Par Andrew Korybko – Le 11 février 2019 – Source orientalreview.org
La France a procédé à une frappe aérienne sur un convoi de combattants qui marchaient vers la capitale au sud, par suite d’une demande d’assistance de son partenaire tchadien.
Cette situation ne constitue pas une première : Paris dispose d’un historique fourni en intervention militaire de soutien à N’Djamena ; mais la situation suggère que la France se retrouve prise de plus en plus profondément dans les conflits africains, résultat de l’« enlisement » causé par l’opération Barkhane en cours dans l’espace Ouest et Centre-africain.
Le Tchad constitue le premier allié militaire de la France sur le continent, et ses armées sont impressionnantes par rapport à celles de ses pairs africains : elles ont prouvé leur capacité de combattre à travers l’ensemble du Sahara, jusqu’au Mali, par exemple. Mais apparemment, ces mêmes forces armées n’ont pas été en mesure d’enrayer seules la dernière poussée rebelle en date.
Il est bien connu que des combattants opposés au gouvernement tchadien en place se réfugient dans les pays voisins ; la région sud de la Libye post-Jamahiriya leur offre, depuis maintenant huit ans, une base d’opérations idéale. Mais ce vent a tourné, et la zone n’est plus si propice à les héberger après les actions du général Khalifa Haftar, dont l’Armée nationale Libyenne a étendu son influence dans la région : c’est peut-être à cause de ce revers que les rebelles se sont sentis contraints de marcher vers la capitale du Tchad. Et la France, ne voulant pas prendre le risque que des combats armés se déroulent aux abords de la capitale – de quoi déstabiliser ce pays positionné de manière centrale, et pourquoi pas déclencher une nouvelle vague de migrants si le gouvernement tchadien vacillait ou tombait – a jugé prudent de voler au secours de son allié, et de tacler la menace bien en amont de ce type d’occurrence.
Autre motivation possible de la « frappe chirurgicale » française au nord du Tchad : les craintes de Paris de voir les troubles ininterrompus dans ce pays transformer le Tchad en un nouveau Mali, ou une nouvelle Libye : en d’autres termes, de voir la situation de relatif succès constatée depuis quelques années sur le front anti-terroriste se retourner, et voir le Tchad se transformer en nouveau foyer terroriste dans une sorte de succession après ces deux pays. Le problème de fond est donc là : Paris se voit entraînée de plus en plus profondément vers un « enlisement », dans sa lutte pour assurer la « police » sur la zone de plus de 3000 kilomètres très peu peuplée séparant le Mali et le Tchad, après avoir été entraînée vers une intervention au Burkina Faso voisin. Si les missions en question ont porté leurs fruits jusqu’à présent, et réussi à maintenir la stabilité structurelle de cette région fragile politiquement, le fait est que la France ne pourra pas assurer cette mission éternellement, et certainement pas toute seule.
Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Radio Sputnik le vendredi 8 février 2019.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Vincent pour le Saker Francophone
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