Par Andrew Korybko – Le 18 septembre 2018 – Source orientalreview.org
Le Kenya a fait une descente dans les bureaux de la chaîne de télévision chinoise CGTN la semaine dernière ; plusieurs employés ont été mis temporairement en état d’arrestation sur la base du soupçon d’être des immigrés clandestins.
Le gouvernement a ensuite présenté ses excuses, et promis que cela n’arriverait plus, mais l’incident n’en a pas moins constitué un épisode très troublant : il est survenu à peine plus d’une semaine après que le président Kenyatta a été reçu par Trump à la Maison Blanche, et quelques jours après le Forum sur la coopération sino-africaine, qui a lieu tous les trois ans (FOCAC) – ce n’est pas moins que l’événement le plus important en relations internationales entre la République populaire et ses partenaires du « Grand Sud » sur le continent. Les relations sino-kenyanes sont en outre à un niveau exceptionnel, avec des prêts consentis par Pékin à Nairobi à hauteur d’1,5 milliards de dollars pour construire un chemin de fer aux normes internationales, dont la fonction essentielle est de tenir lieu de pièce maîtresse aux Routes de la soie dans l’économie la plus stable de l’Afrique de l’Est, et qui fut même mis en exergue dans la campagne de réélection de Kenyatta l’an dernier.
Pour ces raisons, personne au Kenya, et a fortiori dans les services de sécurité du pays, n’était sans ignorer l’importance stratégique du partenariat avec la Chine, et chacun pouvait imaginer comment Pékin interpréterait la désignation comme cible de ses ressortissants, en particulier ceux qui œuvrent pour son organe de presse international sur fond public, et qui travaillent bien évidemment légalement dans le pays. Cela amène à se poser la question : cette opération de police a-t-elle été organisée par des militaires kényans, par les services de renseignements, et/ou par des bureaucraties diplomatiques (« État profond »), opposés aux liens entre le Kenya avec la Chine et intéressés à les abîmer et venant semer des graines de discorde et de méfiance entre les deux pays ? Il faut également garder à l’esprit que l’événement s’est produit la semaine même où la Chine a reçu des dizaines de dirigeants africains, et à peine deux semaines après le voyage de Kenyatta à Washington, soulevant des questions quand à cet agenda, et suggérant la possibilité d’une provocation planifiée d’avance et jouée pour les raisons politiques sus-mentionnées.
La Chine a eu la sagesse de ne pas sur-réagir et ainsi d’éviter le piège qui lui était tendu, mais l’incident n’aura pas été sans l’alerter sur la probabilité qu’un tiers – on peut penser aux USA – n’élabore, via des canaux troubles, des scénarios mettant à mal ses relations avec le Kenya, ainsi probablement que d’autres pays africains. Ceci ne constitue pas une grande nouvelle, les analyses prévisionnelles établissent déjà que le continent s’apprête à devenir une zone de compétition intense entre grandes puissances, en particulier dans le contexte de la nouvelle guerre froide, qui déterminera si le monde restera un ordre international régi par l’Amérique, ou se tourne vers un ordre établi par la Chine. On peut donc sans prendre de grand risque que des provocations de la sorte se répéteront dans l’avenir proche.
Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Radio Sputnik le vendredi 14 septembre 2018.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Francophone
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