édité par le journal Endocrine Society.
Malgré cela, un mois après avoir reçu la lettre du chimiste allemand, Catherine Day, la secrétaire générale de la Commission européenne, a décidé qu’une étude d’impact environnemental était nécessaire.
«A cause de cette décision de lancer une étude d’impact, la secrétaire générale a décidé de façon unilatérale de bloquer le bon déroulement du travail de la DG environnement sur les PEs», note le rapport du CEO.
Il remarque aussi que, du coup, les critères de définition scientifique des PEs ne seront pas prêts avant 2017. «Quatre ans après la date limite demandée par le Parlement européen.»
L’Association européenne pour la protection des récoltes, qui représente l’industrie des pesticides, a déclaré qu’elle prenait très au sérieux le sujet des PE et qu’elle avait trouvé le rapport du CEO biaisé et arbitraire.
«Notre industrie répète qu’elle n’a aucun intérêt à retarder ce processus. Nous sommes pressés de dépasser la période intermédiaire actuelle pour arriver à celle d’un processus législatif plus prévisible», a-t-elle déclaré.
Note du traducteur
Il est sain, dans une démocratie bien vivante, de voir ces rapports de force, même si, et on le voit ici, la force est trop souvent du coté des industries grâce à leur puissance financière et qui sont, de plus, aidées par la corruption psychologique de nombreux fonctionnaires qui voient d’un bon œil un poste bien rémunéré dans le privé en guise de pré-retraite.
Par contre, il y a des principes devant lesquels un législateur, même psychologiquement corrompu, ne devrait pas transiger, c’est celui du principe de précaution. Et lorsque des centaines de médecins, l’OMS et d’autres préviennent du danger des PE, alors ce n’est même plus d’un principe de précaution dont il s’agit, mais d’un crime social de non-assistance à personnes en danger, dont on se rend complice en jouant le jeu des industriels.
Traduit par Wayan, relu par Diane pour le Saker Francophone