Par Moon of Alabama – Le 8 mars 2025
Dans The Atlantic, deux historiens militaires affirment que :
La Russie est en train de perdre la guerre d’attrition
Les guerres sont rarement gagnées de manière aussi décisive, car l’attrition n’est pas seulement une condition de la guerre, mais un choix stratégique. Les petites puissances peuvent, par une application intelligente de l’attrition, réussir à faire avancer leurs propres objectifs.
Hmm …
… est une stratégie militaire qui consiste pour les belligérants à tenter de gagner une guerre en épuisant l’ennemi, par des pertes continues en personnel, en matériel et en moral, jusqu’à son effondrement Il y a deux camps (ou plus) dans une guerre d’usure. Pour savoir quel camp gagne, il faut évaluer les capacités et les pertes de chaque camp. Le camp qui sera le premier à manquer des ressources nécessaires perdra la compétition.
Un article qui affirme que tel ou tel camp va perdre à cause de l’attrition devrait donc fournir des chiffres pour chaque camp du conflit et les comparer pour étayer son affirmation.
Bien sûr, les auteurs de l’article de The Atlantic ne le font pas.
Ils mentionnent l’état de l’économie russe, la perte de véhicules blindés par la Russie et la pénurie de main-d’œuvre russe – qui, selon eux, sont tous de mauvais chiffres. Mais ils ne parlent à aucun moment de l’état de l’économie ukrainienne, de ses pertes et de sa grave pénurie de main-d’œuvre.
Les sources qu’ils citent sont douteuses, voire risibles :
Les pertes russes n’ont cessé d’augmenter. Selon le ministère britannique de la défense, en décembre 2022, elles s’élevaient à environ 500 par jour ; en décembre 2023, à un peu moins de 1 000 ; et en décembre 2024, à plus de 1 500. Pour la seule année 2024, la Russie compte près de 430 000 tués et blessés, contre un peu plus de 250 000 en 2023.
C’est en effet ce qu’affirme le British Defense Intelligence. Mais cela a-t-il un sens ? Les pertes russes durant la sanglante bataille de Bakhmut, fin 2022 début 2023, étaient estimées à 500-600 par jour. Les pertes actuelles, avec une ligne de front plutôt calme et aucune grande bataille en cours, seraient le triple de ces chiffres. Ce n’est tout simplement pas plausible. D’autres sources occidentales donnent un nombre de victimes russes bien inférieur.
Les pertes ukrainiennes ne sont par ailleurs pas mentionnées du tout.
Les auteurs passent ensuite d’une situation à l’autre. Après avoir souligné les pertes russes en ignorant les pertes ukrainiennes, ils soulignent maintenant les succès ukrainiens en matière de production :
En 2024, l’armée ukrainienne a reçu plus de 1,2 million de drones produits par l’Ukraine, soit deux fois que ce que l’Ukraine possédait, sans parler de ce qu’elle produisait, au début de la guerre. Les taux de production ukrainiens continuent d’augmenter ; l’Ukraine vise à produire 4 millions de drones rien que cette année.
Les auteurs omettent bien sûr de mentionner que la Russie produit encore plus de drones.
Le paragraphe suivant présente un autre tour de passe-passe que les auteurs tentent de faire croire à leurs lecteurs :
Les drones sont essentiels car ils ont remplacé l’artillerie en tant que système le plus efficace sur le champ de bataille. Selon une estimation, les drones sont aujourd’hui à l’origine de 70 % des pertes russes. La solide industrie de défense ukrainienne innove plus rapidement et plus efficacement que celle de la Russie et de ses alliés.
Parce que « 70 % des pertes russes », c’est la thèse des auteurs, mais seulement jusqu’à ce que vous cliquiez sur la source, où vous découvrirez que ce chiffre s’applique aux deux camps :
Selon Roman Kostenko, président de la commission de la défense et du renseignement du Parlement ukrainien, les drones, et non les grosses pièces d’artillerie lourde qui faisaient autrefois la réputation de la guerre, infligent environ 70 % de toutes les pertes russes et ukrainiennes. Dans certaines batailles, ils causent encore plus de dégâts – jusqu’à 80 % des morts et des blessés, selon les commandants.
Pour ma part, je doute de ce chiffre pour les deux camps. On voit beaucoup de vidéos de victimes de drones FPV, mais c’est uniquement parce que tous les drones sont équipés d’une caméra. L’artillerie, qui est historiquement à l’origine de 70 à 80 % des pertes sur le champ de bataille, n’a pas cessé de tirer et n’a pas perdu son effet. Chaque camp tire plus de 10 000 obus d’artillerie par jour. Cela représente plus de 7 millions d’obus par an. Un million de drones, dont beaucoup échouent, ajoutent aux dommages causés par l’artillerie mais ne les remplacent pas. Les drones, comme toutes les autres armes, font partie du jeu mais ne changent pas la donne.
Revenons à l’affirmation de The Atlantic selon laquelle la Russie est en train de perdre la guerre d’usure.
Les auteurs mentionnent de prétendus problèmes russes sur certains sujets et des succès ukrainiens sur d’autres sujets. Mais ils n’ont pas réussi à faire la moindre comparaison des pertes ou des succès des deux côtés. Leur conclusion :
L’Ukraine n’est pas au bord de l’effondrement, et c’est la Russie, et non l’Ukraine, qui est en train de perdre la guerre d’usure, …
… n’est étayée par aucune preuve.
Il est triste de constater que l’industrie de l’armement n’est pas en mesure de proposer une propagande plus fine que celle-là.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.