À propos de la Russie mal aimée


Par Jean-Marc − Avril 2018

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Conjuguée avec la diabolisation de Poutine, la russophobie continue de faire des ravages dans les médias. On l’a vu dans une des récentes éditions de Temps présent, qui se veut l’émission phare de notre TV étatique. Le titre parlait pour lui-même : Poutine, Le Parrain. Conclusion de cette sombre descente dans les milieux mafieux du Saint Saint-Pétersbourg des années 90 : Poutine a été contraint de briguer un nouveau mandat dans le seul but de conserver son immunité de président et d’échapper à des poursuites judiciaires. De l’homme d’État, qui a su relever son pays au bord de la déliquescence et se faire respecter du grand gendarme – et brigand – international, pas un mot. En bref, une mauvaise caricature.

Il y a heureusement quelques exceptions au brouillage médiatique sur la Russie. Au moment où l’on pourrait désespérer de Billag, notre TV romande sait parfois faire son métier de chaîne publique et refléter la diversité des faits et des opinions. Ainsi, dans une de ses dernières émissions d’ « Histoire vivante » intitulée « Poutine, le Nouvel Empire » elle nous offre un autre visage de Poutine, celui d’un pro-occidentaliste qui a bien des raisons de se sentir dupé par ceux qu’il n’a cessé d’appeler ses « partenaires ». Elle nous donne aussi un condensé des moments décisifs de l’Histoire qui depuis la chute du Mur ont amené la Russie à chercher sa propre voie et à réaffirmer son identité en dehors des canons de la bien-pensance occidentale.

Cette production française plante le décor là où il fallait commencer : par la célébration à Moscou des 70 ans de la victoire sur l’Allemagne nazie, où aucun leader occidental n’a daigné venir rendre hommage aux 27 millions de victimes russes qui ont permis de gagner la guerre. Rien ne peut mieux faire comprendre le sentiment d’ingratitude qu’éprouve le peuple russe à l’égard de l’Europe et les raisons qui ont fait plébisciter son président (tout autant que le retour de la Crimée dans le giron russe). Les mouvements d’opposition ne sont pas pour autant ignorés, mais ils ne sont pas présentés comme l’unique source d’information crédible, ainsi que les correspondants occidentaux accrédités à Moscou ont tendance à le faire croire.

Il en faudra bien plus pour rééquilibrer la balance et entamer les préjugés russophobes qui des années durant ont été entretenus par la presse et sur les ondes, et qui sont profondément ancrés dans l’opinion occidentale. Un test sera de voir comment les Britanniques − et à leur suite l’opinion européenne − vont gober l’attaque au poison du Royaume-Uni. Le leader de l’opposition travailliste Corbyn a été conspué jusque dans les rangs de son propre parti pour oser demander que la procédure normale – et notamment celle que prévoit le traité international de 1997 sur les armes chimiques − soit respectée avant d’incriminer la Russie et de lui imposer de nouvelles sanctions. Le coup de la fiole qui avait justifié le déclenchement de la guerre d’Irak, va-t-il à nouveau réussir au risque de nous entraîner dans un affrontement qui pourrait devenir planétaire ?  Pour une fois, l’Union européenne et Lady May sont tombés d’accord et appliquent à la Russie un nouveau principe : celui de la présomption de culpabilité. Voilà une belle leçon donnée à la Russie sur le respect de l’état de droit dans nos vieilles démocraties.

Pour tous ceux qui recherchent une information moins lourde de préjugés et plus empathique sur les Russes et leur président, on ne peut que recommander l’ouvrage de Héléna Perroud « Un Russe nommé Poutine » (Éditions du Rocher). Née en Russie, cette binationale a été la collaboratrice de Jacques Chirac et a dirigé l’Institut français de Saint Saint-Pétersbourg. Elle sait se mettre à la place de ses compatriotes et voir de leurs propres yeux, pour mieux nous faire comprendre comment Poutine s’inscrit dans l’histoire de leur pays. Slobodan Despot a interviewé Héléna Perroud dans Antipresse. Autre témoignage empathique, plus proche de nous, celui de Frédérique Burnand, arrière petite fille du peintre, qui s’est prise de passion pour la Russie et raconte dans « Jours de Russie » (Éditions de l’Aire), son immersion dans la vie quotidienne des simples gens, dont elle déchiffre les préoccupations et qu’elle parvient à nous rendre proches.

À la pêche sur Internet, on trouve le meilleur et le pire. L’hebdomadaire en ligne Antipresse de Slobodan Despot, cité plus haut, reste un bon port d’attache. Il est en voie de métamorphose pour prendre de la hauteur sous le nom de Drone. On peut l’aider à prendre son envol en s’y abonnant. J’ai le plaisir de lui prêter ma plume dans la rubrique « main courante » http://log.antipresse.net/.

La barque de l’information est déjà bien lourde. Ce qui précède n’a pas la prétention de la faire déborder.

La ville de Toula, à deux cents kilomètres au sud de Moscou, a failli subir le même sort que Leningrad pendant la dernière guerre. A l’automne 41, les Allemands étaient déjà à ses portes et en deux mois, ils avaient presque encerclé la ville. Dans un sursaut d’héroïsme, les défenseurs pris au piège avaient réussi à desserrer l’étau et avant la fin de l’année à repousser définitivement les assaillants.

La guerre, les gens de Toula n’ont pas besoin d’un dessin pour leur rappeler ce que c’est. Au musée historique de la ville, situé dans l’enceinte du kremlin, une affiche annonce une conférence sur le siège de la ville intitulée « A deux pas de la guerre ». Comment ne pas faire le rapprochement avec la situation internationale et la nouvelle ronde de sanctions qui pourraient nous amener « à deux doigts de la guerre » ? Le préposé au vestiaire, tout en prenant mon manteau, a lu dans mes pensées : « Mais qu’est-ce qu’ils nous veulent encore ? ». Les nouvelles sanctions infligées par l’Occident alimentent l’inquiétude, mais réveillent aussi un vieux sentiment de résistance. « Les sanctions sont bonnes pour nous. Elles nous apprennent à nous suffire à nous-mêmes et nous avons tout ce qu’il nous faut».

Il n’est pas difficile ici de croire à la menace réelle d’un conflit, qui pourrait se transformer en en affrontement planétaire. Les marques de la dernière guerre sont encore bien présentes. Dans la bucolique propriété de Tolstoï, à huit kilomètres de Toula, la guide nous montre sur des photos l’état dans lequel les Allemands ont laissé la bibliothèque du romancier et vieux pacifiste barbu, avant de battre en retraite.

Contraste : La démocratique et pacifique Europe cherche elle à se faire peur par des attaques imaginaires, sans penser une minute que des va-t-en-guerre jouent avec le feu. L’Angleterre avait déjà donné l’alerte en janvier dernier. Son nouveau ministre de la Défense Williamson avait déclaré dans une interview au Telegraph que la Russie espionnait son réseau de communication et prévenu des dangers d’une possible «agression russe» pouvant causer des milliers de morts. Mais cette fois-ci la presse n’y avait pas cru et le Daily Mail révélait que Williamson avait lancé ce bobard pour détourner l’attention et masquer le scandale d’une liaison extraconjugale qu’il avait eue en 2004 ! Aujourd’hui, le Secrétaire à la Défense remet ça et il n’a plus rien à cacher.

En 2016, le vénérable Chomsky nous avertissait : il est minuit moins trois, soit deux minutes de moins qu’au pire moment de la guerre froide. Une autre Cassandre américaine, le Professeur Stephen Cohen, continue de répéter à longueur de semaines sur la dernière petite chaîne de radio new yorkaise où on veut bien lui donner la parole, que la situation est bien plus dangereuse qu’au pire moment de la crise des missiles de Cuba. Faut-il le croire ? Ou au contraire, les jappements du caniche britannique face à la placidité de l’ours russe, ne font que trahir son impuissance ?

En 1935, Giraudoux écrivait « La Guerre de Troie n’aura pas lieu ». A quel acte en sommes–nous aujourd’hui ?

Jean-Marc

Toula, 3 avril 2018

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