Le Venezuela : Un État failli en Amérique Latine ?


Note du Saker Francophone

Cet article va faire réagir certains, car il ressemble aux classiques articles de propagande anti vénézuélienne dont nous abreuve régulièrement la presse système. Pourtant, il est édité sur un site dont les analyses sont équilibrées et non dogmatiques. Il semble donc que le Venezuela, et Maduro aussi, soient vraiment en mauvaise posture.

Il y a encore de l’espoir pour la vague rose qui a balayé les vieux dictateurs d’Amérique Latine. Mais il semble qu’au Venezuela, le chavisme soit à genoux. – John Feffer

Par John Feffer – Le 8 juin 2016 – Source Foreign Policy in Focus

Le destin du Venezuela est aux mains de ses fluides.

Pour un pays dont l’économie dépend à 95% de ses exportations de pétrole, la chute prolongée des cours a entraîné de sérieuses difficultés financières.

Mais au moins, le Venezuela devrait être en mesure d’utiliser ses ressources pétrolières pour garder les lumières allumées et les usines en marche. Après tout, le pays possède les plus grandes réserves connues de pétrole au monde. Il en a plus que l’Arabie saoudite. Il en a plus que l’Afrique, l’Eurasie et l’Asie réunies. Seule la Russie et l’Iran reposent sur davantage de ressources énergétiques, si l’on compte le gaz.

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Mais la plupart du  pétrole vénézuélien est prévue pour l’exportation ou est difficile d’accès. Il y a quelques années, le pays a diversifié son approvisionnement en électricité, en misant davantage sur les énergies renouvelables. L’énergie hydroélectrique fournit maintenant 60 % de l’énergie du pays.

D’ordinaire, la diversification vers les énergies renouvelables est une initiative intelligente.

Mais pas quand il y a une sécheresse. Le pays en a connu une en 2010 et une encore plus ravageuse ce printemps. A cause de la convergence de deux phénomènes, El Nino et le réchauffement climatique, les barrages sont à secs. Le résultat : des pannes de courant généralisées.

Même le gouvernement le mieux géré aurait des difficultés à faire face à ce double problème que sont le pétrole et l’eau. Le Venezuela n’est pas doté d’un tel gouvernement. Nicolas Maduro, qui a succédé à Hugo Chavez en 2013, n’a pas été adroit dans sa gestion de la crise.

Pour conserver le soutien du public, il a essayé de maintenir des prix bas à la consommation et de payer les salaires de l’administration en imprimant de l’argent et en maintenant les subventions gouvernementales. En conséquence, le pays a souffert d’hyperinflation, la plus élevée au monde, l’an dernier. L’économie a chuté de près de 6 % en 2015 et devrait encore se contracter de 8 % en 2016. Le pays doit 120 milliards de dollars, et a 7 milliards de dollars de dette à rembourser cette année. Faire défaut est une possibilité, même si le gouvernement a fait de gros efforts pour faire face à ses obligations.

Certains Vénézuéliens se portent bien. Par exemple, le marché noir fait un carton en revendant des produits subventionnés à des prix plus élevés. Les initiés politiques ont un accès privilégié aux devises fortes, ce qui a coûté, selon un ex-conseiller du gouvernement, 25 milliards de dollars au pays. Mais d’autres faits de corruption sont encore pires. Des fonctionnaires de haut niveau – dont l’ancien chef de l’agence anti-drogue, l’ancien président de l’Assemblée législative, divers officiers de l’armée, et deux neveux de la première dame – ont été accusés de trafic de drogue.

Pratiquement tout le monde au Venezuela est frénétique. Le manque de nourriture dans les supermarchés a créé de longues queues et la perspective d’émeutes de la faim généralisées. Le taux de criminalité a bondi. Les services gouvernementaux, autrefois la fierté du gouvernement précédent d’Hugo Chavez, ont pratiquement disparu car ils ne sont ouverts que deux jours par semaine afin d’économiser l’électricité. Une immense partie de la population est en train de sombrer dans la pauvreté entraînée par l’inflation et la récession, qui ont éliminé les gains réalisés au cours des années Chavez. Le système médical, avec ses pénuries de médicaments essentiels, est au bord de l’effondrement.

Comme le fait remarquer Nicholas Casey du New York Times, certaines régions du pays ressemblent maintenant à une zone de guerre:

«Et ces hôpitaux, ils ressemblent – ils ressemblent à l’enfer sur terre, en réalité. Vous voyez des gens sur des civières et à même le sol, baignant dans leur propre sang. Dans un des hôpitaux où nous sommes allés, un certain nombre de nouveau-nés étaient morts la veille, au moment de la panne de courant.»

La réponse de Maduro

Le président Maduro a réagi à cette baisse économique avec orgueil, nationalisme et sa façon, maintenant devenue routine, de diriger à coups de décret.

Comme si des soldats pouvaient vaincre le réchauffement climatique et la mauvaise gestion économique, il a récemment ordonné le plus grand exercice militaire de l’histoire de son pays. Ses recommandations spécifiques – par exemple, que les femmes renoncent à leurs sèche-cheveux pour économiser l’électricité – ont été caricaturées par l’animateur de télévision John Oliver.

En décembre dernier, les partis politiques opposés à Maduro, dans une coalition assez lâche, ont remporté les élections législatives. Des élections reconnues libres et honnêtes. Tout cela réfute d’ailleurs l’affirmation des critiques du Venezuela, tant ceux de l’intérieur que de l’extérieur, disant que le pays n’est plus démocratique.

Malheureusement, Maduro a contourné ces résultats électoraux d’une manière autocratique classique en déclarant l’état d’urgence, puis en prolongeant cette période au moins jusqu’à la fin de 2017. La Cour suprême, que les alliés de Maduro au Parlement ont remplie de partisans juste avant de perdre le contrôle de la législature en décembre, a annulé les résultats des élections dans l’État d’Amazonas et empêché l’opposition d’acquérir la majorité parlementaire suffisante avec laquelle elle pouvait, par exemple, remplacer les juges de la Cour suprême. Le tribunal a accordé à Maduro l’état d’urgence et a empêché l’opposition d’avoir beaucoup d’influence sur la direction du pays.

Début mai, l’opposition a lancé une pétition demandant la destitution de Maduro. Près de 2 millions de personnes l’ont signée (sur une population de 30 millions). En effet, les deux tiers des Vénézuéliens veulent que le président démissionne cette année, avant la fin de son terme. Mais même si les autorités valident la pétition, les organisateurs devront ensuite recueillir encore 4 millions de signatures pour déclencher le référendum révocatoire.

Pendant ce temps, les manifestations de rue continuent. Mais elles ne rassemblent plus comme il y a quelques années. Beaucoup de gens sont préoccupés par la violence – des dizaines de manifestants sont morts dans les manifestations de 2014 – ou sont préoccupés par les questions de survie. De plus, beaucoup de gens ont voté en traînant les pieds. Au cours de ces 15 dernières années, un million de personnes a quitté le Venezuela, et pour ceux qui sont encore là, un étonnant 30 % de la population se prépare à partir.

La descente du Venezuela dans le chaos doit beaucoup à des facteurs échappant au contrôle de Maduro, tels que le prix du pétrole et la rareté des pluies. Mais le Venezuela, sous Chavez comme sous Maduro, a échoué à libérer sa balance commerciale de sa dépendance envers le pétrole.

Le chavisme, bien qu’il en ait sorti beaucoup de la pauvreté, a également construit un système de patronage économique – ou plutôt, a remplacé l’ancien système de patronage par un nouveau – qui garantit la loyauté politique, mais au détriment de la construction d’institutions démocratiques durables et d’une économie durable. Le Venezuela aurait pu briser la malédiction due à ses ressources – une convergence entre la richesse des ressources et la corruption, une mauvaise gestion, et de fortes inégalités économiques.

Au lieu de cela, Chavez redistribué les bénéfices exceptionnels de l’industrie du pétrole et peu fait pour préparer l’avenir.

Un modèle réduit du Chili ?

Maduro a projeté une grande partie du blâme pour ses malheurs sur les États-Unis.

«Washington prend des mesures à la demande de la droite fasciste vénézuélienne» déclara-t-il récemment. Washington a bien mis en place des sanctions contre le Venezuela, mais elles se concentrent uniquement sur une poignée d’individus. Les États-Unis ont également soutenu un coup d’État contre Hugo Chavez en 2002, et l’administration Obama aimerait sûrement voir une autre équipe en charge à Caracas. Mais l’impérialisme yankee n’est plus vraiment un facteur majeur dans la crise actuelle du Venezuela.

La grande ironie, bien sûr, est que l’administration Obama a dépensé un capital politique considérable pour un rapprochement avec Cuba, un pays qui a eu une relation très tendue avec les États-Unis pendant une période beaucoup plus longue. Le Congrès américain maintient un embargo économique contre Cuba, alors même que les deux pays rétablissent des relations diplomatiques. Les États-Unis et le Venezuela entretiennent des liens économiques très étroits, en revanche, mais n’ont pas accueilli d’ambassadeurs respectifs depuis 2010.

En mars 2015, quelques mois après que les États-Unis et Cuba ont annoncé qu’ils allaient rétablir leurs relations diplomatiques, Maduro tendit tranquillement la main à Washington, pour voir s’il pouvait bénéficier aussi de la nouvelle politique de bon voisinage. Washington a répondu positivement, et un ensemble de négociations par deux canaux ont commencé, avec un canal consacré aux intérêts communs et l’autre aux désaccords.

La détente doit encore se concrétiser. Même si les relations diplomatiques entre les deux pays restent en suspens, les affaires habituelles continuent. Le Venezuela a des intérêts économiques majeurs aux États-Unis – y compris dans le complexe de raffinage de Citgo à Lake Charles, en Louisiane, et des milliers de stations service. De même, les États-Unis sont le plus grand partenaire commercial du Venezuela, avec 500 entreprises américaines ayant investi dans le pays.

Alors que Maduro soupçonne que Washington est en train de comploter un coup d’État, l’administration Obama semble dernièrement plus inquiète du fait que le Venezuela soit en train de devenir un État défaillant, que du fait que Maduro s’accroche au pouvoir. L’administration Obama soutient tranquillement les efforts espagnols de médiation entre Maduro et le parlement contrôlé par l’opposition, et a même essayé d’y enrôler le Vatican, un médiateur clé de la détente avec Cuba.

Nul doute que Washington préférerait un partenaire plus souple à Caracas. Mais le Venezuela est l’un des cinq principaux fournisseurs de pétrole aux États-Unis, Washington ne veut pas que le pays disparaisse dans le trou noir du chaos.

En d’autres termes, le bras de fer au Venezuela aujourd’hui, ne correspond pas à celui du Chili en 1973. Ce ne sont pas les États-Unis qui ont déstabilisé le gouvernement Maduro. Et Maduro n’est pas un leader noble et idéaliste, comme Salvador Allende, qui essaierait de diriger son pays dans une toute nouvelle direction. Si vous voulez voir ce à quoi les États-Unis pourraient ressembler après une douzaine d’années de Trumpisme, regardez le Venezuela.

La réponse internationale

La pression internationale monte contre l’administration Maduro.

Les organisations des droits de l’homme ont critiqué le bilan du gouvernement. Le chef de l’Organisation des États américains, Luis Almagro, se plaint que le Venezuela a violé la charte de l’organisation, à travers ses pratiques antidémocratiques, risquant ainsi la suspension. Almagro a publié un rapport détaillé pour soutenir ses accusations. Maduro a répondu avec sa brusquerie caractéristique:

 «Je vous suggère de mettre cette charte démocratique dans un tube très mince et de trouver une meilleure utilisation pour elle, M. Almagro. Vous pouvez enfiler cette charte démocratique là où cela vous convient. Le Venezuela a le respect de lui-même et personne n’appliquera cette charte au Venezuela.»

Mais il n’y a pas que des organisations comme l’OEA, qui a la réputation d’être aux mains des États-Unis, qui critiquent le gouvernement Maduro. L’Internationale socialiste a critiqué le gouvernement vénézuélien à plusieurs reprises, la plus récente portant sur des irrégularités démocratiques, les prisonniers politiques, et la «détérioration générale de la vie institutionnelle».

Donc, abandonnons l’idée que les déboires de Nicolas Maduro sont liés à un retrait de la vague rose qui a balayé des décennies d’autoritarisme d’extrême droite en Amérique latine. Les Vénézuéliens sont fatigués de la corruption, de la mauvaise gestion économique et de la répression politique. Moins de la moitié de ceux qui s’identifient comme étant de gauche pense que le pays va dans la bonne direction, selon un sondage Pew datant de décembre. Les Vénézuéliens de tous bords veulent un changement.

Dans une prochaine chronique, je décrirai de façon plus large la gauche d’Amérique latine et ce qui se passe en Argentine, au Brésil, au Chili et ailleurs. Mais le mouvement contre Maduro a peu à voir avec le rejet de la gauche. Maduro est un populiste avec des tendances autocratiques, et la coalition de l’opposition se compose de partis venant de l’ensemble du spectre politique, y compris Cause Radicale, le Mouvement progressiste vénézuélien, Avance progressive, et plusieurs autres partis sociaux-démocrates.

Hugo Chavez est mort. Le chavisme, qui tenait plus du culte que de l’idéologie politique, touche à sa fin. Avant que le Venezuela ne succombe aussi, c’est le moment pour un redémarrage radical au pays de Bolivar.

John Feffer est le directeur de Foreign Policy In Focus

Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone.

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